đŽ Faux comptes de livreurs Uber Ă Marseille : le business florissant de la prĂ©caritĂ© #31
Cette semaine, plongĂ©e dans une enquĂȘte du mĂ©dia local d'investigation marseillais Marsactu. Les journalistes Julien Vinzent et Clara Martot Bacry ont croisĂ© le traitement de donnĂ©es et le travail de terrain pour dĂ©crypter le phĂ©nomĂšne d'achat et de location de faux comptes de livreurs Uber.
Salut les Rembobineur·euses !
Les choses avancent Ă mille Ă l'heure pour Rembobine. On voulait vous remercier d'ĂȘtre fidĂšles au poste et de vos rĂ©ponses Ă notre questionnaire, qui nous ont permis de mieux saisir vos envies et suggestions pour le futur du mĂ©dia. En fin de newsletter, nous vous proposons d'ailleurs une petite surprise de ce qu'on vous concocte depuis quelques temps.
En attendant, cette semaine, direction le sud et plus prĂ©cisĂ©ment Marseille pour revenir sur une fascinante enquĂȘte du mĂ©dia d'investigation local Marsactu parue l'annĂ©e derniĂšre dans le cadre d'un projet avec d'autres rĂ©dactions de proximitĂ©. Fascinante, car les journalistes ont explorĂ© des donnĂ©es accessibles Ă tous, le registre du commerce pour dĂ©couvrir un vrai problĂšme de sociĂ©tĂ© : la crĂ©ation en masse de faux comptes de livreurs Uber eats. En y associant du travail de terrain, les journalistes ont pu dĂ©couvrir l'Ă©chelle industrielle d'un systĂšme d'exploitation des plus prĂ©caires.
Rembobine est un jeune projet indĂ©pendant. Il ne vit que grĂące Ă vos partages et vos retours. NĂ© d'ateliers d'Ă©ducation aux mĂ©dias oĂč l'on disait « les journalistes en font des caisses sur un sujet, et la semaine d'aprĂšs, on en parle plus », il tente de montrer que le journalisme peut avoir de l'impact sur la sociĂ©tĂ©. N'hĂ©sitez pas Ă partager ce mail Ă vos ami·es, vous ĂȘtes les meilleur·es ambassadeur·drices đ
L'enquĂȘte : Comment le registre du commerce dĂ©voile des milliers de faux livreurs Ă Marseille
â Marsactu a dĂ©couvert des milliers de faux livreurs Ă Marseille, utilisant des adresses fictives et des noms improbables pour exercer cette activitĂ©.
â Pour mener cette enquĂȘte, Marsactu a analysĂ© le registre des sociĂ©tĂ©s et les donnĂ©es du systĂšme national d'identification pour repĂ©rer les anomalies.
â Au moins 2000 immatriculations suspectes ont Ă©tĂ© identifiĂ©es, rĂ©vĂ©lant la dimension industrielle et lucrative du systĂšme de crĂ©ation de faux comptes de livreurs Ă Marseille.
L'enquĂȘte en trois volets menĂ©e par les journalistes Clara Martot Bacry et Julien Vinzent de Marsactu rĂ©vĂšle une fraude massive dans le secteur de la livraison de repas Ă Marseille. En collaboration avec le collectif Data + Local, ils ont analysĂ© les donnĂ©es du registre des sociĂ©tĂ©s et les donnĂ©es du systĂšme national d'identification. Des milliers de faux livreurs ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s en utilisant de fausses adresses et de faux - et parfois improbables - noms. Certains commerces ont Ă©tĂ© utilisĂ©s comme domiciliation pour ces faux comptes, sans que les propriĂ©taires en aient connaissance. Par exemple, une rue de Noailles regroupe plus de 600 Ă©tablissements actifs, et une rĂ©sidence du 11e arrondissement compte 399 autoentreprises, dont 276 ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©es en mai et juin 2021.
Dans son reportage accompagnant l'enquĂȘte, la journaliste Clara Martot Bacry a interviewĂ© plusieurs livreurs dans les rues de la ville, notamment au Vieux-Port. Elle a dĂ©couvert que nombre d'entre eux, principalement des sans-papiers, utilisent des comptes Uber eats louĂ©s ou crĂ©Ă©s de maniĂšre frauduleuse pour travailler. Certains achĂštent des faux comptes pour environ 1000 euros, tandis que d'autres sous-louent des comptes existants.
Les livreurs ont expliqué les difficultés auxquelles ils sont confrontés en raison de leur statut administratif précaire, ainsi que les risques et les combines qu'ils utilisent pour continuer à travailler malgré tout. Ce reportage permet de souligner l'exploitation de ces travailleurs précaires et de déplorer l'absence de collectif ou de syndicat - comme il en existe dans d'autres villes - pour les représenter à Marseille.
Les plateformes de livraison de repas, telles qu'Uber eats, disent agir pour lutter contre ces fraudes. En 2019, Uber eats a instaurĂ© un systĂšme d'identification en temps rĂ©el par photo. En 2021, une nouvelle fonctionnalitĂ© a Ă©tĂ© ajoutĂ©e pour dĂ©tecter les cartes d'identitĂ© qui utilisent un mĂȘme modĂšle type et oĂč seules quelques informations minimes diffĂšrent. En outre, en avril 2022, quatre des principales plateformes (Uber eats, Deliveroo, Frichti et Stuart) ont signĂ© une charte de lutte contre la fraude, comprenant notamment un contrĂŽle supplĂ©mentaire au-delĂ de 5000 euros de revenus. Au premier semestre 2022, 2500 comptes ont ainsi Ă©tĂ© dĂ©sactivĂ©s au niveau national, soit prĂšs de 4 % du total.
đ„ En quĂȘte d'impact
Un an aprĂšs la publication de l'enquĂȘte de Marsactu, des mesures ont-elles Ă©tĂ© prises ? Les plateformes ont-elles mis en place de nouvelles procĂ©dures pour mieux contrĂŽler les nouveaux comptes ? LâĂtat et les pouvoirs publics se sont-ils emparĂ© de la question ?
Rembobine vous propose de dĂ©couvrir l'impact de l'enquĂȘte, d'aprĂšs une mĂ©thodologie inspirĂ©e du mĂ©dia d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut ĂȘtre inclus dans ce tableau.
â Une loi europĂ©enne pour renforcer les droits des travailleurs trĂšs prĂ©caires des plateformes numĂ©riques comme Uber ou Deliveroo a Ă©tĂ© votĂ©e le 11 mars 2024. Le dossier Ă©tait bloquĂ© depuis plusieurs semaines aprĂšs lâopposition de la France et de plusieurs autres pays.
â La question des faux comptes marseillais a Ă©tĂ© mentionnĂ©e par HervĂ© Street, ancien sous-traitant FedEx, auditionnĂ© lors de la commission d'enquĂȘte de l'AssemblĂ©e Nationale relative aux rĂ©vĂ©lations des Uber Files. Les deux journalistes n'ont eux pas Ă©tĂ© auditionnĂ©s.
- Les rĂ©dactions de BFM Marseille, France Bleu Provence et France 3 RĂ©gions ont repris l'article et mĂȘme interviewĂ© les deux journalistes.
â L'enquĂȘte a Ă©tĂ© repartagĂ©e Ă l'Ă©chelle nationale par Mediapart, partenaire de la rĂ©daction phocĂ©enne.
â Les deux journalistes ont enregistrĂ© un Ă©pisode du podcast Le Bocal de Marsactu, oĂč ils racontent les coulisses de l'enquĂȘte et leurs ressentis personnels.
â Clara Martot Bacry a Ă©tĂ© interviewĂ©e Ă propos de l'enquĂȘte dans l'Ă©mission Open Source de MattĂ©o Caranta sur France Culture.
â Dans de nombreuses villes de France, des collectifs de travailleurs des plateformes et de livreurs dĂ©noncent les conditions de travail et rĂ©clament la rĂ©gularisation des personnes sans-papiers exploitĂ©es.
â SollicitĂ© lors de l'enquĂȘte de Marsactu, le parquet de Marseille expliquait suivre la situation. Un an plus tard, il dit n'avoir pas lancĂ© de procĂ©dure spĂ©cifique.
â Le 25 avril 2023 dans le centre-ville de Montpellier, la police a menĂ© une opĂ©ration coordonnĂ©e de contrĂŽle des livreurs de repas en deux-roues, rapporte Midi-Libre. En ligne de mire, un phĂ©nomĂšne communautaire autour de cette activitĂ©, source de « mainmise » sur ce marchĂ© et de « violences sur la voie publique » , comme en fait Ă©tat la police.
â Suite Ă une opĂ©ration oĂč la police a arrĂȘtĂ© des dizaines de livreurs sans-papiers le mercredi 27 dĂ©cembre 2023 Ă Grenoble, Voiron et Vienne, le procureur de Grenoble, Eric Vaillant, a prĂ©cisĂ© dans un message sur son compte X que les contrĂŽles avaient Ă©tĂ© faits Ă sa demande et avaient « permis de constater que les livreurs en situation irrĂ©guliĂšre Ă©taient gravement exploitĂ©s par ceux qui leur sous-louaient leur licence ».
Les coulisses de l'enquĂȘte đ”ïžââïž
Clara Martot Bacry et Julien Vinzent sont tous les deux journalistes Ă Marsactu. Lors de cette enquĂȘte, ils ont croisĂ© le traitement de donnĂ©es et lâenquĂȘte de terrain. Pour Rembobine, ils reviennent sur l'intĂ©rĂȘt de dĂ©multiplier l'enquĂȘte au quatre coins de la France, sur l'exploitation de donnĂ©es ouvertes ou encore l'importance d'associer de l'enquĂȘte de terrain pour faire parler ces bases de donnĂ©es.
... Pour lire l'interview đ
Comment mieux suivre le sujet ? đ§°
Il y a quelques mois, nous nous Ă©tions dĂ©jĂ intĂ©ressĂ©s Ă l'uberisation, Ă travers une enquĂȘte d'Emma Bougerol sur la plateforme StaffMe. On l'avoue, il est difficile de se passer de ces services qui nous offrent tout et n'importe quoi en un clic. Mais il faut se saisir du problĂšme. Car derriĂšre, ce sont souvent les plus prĂ©caires qui trinquent. Heureusement, il existe de plus en plus de ressources et de nombreuses personnes Ă suivre pour comprendre tout ça.
MentionnĂ©s dans les impacts, les travaux de la commission dâenquĂȘte parlementaire consacrĂ©e aux "Uber Files" permettent d'avoir une vue globale sur l'Ă©tendue de l'uberisation, les imbrications politiques et les enjeux sociaux. En plus, ils confirment les informations rĂ©vĂ©lĂ©es en juillet 2022 par la cellule investigation de Radio France. La commission dĂ©nonce une proximitĂ© Ă©troite entre Uber et Emmanuel Macron qui sâest poursuivie aprĂšs son Ă©lection Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique.
Vous pouvez suivre Kevin Mention sur Facebook. C'est l'avocat incontournable des "uberisés". Fiscaliste de formation, il est devenu le défenseur incontournable des coursiers Deliveroo, chauffeurs Uber, gérants de boutiques Nicolas⊠Inlassablement, il combat la fausse indépendance.
Lecteur·ices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Discuter de l'article avec votre entourage, partagez-le ainsi que l'Ă©tude de son impact par Rembobine sur vos rĂ©seaux pour sensibiliser un plus large public Ă la situation des livreurs prĂ©caires đ
2. Soutenez les collectifs de livreurs dans vos villes en faisant des dons, en participant Ă des actions de solidaritĂ© ou en relayant leurs revendications. â
3. Contactez vos Ă©lus locaux pour les sensibiliser Ă la situation des livreurs et les encourager Ă prendre des mesures pour amĂ©liorer leurs conditions de travail. âïž
4. Boycottez les plateformes de livraison qui exploitent les livreurs et privilĂ©giez des alternatives plus Ă©thiques et respectueuses des droits des travailleurs. Si on commande on laisse un vrai pourboire, mĂȘme Ă un livreur Ă©thique đ
5. Abonnez-vous aux mĂ©dias locaux d'investigation comme Marsactu, qui rĂ©vĂšlent des affaires sur vos territoires ! đïž
Vous l'attendiez, vous avez peut-ĂȘtre mĂȘme scrollĂ© directement jusqu'en bas pour la dĂ©couvrir... Nous sommes quoi qu'il arrive trĂšs contents de vous retrouver ici. Alors la voici. Depuis plusieurs semaines, la graphiste Juliette Banquet travaille Ă la nouvelle charte graphique de Rembobine. Elle ne va pas tarder Ă se dĂ©cliner sur tous nos supports, mais dĂšs Ă prĂ©sent, dĂ©couvrez le futur logo de Rembobine. Finie la mire bricolĂ©e au dĂ©marrage de l'aventure, merci pour tes services.
On a un service Ă vous demander.
Cette newsletter est rédigée chaque semaine par une petite équipe de bénévoles qui consacrent plusieurs heures de leur semaine à s'interroger sur l'impact de l'actualité et la meilleure façon de vous aider à prendre du recul sur l'information.
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- Parlez de Rembobine sur les rĂ©seaux ! En partageant ce dernier retour (le lien Ă partager est celui-ci) sur une enquĂȘte ou le concept de notre mĂ©dia, qui entend lutter contre l'obsolescence de l'information !
Ă tantĂŽt !
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