« Les dysfonctionnements qu'on révèle sur les crèches privées ne sont que la pointe de l'iceberg »
Daphné Gastaldi, co-autrice du livre "Le prix du berceau" revient sur les difficultés à obtenir des preuves, le choix du format livre et l'impact de son travail un an après sa parution. Un éclairage sans concession d'une journaliste engagée qui met en lumière les failles d'un système en crise.
Daphné Gastaldi, co-autrice du livre Le prix du berceau est une journaliste indépendante reconnue pour ses enquêtes approfondies sur des sujets sociaux et politiques en France et à l'international. Co-fondatrice du collectif We Report, elle a notamment révélé l'ampleur des abus sexuels couverts par l'Église catholique de France et co-écrit, déjà avec Mathieu Périsse le livre d'investigation Eglise, la mécanique du silence.
Dans son interview à Rembobine, elle revient sur les difficultés à obtenir des témoignages étayés de preuves pour son enquête sur les dérives du sytème de le privatisation. Mais aussi sur le choix du format livre et l'impact de son travail un an après la parution de l'enquête. Un éclairage sans concession d'une journaliste engagée sur un sujet qui met en lumière les failles d'un système en crise.
L’enquête se base sur des centaines de témoignages ? Ont-ils été difficiles à obtenir ?
En 2022, une fillette de 11 mois succombait après qu’une agente de puériculture est aspergé puis forcé à absorber un produit caustique dans une crèche lyonnaise du groupe People&Baby. C'est le point de bascule. On s'est très vite dit avec mon collègue Mathieu Périsse, qu’il fallait aller au-delà du dramatique fait-divers et essayer de comprendre comment cela avait pu arriver. Nous avons lancé un appel à témoignages sur le site d’investigation locale Mediacités. On a reçu plus de 130 témoignages de parents et de professionnel·les du secteur de la petite enfance. On s’est vite rendu compte qu’il y avait matière à essayer de comprendre les problèmes systémiques entourant les crèches privées.
Ce qui a été plus compliqué, c'est de récolter et rassembler des documents pour appuyer les témoignages. Les crèches, ce sont souvent des huis-clos où beaucoup de choses se disent à l'oral. On a eu des témoignages de folie, mais où les personnes ont eu peur face à des multinationales, et se sont finalement désistés.
Ce n'est pas la première grosse enquête que vous signez, on vous a vu chez Mediapart, chez Disclose, mais pourquoi le choix du livre cette fois ?
C’est vrai que nous nous sommes essayés à plusieurs formats. Et sur ce genre de sujets, effectivement, c'est parfois important d'avoir un livre qui fasse référence, une sorte de vue globale, qui permettent de faire bouger les choses. La petite enfance est un sujet sur lequel il y a eu des tonnes de rapports mais des drames racontés comme isolés et traités comme des faits-divers. Plutôt que d'encore faire des articles au fil de l’eau, on s'est donc tournée vers le format "livre". À posteriori, on peut dire que la sortie concomitante de deux livres - le notre ainsi que Babyzness - a permis de donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Les politiques ont été obligé de réagir et de prendre des mesures.
Qu'est-ce qui t’a le plus marqué lors de cette enquête ?
Les dysfonctionnements qu'on révèle sur les crèches privées ne sont que la pointe de l'iceberg ! Vous n’imaginez pas tous les témoignages que nous avons reçu et que nous n'avons pas pu recouper. Ceux que l'on n'a pas pu utiliser faute de preuves matérielles ou pour ne pas compromettre la vie de personnes. Le livre qu'on a sorti est très fort mais ce n'est vraiment que la pointe de l’iceberg. C’est toujours très frustrant pour nous journalistes. J’ai eu énormément de personnes au téléphone qui m’ont raconté des histoires de maltraitance auxquelles elles ont assisté, qu'elles ont essayé de dénoncer des années auparavant et qui étaient encore en pleurs au téléphone aujourd'hui. C’est étrange d’entendre parler d'autant de violence dans un monde, les crèches, que tu t’imagines comme des endroits doux. C’est un sujet qui marque et abîme beaucoup de monde.
Découvrez la mesure d'impact effectuée par Rembobine un an après la parution du livre-enquête de Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse
Un an après, estimes-tu que la société et les politiques se sont emparés du sujet comme il le faut ?
Il y a eu beaucoup d'annonces, des recommandations intéressantes. Mais on est encore au stade de savoir ce qui va être mis en place et comment. On a eu trois ministres en deux ans, peut-être un ou une quatrième prochainement. L’instabilité politique n’aide pas. Il y a quand même bon espoir, car maintenant on est vigilants, les syndicats ne lâchent pas. Il y a eu des petites améliorations dans les grands groupes mais pas du tout de révolution. Je le dis, mais je ne suis pas du tout la seule. La commission d'enquête l’a dit également : il faut remettre à plat ce système à bout de souffle et qui met en danger enfants et salarié·es. On est quand même heureux avec Mathieu d’avoir mis ce sujet à l’agenda. Le nouveau livre de Victor Castanet Les Ogres [à paraitre le 18 septembre d'après la Lettre, NDLR], sur le même sujet, va permettre de continuer à mettre la pression pour que ça change et c'est très bien.
Rembobine, le média qui lutte contre l'obsolescence de l'info Bulletin
Inscrivez-vous à la newsletter pour recevoir les dernières mises à jour dans votre boîte de réception.