La soumission chimique : un "fléau à l'ampleur sous-estimée"

Mai 2023. Le Parisien Aujourd'hui en France fait sa Une sur un sujet d'une importance capitale, et pourtant encore peu connu : la soumission chimique. Un an après, découvrez ce qu'il s'est passé depuis et les évolutions du sujet.

Cécile Massin
Cécile Massin

[TW : cet article traite de violences sexuelles et de viols]

Mai 2023. Le Parisien Aujourd'hui en France fait sa Une sur un sujet d'une importance capitale, et pourtant encore peu connu : la soumission chimique, cet acte qui consiste à droguer une personne à son insu pour abuser d'elle sexuellement ou financièrement sans qu'elle puisse en avoir conscience.

Un sujet mis à l'ordre du jour par le quotidien national au moment où débute une campagne exclusive de sensibilisation à la soumission chimique, portée par Caroline Darian, dont la mère a été droguée par son père pendant des années et livrée, inconsciente, à des hommes qui abusaient d'elle.

Une affaire emblématique d'un « fléau à l'ampleur sous-estimé »

Une affaire à laquelle il est difficile de croire tant l'horreur est indicible, et pourtant. Entre 2011 et 2020, le père de Caroline Darian est accusé d'avoir livré, inconsciente, son épouse (et mère de Caroline) aux mains de plus de 80 hommes qui l'ont alors violée. Repéré par la police pour avoir filmé l'intimité de jeunes filles dans un supermarché, l'homme détenait dans son ordinateur un fichier intitulé « Abus », dans lequel se trouvaient des fichiers de sa femme, inerte, violée par des inconnus. Lors des viols, cette dernière ne ressentait rien sur le plan physique, explique Louise Colcombet, reporter au service Police/Justice du Parisien. Elle a par contre développé de très nombreuses séquelles sur le plan neurologique : absences, problèmes de sommeils, perte de cheveux, propos incohérents...

Battant en brèche l'idée selon laquelle la soumission chimique serait réservée aux milieux festifs, et uniquement assimilée à la « drogue du violeur », le GHB, en festivals ou boîte de nuit, cette affaire a conduit à la mise en œuvre d'une campagne de sensibilisation à la soumission chimique portée par Caroline Darian. L'objectif de cette campagne, relayée par des associations et célébrités : mieux comprendre ce que la Dr Leila Chaouachi, rapporteuse de l'enquête sur la soumission chimique menée par l'Agence nationale de la sécurité du médicament, qualifie de « fléau à l'ampleur sous-estimé », auprès de nos confrères Parisien.

Que s'est-il passé depuis ?

Un « fléau » qui commence à trouver un écho médiatique, alors que le procès du père de Caroline Darian – Dominique P. – est prévu du 2 septembre au 20 décembre 2024. Il s'agira du premier procès de la soumission chimique. Devant la Cour criminelle du Vaucluse comparaîtra donc Dominique P., en détention provisoire depuis novembre 2020, mais aussi 51 hommes, sur les plus de 80 agresseurs présumés de la victime. Âgés de 25 à 72 ans, ces derniers sont entrepreneurs, cadres supérieurs, chauffeurs routiers, journalistes. Accusés d'avoir violé la mère de Caroline Darian alors qu'elle était inconsciente, ils encourent un maximum de 20 ans de réclusion.

Dans l'attente du procès, Caroline Darian a créé l'association M'endors pas pour alerter opinion publique sur la soumission chimique. Elle a également écrit un livre («Et j'ai cessé de t'appeler papa ») et témoigné de son histoire dans un des épisodes du podcast de France Culture Les Pieds sur terre, « Contre la soumission chimique, pourquoi je lutte ».

Plus récemment, un nouveau cas de soumission chimique est revenu mettre la lumière sur ce « fléau méconnu », dixit Le Parisien. Depuis novembre 2023, la députée MoDem Sandrine Josso accuse le sénateur Joël Guerriau de l'avoir droguée à l'ecstasy. Des traces d'ecstasy avaient été retrouvées dans l'organisme de la députée après sa visite chez le sénateur.

Ce dernier, qui plaide une erreur de manipulation, a été mis en examen pour administration d'une substance en vue de commettre un viol ou une agression sexuelle. Lors de sa garde à vue, le sénateur avait invoqué de nombreux problèmes personnels pour expliquer la présence d’ecstasy à son domicile. Certains n'avaient pas manqué de faire réagir, comme la mort de son chat...

Aujourd'hui libre sous contrôle judiciaire, le politique a été suspendu de son parti (Horizons), mais est toujours sénateur en Loire-Atlantique. Déterminée à continuer à se battre contre la soumission chimique, Sandrine Josso a, elle, été nommée à la tête d'une mission parlementaire destinée à mieux comprendre l'ampleur de ce phénomène, que beaucoup estiment largement sous-estimé et dont neuf fois sur dix, les femmes sont les premières victimes. Dans le cadre de cette commission, des auditions ont été lancées à compter de 2024 pour une durée de 6 mois, alors qu'actuellement, 600 plaintes sont déposées par an pour soumission chimique, essentiellement pour des faits dans la sphère privée.

Comment mieux suivre le sujet ?

Pour celles et ceux qui s'intéressent à la soumission chimique, on ne peut que vous conseiller d'aller écouter le témoignage de Caroline Darian dans l'épisode des Pieds sur terre « Contre la soumission chimique, pourquoi je lutte » (France culture). Elle y raconte son combat contre la soumission chimique, dont sa mère a été victime pendant des années. Attention, l'écoute est difficile.

Contre la soumission chimique, pourquoi je lutte
Caroline Darian est la fille de Dominique P., qui a drogué sa femme pour la livrer aux viols d’une dizaine d’autres hommes. Elle raconte le choc, la douleur et la colère comme moteur de son combat contre la soumission chimique. Un récit signé Anna Benjamin.

On vous renvoie également vers son livre « Et j'ai cessé de t'appeler papa » et on vous invite également à aller regarder du côté de l'association M'endors pas qu'elle a créée. Sur le site internet de l'association se trouvent notamment des clés à destination des personnes qui seraient témoin ou proche d'une victime de soumission chimique.

Last but not least, la journaliste Alizée Vincent revient dans un récent article d'Arrêt sur Images sur les raisons pour lesquelles les associations de défense des victimes demandent à ce que les cas de soumission chimique soient traités dans la rubrique « santé » des médias, et non plus rangées du côté des faits divers. Ce qui, soit dit en passant, vaudrait tout autant pour les féminicides par exemple.

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante