"Impact manager", "Impact producer" ou "chargé d'impact", tout savoir sur ce poste à créer au sein de votre média

C'est un métier encore peu connu en France, dont on connait mal les responsabilités et qui peut même porter plusieurs noms. Pourtant, il est indispensable à la mise en place d'une véritable stratégie de mesure d'impact au sein de votre média. Explications.

Arno Soheil Pedram
Arno Soheil Pedram

Vous réfléchissez à l’idée de dédier une personne à la gestion de l’impact dans votre rédaction, mais vous hésitez encore. Quels sont les avantages d’un tel poste ? Quels profils rechercher, et comment cette personne peut-elle s’intégrer dans votre équipe sans devenir un silo isolé ? Définir un rôle dédié à l’impact peut permettre un suivi rigoureux, une valorisation efficace des résultats et une sensibilisation continue au sein de la rédaction.

Mais pour que cela fonctionne, il faut d’abord identifier précisément les besoins de votre média : s’agit-il de structurer la veille, de produire des rapports pour vos financeur·euses, ou encore d’intégrer l’impact dès la conception des enquêtes ? En répondant à ces questions, vous aurez les clés pour bâtir un poste cohérent et en phase avec vos objectifs éditoriaux et organisationnels.

Quelles sont les responsabilités du chargé d'impact au sein de votre rédaction ?

🙌 Dissémination de l’approche d’impact dans la rédaction

La personne chargée de l’impact s’occupera aussi parfois de s’assurer que l’approche de l’impact est intégrée dans le processus éditorial, et pas seulement restreinte à ce qui vient après la publication. Lindsay Green Barber, d’Impact Architects, conseille que des points mensuels sur l’impact soient réalisés en rédaction, de façon à voir ce qui a de l’impact, et si les processus d’impact fonctionnent en interne. « En fonction de l'état d'avancement de l'enquête, soit quelques mois à l'avance, soit quelques semaines à l'avance, nous nous réunissons avec les journalistes ou les rédacteurs en chef et réfléchissons à ce que pourrait être les répercussions, en fonction des découvertes des enquêtes », raconte Tessa Pang, chargée de l’impact à Lighthouse Reports. Pendant cette phase, elle demande par exemple aux journalistes : « quels réseaux de personnes devrions-nous viser pour obtenir des impacts à plus ou moins long terme ? ».

“Les journalistes font déjà attention à leur impact, il s’agit simplement de le systématiser.”
Entretien avec Lindsay Green Barber, fondatrice de Impact Architects et référence dans le monde de la mesure et l’utilisation de l’impact dans le journalisme.

Faut-il revoir la façon dont on prépare nos enquêtes ? Identifier plus en amont qui serait intéressé par notre enquête pour s’assurer d’une meilleure diffusion ? Organiser un événement ? Produire l’enquête sous un autre format pour toucher un public cible trop peu sensibilisé à une de nos révélations ? Cibler un impact mémorable récent qu’il faut suivre, ou qui nous enseigne quelque chose sur une façon de faire des enquêtes à impact ? Voilà d’autres réflexions possibles lors de ces réunions. 

La personne chargée de l’impact s’occupe aussi de sensibiliser les journalistes à l’utilisation du formulaire d’impact, s’il y en a un.

👀 Veille de l'impact de votre média

Le ou la journaliste chargé·e de l’impact s’occupe de mettre en place le formulaire utilisé par les journalistes de la rédaction pour qu’ils soumettent eux-mêmes leurs impacts.

Comment repérer les impacts de vos enquêtes ?
Une veille de votre impact est essentielle pour mesurer les retombées de vos enquêtes. Chaque mention, réaction, changement de pratiques est une preuve de votre impact. Découvrez comment repérer ces impacts, quels outils utiliser pour organiser votre suivi et comment structurer les résultats.

Mais un·e journaliste chargé·e de l’impact peut aussi décider de faire la veille sans formulaire pour décharger ses collègues et s’assurer que ce soit fait à sa façon. « Nous avons un outil de suivi d'impact qui est réalisé via AirTable (outil de gestion de base de données no-code disponible en ligne) », explique Tessa Pang. « Ce suivi est effectué par un peu tout le monde. C’est la responsabilité des journalistes d'y mettre leur impact, mais c'est aussi quelque chose que les chargé·es d'impact peuvent faire eux-mêmes. » Cette personne se charge ainsi de définir les différents critères qui constitueront ensuite les colonnes du tableau synthétique des impacts.

🧹 Maintenance de la base de donnée 

Cette personne s’occupe aussi de tenir la base de donnée : AirTable, Notion, ou un simple tableau Excel ou Google Sheets, cela dépend des outils que vous utilisez pour la veille.

Si vos collègues soumettent eux-mêmes leurs impacts dans un formulaire, cette personne vérifie aussi que les entrées sont bien conformes. Réfléchissez à vos catégories, leur pertinence. Peut-être qu’avec le temps vous réaliserez que certaines catégories sont à ajouter, d'autres à enlever, fusionner.

Comment classer les retombées d’une enquête pour mieux mesurer son impact
Mesurer l’impact d’une enquête est un enjeu central pour les médias, mais quelle approche choisir pour suivre, mesurer et classer ses conséquences ? Tour d’horizon des pratiques des médias les plus avancés sur la question en France et à l’étranger.

Chaque impact manager aura sa façon de travailler, en fonction de la ligne éditoriale du média, ce qu’elle ou il trouve pertinent de suivre, ce qui est le mieux pour l’utilisation que vous en ferez dans vos rapports, auprès de vos lecteur·ices et vos financeur·euses.

📣 Diffusion de l’impact de la rédaction

La personne chargée de l’impact s’occupe aussi souvent de mettre en forme le rapport annuel d’impact. Le rapport présente une synthèse digeste pour le grand public et les financeur·euses, résume des impacts importants et les enquêtes associées. « Lorsque nous présentons nos projets pour obtenir des financements et rendons nos résultats auprès de bailleurs de fonds, nous leur parlons toujours d'impact, et ils adorent ça, détaille Lucy Nash, chargée de l’impact pour TBIJ. Les bailleurs de fonds aiment l'impact parce qu'il ne s'agit pas seulement de journalisme pour le journalisme, mais de journalisme qui joue un rôle dans la société. »

Certain·es chargé·es de l’impact communiquent aussi plus régulièrement sous forme de newsletters ou articles d’impact pour les lecteur·ices. Lucy Nash de TBIJ anime ainsi une newsletter, The Spark, sur l’impact des enquêtes du média. Moi-même, chez Disclose, participe aux emails envoyés lors d'impacts retentissants de certaines enquêtes.

Quel profil privilégier ?

La personne chargée de l’impact est-elle communicante, journaliste ou autre chose ? Cela dépend des missions que vous voulez bien lui donner. Doit-elle préparer en amont l’impact avec vos journalistes ? Doit-elle repasser sur des reportages passés pour découvrir quel a été son impact a posteriori, et potentiellement révéler des nouvelles informations ? Doit-elle seulement comptabiliser les impacts pour produire des rapports pour les financeur·euses et les lecteur·ices ? Les réponses à ces questions et votre façon de travailler en interne seront déterminants pour déterminer le meilleur profil à sélectionner.

Les personnes en charge de l’impact dans des médias tels que TBIJ, SJN, Impact Architects ou Lighthouse Reports ont des profils différents mais quelques points communs. Ils proviennent souvent du monde du journalisme, du plaidoyer et/ou des sciences politiques. Et bien sûr, ils comprennent les mécanismes médiatiques provoquant des changements sociétaux. 

Journaliste d’“engagement” ?

Ces responsabilités là peuvent aussi être liées aux postes de “engagement journalist”, qui a un rôle plus intégré au fonctionnement de la rédaction. C'est le cas notamment dans certaines rédactions américaines comme DocumentedNY, un média spécialisé sur les questions migratoires et dirigé vers les communautés immigrées à New York. Là, le terme de “engagement journalist n’est pas à entendre comme des journalistes “engagés” ou militants mais comme des journalistes "qui engagent", font participer leurs lecteur·ices différemment.

Lindsay Green Barber écrit ainsi que « le “engaged journalism” est une pratique inclusive qui donne la priorité aux besoins informationnels des membres de la communauté qu’elle sert, crée un espace de collaboration pour le public dans tous les aspects du processus journalistique et se consacre à la construction et à la préservation de relations de confiance entre les journalistes et le public ». 

Les "engagement journalists" mettent ainsi en place différents canaux d’échange comme des formulaires ou des ateliers d’échanges pour obtenir un retour direct des personnes qui les lisent, savoir ce qui les préoccupe, les questions qu’elles ont, les informations dont elles ont besoin. Entre une forme de journalisme de service, et une autre façon de penser la ligne éditoriale, les “engagement journalists” se préoccupent aussi de comment avoir un impact sur les lecteur·ices pour lesquelles elles et ils travaillent.

Travailler l’impact : oui mais jusqu’où ?

Certain·es journalistes chargé·es de l’impact, parfois de par leur passé de chargé·e de plaidoyer, cultivent des liens avec les politiques intéressé·es par leur travail et en mesure d’interpeller les autorités compétentes. Certains, comme chez Disclose, se limitent à envoyer des emails ciblés à des élus sur des enquêtes particulières. D’autres, comme Lucy Nash chez TBIJ, tiennent des échanges par application de messagerie avec des attachés parlementaires susceptibles de mobiliser leur travail. Quelle ligne tenir avec l’activisme ? « Nous ne prenons pas parti, explique Lucy Nash. Nous présentons simplement les faits et nous nous assurons qu'ils sont présentés aux bonnes personnes. Nous essayons de ne pas nous transformer en militants. »

👊 L'impact en rédac

Arno Soheil Pedram

Journaliste chargé de la réflexion autour de la mesure d'impact pour Disclose et Rembobine