Saint-Brévin, les élu·es de la république face à la violence

Saint-Brévin, les élu·es de la république face à la violence

Victime d’un incendie criminel de son domicile le 22 mars 2023 pour avoir voulu installer un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) sur sa commune, le maire de Saint-Brévin-les-Pins, Yannick Morez, a décidé de jeter l’éponge le 9 mai suivant, déplorant le manque de soutien de l'État.

Comment en est-on arrivé là ?

Yannick Morez a été harcelé pendant des mois par un collectif opposé à l'installation d'un centre d’accueil de demandeurs d'asile, décidée en concertation avec l'Etat. Menaces, intimidations, articles diffamatoires sur les réseaux sociaux, tracts haineux dans sa boîte aux lettres personnelle, tout y est passé. Le collectif, qui a fait appel à tous les groupuscules d'extrême-droite, a également organisé des manifestations et a ciblé personnellement l'édile ainsi que d'autres personnalités locales, les exposant publiquement sur des sites internet. Le 22 mars, un incendie d’origine probablement criminelle a touché la maison du maire. La photo de l'élu devant sa maison et la carcasse encore fumante d'une voiture, qu'on découvre en Une de Libération, marquera les esprits. En concertation avec sa famille, il annonce le 9 mai 2023 qu'il quitte ses fonctions et la ville dans laquelle il est installé depuis 32 ans.

Entendu par la commission des lois du Sénat le 17 mai, une semaine après sa démission, Yannick Morez a déploré le manque de soutien de l'État. "On s'est retrouvés seuls, abandonnés", avait fustigé celui qui était maire de Saint-Brevin depuis 2017. La chaîne Public Sénat a publié de nombreux contenus sur le sujet. On y retrouve notamment les décryptages et les extraits marquants de la commission comme le témoignage détaillé de l'ancien édile de Saint-Brevin.

Saint-Brévin : le témoignage accablant du maire, Yannick Morez - Public Sénat
Pendant 2 heures, Yannick Morez a livré un récit édifiant devant la commission des lois du Sénat. Harcelé pendant des mois par un collectif d’extrême droite opposé à l’installation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile, le maire démissionnaire de Saint-Brévin-les-Pins a méthodiquement détaillé l’absence de soutien des différents services de l’Etat. Choqués les sénateurs vont poursuivre leurs auditions.

Que s'est-il passé depuis ?

Suite à sa démission, les soutiens politiques seront nombreux, à l'image d'un tweet d'Emmanuel Macron ou de sa réception par l'ex-Première ministre Elisabeth Borne. "Ma démission a fait plus de bruit que l'attentat criminel en lui-même", estimait Yannick Morez dans un entretien à France Bleu en septembre 2023. Il y explique aussi avoir reçu, après sa démission, de nombreux courriers de maires qui ont également été la cible de menaces et d'actes malveillants. Début septembre 2023, l'ex-maire est parti faire le tour du monde en voilier avec son épouse. Selon Ouest-France, ce périple pourrait durer au moins cinq ans. Sa première adjointe, Dorothée Pacaud, a pris sa place à la tête de la commune.

Le 24 mai, environ 2.000 personnes, dont de nombreux élus, se sont rassemblées à Saint-Brevin pour apporter leur soutien au maire démissionnaire. Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel ou encore Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste étaient présents. Ils souhaitaient apporter leur soutien au maire mais aussi dénoncer du même coup "la menace de l'extrême droite".

Lundi 4 décembre 2023, le nouveau CADA de Saint-Brévin a finalement ouvert et les premières familles ont emménagé, relatait l'AFP, confirmant une information de Ouest-France. Une dizaine d'autres familles sont arrivées courant décembre sur le site, qui accueillera, à terme, une centaine de migrants.

L'Assemblée nationale a voté le 7 février 2024 une batterie de mesures d'un texte sénatorial qui vise à mieux les protéger les élus locaux. L'une des mesures-phares : l'alignement des sanctions prévues, en cas de violence contre des élus locaux, sur celles qui visent les dépositaires de l'autorité publique comme les policiers.

Comment mieux suivre les questions de violences vis-à-vis des élu·es ? 🧰

Année après année, le spleen des maires s’aggrave. D'après une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po, les démissions en cours de mandat se multiplient pour atteindre 1 300 depuis trois ans, alors que les agressions contre les élus sont elles aussi en une hausse de près de 40% depuis 2021.

Cinquième enquête de l’observatoire de la démocratie de proximité AMF-Cevipof/Sciences Po <br /> Des maires engagés mais empêchés
À l’initiative de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et en partenariat avec le ministère chargé des Collectivités territoriales et de la Ruralité, une enquête comprenant 70 questions a été administrée en ligne par le CEVIPOF, sous la direction de Martial Foucault, entre le 19 septembre et le 12 octobre 2023 auprès de 33 322 maires. Le taux de réponses s’établit à 18 % (soit 5 980 réponses complètes de maires) et 24 % si l’on tient compte des réponses incomplètes (soit 7 992 maires). L’enquête comportait cinq volets ayant trait à l’environnement de travail du maire, aux conditions d’exercice de la fonction (conciliation du mandat avec une activité professionnelle, évolution du régime indemnitaire, protection sociale, formation, crédit heures…), le volume et la nature des violences à l’endroit des maires, les enjeux de la gouvernance territoriale et la politique de logement.

Maire info est un quotidien d'information gratuit à destination des maires, des présidents de communautés de communes et des acteurs publics locaux, proposé par l'Association des maires de France. Leur newsletter compte 64 000 abonné·es; On retrouve sur le site des articles sur les différents enjeux auxquels sont confrontés les élu·es.

Aussi, nous sommes heureux de constater que d'autres médias ont fait le choix du temps long sur le sujet. Un an après les faits, Mediacités et Mediapart sont eux aussi revenus sur l'épisode Saint-Brevin pour constater la réussite de l'installation du centre d’accueil de demandeurs d’asile dans la commune et la désertion de l'extrême droite.

Saint‐Brevin, un an après : anatomie d’une bataille perdue par l’extrême droite
Il y a un an, le maire de la commune démissionnait après l’incendie de sa maison, perpétré après des semaines de polémiques autour du déplacement du centre d’accueil de demandeurs d’asile. Depuis, le…
Timothée Vinchon

Timothée Vinchon

Rédacteur et cofondateur de Rembobine - Journaliste indépendant - Formateur en éducation populaire aux médias
Marseille