« J'ai voulu raconter l'omerta autour des vols à l'hôpital »

Retour sur les coulisses de l'enquête de Mediacités sur le vol à l'hôpital avec son auteur, le journaliste Matthieu Slisse, spécialiste des enjeux de ségrégation scolaire et de santé publique.

Cécile Massin
Cécile Massin

Pour Rembobine, celui qui défend un « journalisme d'impact » qui amène à des évolutions concrètes revient sur le tabou des vols à l'hôpital, les difficultés auxquelles il a été confronté pour enquêter et l'importance d'un journalisme collaboratif qui donne une voix aux citoyen·nes.

Avant votre enquête, le sujet des vols à l'hôpital était très peu médiatisé. Comment avez-vous décidé d'en faire un sujet d'enquête ?

Un peu un hasard en fait. On en parlait en rédac' et on avait bien remarqué que le sujet revenait souvent dans les colonnes des faits-divers. On a commencé à en parler autour de nous et on s'est rendu compte que ce n'était pas des faits isolés, mais qu'au contraire, c'était récurrent. À partir de là, je me suis mis à enquêter. Ça n'a pas été de tout repos.

Cette enquête, je l'ai abandonnée puis reprise plusieurs fois parce que j'avais beaucoup de mal à obtenir des informations. Du côté des hôpitaux ou des Agences régionales de santé (ARS), c'était très compliqué, personne ne voulait me répondre. Mais je me suis accroché au sujet parce que j'avais trouvé un rapport de l'Observatoire national des violences en santé (ONVS) qui disait que c'était bel et bien un sujet. J'ai donc voulu creuser et raconter le silence, l'omerta.

Justement, comment expliquez-vous qu'il y ait une telle omerta sur les vols à l'hôpital et que vous ayez eu tant de mal à avoir un retour des institutions sur la question ?

Le premier élément de réponse, selon moi, c'est que le sujet est très mal connu des institutions. Il n'y a aucune étude réelle sur le sujet. C'est donc difficile pour l'institution hospitalière de parler d'un sujet qu'elle ne maîtrise pas, alors qu'il suffit de parler à n'importe quel membre du personnel hospitalier pour se rendre compte que c'est un enjeu quotidien dans tous les services hospitaliers. Tout le monde a quelque chose à dire sur le sujet du vol à l'hôpital sauf l'institution.

Le deuxième problème, c'est qu'à l'hôpital, il y a toujours quelque chose de plus grave à régler et que par conséquent, les vols ne sont pas la priorité. C'est donc un sujet qui passe à la trappe...

Le vol, un mal qui ronge l’hôpital en silence
Quatre portes fracturées, dix-huit endoscopes volés et la quasi-totalité des opérations de gastro-entérologie déprogrammées pendant plusieurs jours : c’est la désagréable mésaventure qu’a connu l’hôpital de Melun en novembre 2022, victime d’un cambriolage de grande ampleur. « Nous allons rajouter des caméras, des serrures, des alarmes. Ce sera de l’argent dépensé au détriment du personnel

Pour lire l'enquête de Matthieu Slisse

Pensez-vous que le sujet des vols à l'hôpital soit aussi tabou du fait du contexte hospitalier lui-même, où les conditions de prise en charge ne cessent de se dégrader ?

Prenez n'importe quelle entreprise. Si toutes les semaines, des dizaines d'objets disparaissaient, on ferait immédiatement une enquête. À l'hôpital, il y a tellement d'autres problèmes qu'on laisse passer. Ça devient un sujet annexe, ce qui est symptomatique de la crise de l’hôpital, alors même que dans certains hôpitaux, des ordinateurs disparaissent toutes les semaines... On ne cherche même pas à savoir ce qu'il s'est passé. On recommande des ordinateurs, et voilà. C'est quand même fou. Et les directions d'hôpital refusent d'en parler parce qu'elles ont la sensation que ça va les mettre mal. Alors que c'est un problème de fond. On ne va pas à l'hôpital pour se faire piquer ses affaires, ni quand on y travaille, ni quand on y est patient·e, surtout que l'hôpital public n'a vraiment pas besoin de ça.

Malgré cet omerta, vous avez réussi à faire d'importantes découvertes. Quelles sont-elles ?

À travers mon travail d'enquête, qui a consisté à contacter les institutions, recouper des éléments chiffrés pour essayer d'évaluer le préjudice financier des vols à l'hôpital, ainsi que recueillir des témoignages divers, j'ai progressivement découvert que ce phénomène était largement sous-estimé, alors même que c'est une problématique quotidienne. Il suffit d'échanger avec n'importe quel membre du personnel hospitalier pour s'en rendre compte ! Ça, ça a été une première chose.

Découvrez la mesure d'impact réalisée par Rembobine sur l'enquête de Matthieu Slisse :

Les vols à l’hôpital, un sujet tabou ?
Écrite par Matthieu Slisse pour Mediacités, l’enquête « Le vol, un mal qui ronge l’hôpital » met le doigt sur un phénomène largement sous-estimé aux conséquences nombreuses.

J'ai aussi découvert à quel point ces vols déstabilisent les équipes, d'autant que nombre de vols sont commis par le personnel hospitalier lui-même... Mais le plus problématique, c'est que ces vols dégradent la qualité des soins. Un des cas emblématiques, c'est celui de Melun [où après le vol d'endoscopes, la quasi‐totalité des opérations de gastro‐entérologie ont été déprogrammées pendant plusieurs jours, NDLR]. Ça peut vraiment avoir des conséquences très importantes.

A la suite de l'enquête et des découvertes que vous avez faites, vous avez lancé un appel à témoignages pour récolter d'autres histoires de vol à l'hôpital. Quel peut-être l'impact du journalisme collaboratif sur ce type de sujets ?

Effectivement, à la suite de l'enquête, nous avons décidé avec l'équipe de Mediacités de lancer un appel à témoignages parce qu'on voulait aller plus loin. On a reçu une cinquantaine de témoignages, ce qui est beaucoup pour un sujet aussi précis. D'ailleurs, l'appel à témoignages est toujours ouvert et on continue à en recevoir de temps en temps. La plupart du temps, on nous raconte des histoires de vol d'effets personnels. On se rend compte que l'hôpital est un endroit où on peut se faire voler très facilement ses affaires, un peu comme un hall de gare, alors qu'a priori, ça ne nous viendrait pas à l'esprit. Tous ces retours sont vraiment venus appuyer les informations que j'ai trouvées au fil de mon enquête, mais aussi ouvrir de nouvelles pistes. Grâce au témoignage d'un pharmacien par exemple, reçu dans le cadre de cet appel à témoignages, on a ainsi pu ouvrir un nouveau volet d'enquête sur les erreurs médicamenteuses à l'hôpital.

Dans la continuité de votre enquête, au-delà de l'appel à témoignages que vous avez lancé, vous avez également déposé sur la plateforme de participation de la Cour des comptes une proposition pour que les magistrats financiers consacrent un rapport au phénomène des vols à l'hôpital. Avez-vous l'impression que ça dépasse votre fonction de journaliste ?

Non, pas du tout. Cette demande auprès de la Cour des comptes, je l'ai faite pour pouvoir suivre le sujet du vol à l'hôpital et pour que l'enquête ait de l'impact. Peu d'articles créent de l'impact tout seul, sauf si l'info est tellement énorme qu'elle crée une déflagration, comme pour l'affaire Cahuzac par exemple. Sinon, il faut savoir pousser, d'autant que la Cour des comptes n'allait pas s'auto-saisir du sujet. Maintenant, reste à voir si elle décidera d'enquêter sur le sujet.

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante