Comment donner le maximum d’écho à votre enquête en ciblant les décideur·ses et les relais ?

Lorsqu’une enquête journalistique est presque prête à être publiée, c'est peut être à ce moment là que le travail commence !

Timothée Vinchon
Timothée Vinchon

Pour maximiser son impact, il est crucial de cibler les décideur·ses et personnes capables de transformer les constats et révélations en actions pour un changement concret. Voici une méthode étape par étape pour amplifier la portée de votre travail.

Pour vous aider à mieux comprendre la démarche, nous avons pris l’exemple de l’enquête du Monde sur l’algorithme discriminatoire de la CAF dont nous avons analysé l’impact dans cet article :

À la CAF, l’algorithme qui cible les plus vulnérables
Le Monde et Lighthouse Reports ont obtenu et analysé le code source de cet algorithme, révélant des dérives systémiques.

1. Cartographiez les parties prenantes clés

La première étape consiste à prendre de la hauteur par rapport à l’enquête que vous avez écrit et à déterminer quels décideur·ses sont directement ou indirectement concerné·es par ses conclusions. Classez-les en trois catégories :

  • Institutions publiques : Administrations responsables, ministères concernés, administrations qui permettent de constater ou condamner le problème relevé. 
  • Élus politiques : Parlementaires, élus locaux, régionaux ou européens, notamment celles et ceux qui siègent dans des commissions relatives à votre sujet. 
  • Société civile : Associations, ONG, experts ou universitaires spécialisés.
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Pour l’enquête du Monde sur l’algorithme de la CAF :

Côté institutions publiques,  il y a celles directement citées, la CNAF (responsable de l’algorithme) ou le ministère des Solidarités (politique sociale), et celles qui pourraient être intéressées par le sujet, ici, la défenseure des droit ou le ministère chargé du Handicap. 

Côté élu·es politiques, il y a les départements qui pourraient être le plus impactés, les députés de la Commission des Affaires Sociales, ou des élu·es qui s’emparent particulièrement des sujets santé à l’Assemblée ou au Sénat.

Enfin dans la société civile, il y a ATD Quart Monde, La Quadrature du Net, et des chercheurs spécialisés dans les algorithmes.

2. Analysez les réactions existantes

Avant de contacter les parties prenantes, prenez le temps d’identifier les décideur·ses et influenceur·euses qui se sont déjà exprimés sur des sujets proches ou la structure qui est au cœur de votre enquête. Ça veut dire qu’il y a des chances qu’iels soient sensibles au sujet. Recherchez dans Google Actualités notamment ou dans les questions au gouvernement avec des outils tels que Pappers Politique si besoin. Cela vous permettra de mieux cibler vos efforts et de gagner du temps.

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Pour l’enquête du Monde sur l’algorithme de la CAF :

En faisant une recherche dans les questions au gouvernement, on constate que plusieurs député·es s'étaient exprimé·es sur des dysfonctionnements de la CAF avant cette enquête.

Sur les réseaux sociaux, des personnes s'étaient aussi émues des injustices de l’algorithme après des sujets de France Télévisions et dans la presse locale.

3. Recherchez les contacts des décideur·ses

Vous devriez maintenant commencer à avoir une bonne idée des personnes à qui envoyer votre enquête en avant-première sous embargo ou dès sa publication. 

Il s’agit alors de collecter leurs coordonnées. Voici quelques ressources utiles :

  • Annuaire institutionnel : Les sites de l’Assemblée nationale ou du Parlement Européen permettent de trouver aisément les contacts des députés.
  • Réseaux sociaux professionnels : LinkedIn peut être utile pour identifier les conseillers ou collaborateurs des décideurs ou responsables de structures de la société civile
  • Outils spécialisés : Des outils comme Hunter.io permettent de retrouver des adresses e-mail publiques.
  • Reconstitution d’email :  Les emails des décideur·ses sont souvent facilement reconstituables. La forme type du mail (prenom.nom@institution.fr, p.nom@..., etc.) est souvent repérable en fonction de l’institution ou de l’entreprise. 
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Pour l’enquête du Monde sur l’algorithme de la CAF :

Du côté des institutions publiques, vous pouvez contacter la CNAF ou les ministères via leur services de presse. On n’hésite pas non plus à solliciter les chef·fes de cabinet ou assistant·es parlementaires pour que l’information remonte.

Associations : Les ONG comme ATD Quart Monde disposent généralement de formulaires de contact ou d’e-mails accessibles.

4. Préparez des messages personnalisés

L’efficacité de votre démarche repose sur la personnalisation des messages envoyés à vos cibles. Adaptez vos messages en fonction du destinataire. Quelques éléments sont essentiels : 

  • Un résumé clair : Expliquez l’enjeu principal de votre enquête en une phrase.
  • Le lien avec le destinataire : Montrez pourquoi cette personne ou organisation est directement concernée.
  • L’appel à l’action : Proposez de partager l’article au public, à ses collaborateurs ou de réagir (engager un débat parlementaire, parler dans la presse, réforme, mobilisation).

Un dernier conseil : hiérarchisez vos cibles

On sait que certain·es d'entre vous auront la motivation de cartographier toutes les personnes qui peuvent donner de l'écho à une enquête… et que d’autres non. Mieux vaut alors hiérarchiser. Tous·tes les décideur·ses n’ont pas la même capacité d’agir ou d’influencer. Classez vos contacts en fonction de leur importance :

Niveau 1 : Décideurs ayant un pouvoir direct sur le sujet, habituellement par leur rôle en tant qu’élu·e ou dirigeant·e au sein d’une organisation. 

Niveau 2 : Acteurs pouvant relayer et faire pression

Niveau 3 : Acteurs secondaires (ex. : experts académiques, journalistes travaillant sur ce sujet).

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Pour l’enquête du Monde sur l’algorithme de la CAF :

Niveau 1 : Ministère des Solidarités, Défenseure des droits.

Niveau 2 : Députés de la Commission des Affaires Sociales, ONG nationales.

Niveau 3 : Chercheurs, journalistes

Un impact maximisé, une enquête valorisée

En appliquant toutes ces étapes, vous augmentez considérablement les chances que votre enquête soit lue par les décideur·euses et qu’elle génère des actions concrètes : réformes, débats, ou mobilisations. Le succès d’une enquête ne dépend pas seulement de sa qualité, mais aussi de sa capacité à atteindre les bonnes personnes. Soyez méthodique, précis et déterminé !

👊 L'impact en rédac

Timothée Vinchon Twitter

Rédacteur et cofondateur de Rembobine - Journaliste indépendant - Formateur en éducation populaire aux médias