🍼 Le dangereux business des crèches privées #40
Nous sommes très heureux de vous retrouver en cette rentrée scolaire. De notre côté, on a pris des forces car la rentrée est pleine de défis ! Alors que vous allez peu à peu découvrir la nouvelle identité visuelle de Rembobine imaginée par la graphiste Juliette Banquet, nous accueillons également notre premier pigiste régulier. Arno Pedram nous rejoint et proposera pendant quelques mois une exploration du concept d’impact dans le journalisme. Toutes les deux semaines, il vous emmènera à la découverte d'initiatives en France et ailleurs dans le monde.
Mais avant tout ça, pour bien débuter l’année scolaire, nous vous avons dégoté une enquête on ne peut plus à propos. L’une des enquêtes les plus marquantes de l’année dernière. Le 7 septembre 2023, paraissait le livre, Le prix du berceau des journalistes d’investigation Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse. Ils ont interviewé des centaines de personnes pour nous offrir un aperçu glaçant d’une industrie qui pèse aujourd’hui 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires : les crèches privées.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Le livre Le prix du berceau révèle les conditions alarmantes dans certaines crèches privées en France, où la quête de profit prime sur le bien-être des enfants.
→S'appuyant sur des témoignages et des documents internes, les journalistes Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse exposent des cas de maltraitance, de rationnement des repas et de pratiques douteuses dans une industrie en pleine marchandisation.
đź’Ą Et son impact en encore moins de temps !
→ L'enquête a suscité de nombreuses réactions politiques et institutionnelles avec des annonces de renforcement des contrôles et d'une remise à plat du système. Mais les réponses concrètes se font attendre.
→ Certains professionnels du secteur ont aussi ressenti une pression accrue, craignant que la publication des révélations ne mène à davantage de répression en interne.
Crèches privées, les ravages de la financiarisation du bien-être des tout-petits
Maltraitances, repas rationnés, couches non changées... Après le scandale des Ehpad révélé en 2022 par le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, qui exposait les conditions déplorables infligées aux personnes âgées, c’est un séisme similaire qu’a provoqué le livre choc Le prix du berceau, co-écrit par Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse. Les journalistes y dévoilent les pratiques inquiétantes de certaines crèches privées, qui, dans une course au profit, adoptent un mode de fonctionnement contraire au bien-être des tout-petits.
En France, les crèches privées totalisent 80 000 places, soit 20 % des places disponibles. Quatre entreprises, dont certaines adossées à des fonds d'investissements dominent le secteur : le groupe Grandir - Les Petits Chaperons Rouges, Evancia-Babilou, La Maison Bleue et People&Baby. Les autres établissements sont des crèches municipales, associatives ou familiales.
Auxiliaires de puériculture, directrices de crèches, cadres de grands groupes, parents… Mathieu Périsse et Daphné Gastaldi ont recueilli des centaines de témoignages grâce à un appel dans les colonnes de Mediacités. Ils ont également pu s’appuyer sur des documents internes des principales entreprises du secteur. Ils racontent un secteur bouleversé par vingt ans de marchandisation de la petite enfance. En avril 2023, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointait les pratiques de certaines crèches qui s’apparentent à de la maltraitance.
Les auteurs estiment que certaines crèches privées se sont transformées en “usines à bébés", à cause d’un système basé sur la course au rendement et au remplissage. Une situation que subissent autant enfants, parents que professionnel·les du domaine. Le livre débute avec l’exemple d'un établissement des Bouches-du-Rhône où certains enfants sortent "la faim au ventre". Après enquête, les journalistes découvrent qu'il manquait "entre trois et cinq repas deux jours par semaine" pendant plusieurs mois. "Une erreur humaine", selon la crèche.
Le livre s’attache à comprendre comment notre société en est arrivée là . Les auteurs expliquent que 2022 a été un point de bascule, après un drame à Lyon, où une enfant est décédée. L’unique employée de la crèche présente ce matin-là dans la structure a reconnu avoir aspergé puis forcé l’enfant à absorber de la soude caustique. Le symptôme de trop d’un système à la dérive.
đź’Ą En quĂŞte d'impact
Un an après, qu'est-ce qui a changé ? Des mesures ont-elles été prises pour réguler le système et garantir le bien-être maximal des enfants et des salariés ? Presque en même temps sortait un autre livre sur le même sujet, Babyzness, des journalistes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette. C'est donc aussi les conséquences de celui-ci.
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ À la parution du livre, le gouvernement, à travers une déclaration de la ministre des Solidarités Aurore Bergé, a annoncé vouloir renforcer le « taux d’encadrement » des enfants dans les crèches, qui pourraient être fermées si elles ne respectent pas les nouvelles normes.
→ La députée présidente de la délégation aux droits des enfants à l’Assemblée, Perrine Goulet, a annoncé, le même jour, son intention de mettre sur pied une « mission flash » sur le sujet « en lien avec les informations contenues dans ces ouvrages ». Une mission qui a finalement vue le jour le 26 septembre 2023.
→ Le 25 mars 2024, le gouvernement a annoncé le lancement d'une campagne de contrôles des grands groupes de micro-crèches, privés, associatifs ou en régies publiques.
→ Le 4 juin 2024, la commission d’enquête chargée d’étudier le modèle économique et la qualité de prise en charge des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), a présenté ses conclusions. Le rapport prévoit 73 recommandations. Le Prix du berceau est cité dans l’introduction et les journalistes ont été auditionnés.
→ Avant même la parution des livres, une dépêche AFP annonce que la ministre Aurore Bergé a réagi et promet d’agir. Cette sortie médiatique donnera un écho considérable au livre. “Un vrai tsunami, estime Daphné, on a fait plus de 40 interviews en trois jours avec Mathieu.”
→ L’écho du livre a été conséquent. "Le soufflet n'est pas retombé, j'ai passé 6 mois à expliquer le livre", se réjouit la journaliste. De très nombreux médias ont repris des informations révélées par le livre. Beaucoup, et notamment Quotidien de TMC ont interviewé les deux journalistes.
→ Daphné Gastaldi a invité plusieurs professionnel·les du secteur, des parents ainsi que des personnalités politiques à venir expliquer la situation lors d’une enquête sur scène de Mediavivant.
→ Si le livre n’a pas déclenché d'enquête judiciaire, Daphné Gastaldi estime qu’il a pu permettre “une intensification des contrôles et de fermetures administratives”. Elle cite notamment les propos de Sarah El Haïry qui lors de son audition face à la commission d'enquête a annoncé la fermeture administrative de 26 structures, principalement privées, le 30 avril 2024.
→ "Le sujet est maintenant à l'agenda politique. Ce n'est plus perçu comme des faits-divers mais bien comme un système à bout de souffle à cause notamment de la financiarisation" explique Daphné Gastaldi. Le livre a d'ailleurs été distribué aux présidents de groupes à l'Assemblée Nationale, par La France Insoumise.
→ À la parution, les réactions du secteur de la petite enfance ne se sont pas faites attendre. Beaucoup d’acteurs salut un livre qui condense de nombreuses problématiques de la petite enfance. Ils se montrent cependant sceptiques de la réponse des politiques.
Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️
Daphné Gastaldi, co-autrice de l'enquête est une journaliste indépendante reconnue pour ses enquêtes approfondies sur des sujets sociaux et politiques en France et à l'international. Co-fondatrice du collectif We Report, elle a notamment révélé l'ampleur des abus sexuels couverts par l'Église catholique de France et co-écrit, déjà avec Mathieu Périsse le livre d'investigation Eglise, la mécanique du silence.
Dans son interview à Rembobine, elle revient sur les difficultés à obtenir des témoignages étayés de preuves, le choix du format livre et l'impact de leur travail un an après. Un éclairage sans concession d'une journaliste engagée sur un sujet qui met en lumière les failles d'un système en crise.
Comment mieux suivre le sujet ? 🧰
Le livre Babyzness, des journalistes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, est sorti au même moment que le Prix du Berceau. Il aborde lui aussi les enjeux économiques et sociaux des crèches, en mettant en lumière des témoignages de parents et de professionnel·les. Et surprise, Victor Castanet, l'auteur du livre Les Fossoyeurs sort le 18 septembre son livre-enquête sur le sujet, intitulé Les Ogres. Un an après, et partant des infractions constatées au sein du groupe People & Baby , il met en lumière les déviances d’un système irrigué par l’argent public. Le Monde publie les bonnes feuilles du livre.
On y apprend notamment comment l’ancienne ministre Aurore Bergé et Elsa Hervy, la porte-parole de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), se sont entendues secrètement pour éviter une tempête médiatique à la sortie du Prix du Berceau.
Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS),publié en avril 2023, était très attendu. Il s'appuie sur des enquêtes de terrain, des auditions de professionnels du secteur et une analyse des données statistiques pour dresser un état des lieux complet.
Vous pouvez également découvrir le travail de Daphné Gastaldi dans un format assez incroyable : Mediavivant. En décembre à Marseille, Daphné a raconté sur scène son enquête pendant une heure, face au public. Les spectateurs ont pu entendre et questionner des parents, des professionnelles de la petite enfance et des politiques sur le sujet.
Enfin, pas plus tard qu'hier, Marion Perroud, journaliste au magazine Challenges et spécialiste des sujets sur la petite enfance publiait un nouvel article de décryptage sur le business des crèches privées.
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