
Eaux en bouteille : une enquête qui éclabousse l’industrie et les autorités
En janvier 2024, une enquête conjointe menée par Le Monde et Radio France a révélé un scandale majeur dans l’industrie des eaux embouteillées.
Pendant des années, des marques bien connues comme Vittel, Hépar, Perrier ou St-Yorre, vendues comme "eaux de source" ou "eaux minérales naturelles", ont été soumises à des traitements interdits par la réglementation. Ces techniques, comme la microfiltration, les rayons ultraviolets ou l’utilisation de charbons actifs, sont autorisées pour l’eau du robinet mais strictement prohibées pour ces eaux censées provenir de sources protégées et être commercialisées sans désinfection. L’enquête a estimé qu’au moins 30 % des marques françaises étaient concernées par ces pratiques, affectant des millions de consommateurs qui n’en avaient pas été informés.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ L’enquête de la cellule investigation de Radio France et du Monde révèle que certaines marques d’eau en bouteille utilisent des traitements interdits pour purifier l’eau.
→ Ces pratiques vont à l’encontre des règles qui garantissent une eau naturellement pure pour les consommateur·trices.
💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ L’enquête, qui a eu un très important écho médiatique, a entraîné une commission sénatoriale, des développements d’enquêtes judiciaires et de nombreuses critiques publiques.
→ Elle a suscité une vraie remise en question de la transparence et de la confiance des consommateur·trices, mais les pratiques de Nestlé continuent.
Quand l’eau pure ne l’est plus, une fraude de l'industrie couverte par les autorités
Les journalistes ont découvert que le gouvernement français était au courant de ces pratiques depuis 2021. Une réunion interministérielle, tenue en février 2023, a décidé en toute discrétion d’assouplir la réglementation, en accordant une dérogation au groupe Nestlé pour qu’il puisse continuer d’utiliser certaines techniques non conformes, comme la microfiltration en dessous de 0,8 micron.
Cependant, la France n’a pas informé la Commission européenne de ces changements, ni les autres États membres, bien qu’elle y soit légalement obligée. Ce silence a été interprété par certains comme une volonté de protéger les industriels au détriment de la transparence et des normes sanitaires européennes.

Face aux révélations, Nestlé Waters, l’un des principaux acteurs mis en cause, a rapidement reconnu avoir utilisé des techniques non conformes, tout en cherchant à minimiser les faits. Dans un communiqué, la présidente de Nestlé Waters, Muriel Lienau, a admis que ces traitements n’étaient pas alignés avec la réglementation ou son "interprétation", tout en insistant sur le fait que la sécurité alimentaire avait toujours été garantie. L’entreprise a justifié ces pratiques par l’impact du changement climatique et la montée du stress hydrique, affectant la qualité des sources. Cette réponse, perçue comme un aveu tardif et insuffisant, a intensifié les critiques envers l’entreprise et l’industrie en général.
L’enquête a également révélé des manœuvres de dissimulation. Dans les deux usines françaises du groupe Nestlé, situées dans les Vosges où l’entreprise produit les marque Vittel, Hépar et Contrex, et dans le Gard, où sont fabriquées les bouteilles de Perrier, les dispositifs de traitement interdits ont été volontairement cachés, afin de tromper les agents des contrôles sanitaires qui pensaient contrôler de l’eau brute, alors que celle-ci avait été traitée, pour masquer la contamination de la ressource à des bactéries et par des polluants chimiques (pesticides, pfas…).
Mais dans cette affaire, la responsabilité des pouvoirs publics est aussi engagée : alors que le gouvernement et de nombreuses administrations étaient au courant de la tromperie depuis l’été 2021, il aura fallu attendre fin 2022 pour que l’Agence régionale de santé (ARS) des Vosges saisisse la justice, tandis que son homologue en Occitanie n’a toujours pas signalé les infractions constatées au procureur pour l’usine Perrier du Gard, qui ne fait encore à ce jour l’objet d’aucune enquête pénale. Ce scandale a mis en lumière un système où les intérêts économiques semblent avoir pris le pas sur les obligations légales et les droits des consommateurs.

💥 L'impact de l'enquête sur l'eau en bouteille
Rembobine propose une visualisation de l'impact de chaque enquête. Revenir sur un événement qui date d'un an n'est pas chose aisée. Pour cela, il est utile de s'appuyer sur une méthodologie commune à chaque article. Elle est inspirée de celle qu'a utilisée Disclose pour son rapport d'impact 2022.
L'impact est catégorisé en 4 catégories : institutionnel, judiciaire, médiatique et public.
→ Le 6 février 2024, Clémence Guetté, députée de Val-de-Marne, a attiré l'attention de la ministre de la Santé sur les pratiques trompeuses de l'industrie de l'eau en bouteille, révélées par une enquête de Radio France. Elle a interrogé sur l'influence du lobbying des multinationales quant à l'évolution de la réglementation en la matière. Question posée à nouveau par Aurélien Saintoul, député des Hauts-de-Seine, le 8 octobre 2024.
→ Lors des questions d’actualité au gouvernement au Sénat, où plusieurs sénateurs ont évoqué le scandale, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a répondu. Il a souligné la nécessité de laisser la justice suivre son cours, tout en rappelant l'importance de garantir la sécurité sanitaire des consommateur·trices.
→ Le 25 juillet 2024, la Commission européenne publie un audit critiquant sévèrement le système français de contrôle des eaux en bouteille. Elle met en avant des "lacunes sérieuses" et une incapacité à garantir la conformité des produits aux normes légales.
→ Le 16 octobre 2024, un rapport sénatorial a dénoncé un "scandale industriel doublé d'un scandale politique”, pointant du doigt la responsabilité des autorités publiques. Le gouvernement a réagi en annonçant la mise en place de mesures correctives pour améliorer la transparence et l'efficacité des contrôles sanitaires.
→ Le 20 novembre 2024, le Sénat constitue une commission d’enquête sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances des contrôles. Les auditions sont en cours et peuvent être regardées en direct. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), auditionnée, a déploré le manque de coordination entre services de l’État. Marie Dupin a été auditionnée également. “Les auditions, visibles en direct sur internet, font des records de vues, preuve que c’est un sujet qui intéresse du monde”, explique la journaliste.
→ Le 12 décembre 2024, le Sénat adopte un amendement au projet de loi de finances 2025, augmentant la TVA sur les eaux en bouteille plastique de 5,5 % à 20 %. Cette décision fait suite au scandale et vise à inciter à des pratiques plus durables.
→ L'affaire a été massivement reprise par des médias majeurs, au-delà de la copublication des deux énormes médias que sont Le Monde et Radio France. Futura-Science, BFMTV, les DNA, France 24, RFI ou encore Que Choisir ont relayé l'enquête. Public Sénat a également beaucoup suivi l’affaire tout au long de l'année.
→ En juillet 2024, Mediapart révélait de nouveaux éléments issus d’un rapport de la DGCCRF. La fraude de Nestlé s’élève à plus de 3 milliards en 15 ans. Ils poursuivent ce dossier “Water Stories” Le 24 janvier 2025, le média en ligne révélait la stratégie de lobbying de la multinationale sur le sujet.
→ Une émission d'Envoyé Spécial a été consacrée au problème. Quelques créateurs de contenus sur YouTube se sont également emparés du sujet.
→ Le 10 septembre 2024, Nestlé Waters conclut une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec le parquet d’Épinal. La multinationale accepte de payer une amende de 2 millions d’euros pour éviter des poursuites judiciaires liées à l’utilisation de traitements interdits et des forages illégaux.
→ Le 25 septembre 2024, l’ONG Foodwatch dépose deux nouvelles plaintes pour "tromperie" contre X, visant notamment Nestlé Waters et Sources Alma. Ces plaintes dénoncent l’utilisation de traitements illégaux sur des eaux prétendument "de source" ou "minérales naturelles”. On apprenait, vendredi 17 janvier, qu’un juge d’instruction avait été nommé fin décembre par le tribunal judiciaire de Paris, faisant suite à ces plaintes.
→ L’ONG Foodwatch, en complément de son action en justice, a lancé une pétition. À l’heure actuelle, plus de 18 000 personnes l’ont signée.
Les coulisses de l'enquête 🕵️♀️
Marie Dupin est journaliste à Radio France, spécialisée dans les questions de santé publique, de consommation et d’environnement. Elle a collaboré avec Stéphane Foucart du journal Le Monde pour révéler des pratiques illégales dans l'industrie des eaux embouteillées, mettant en lumière des manquements graves des industriels et des autorités publiques.
Dans son interview à Rembobine, elle dénonce une entente secrète entre l'État et Nestlé pour cacher une fraude systémique dans l'eau embouteillée, l'échec des pouvoirs publics et la persistance de pratiques non-conformes, malgré les révélations.

Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰
En parallèle des révélations sur les fraudes dans l’eau en bouteille, un autre problème inquiète : la pollution de l’eau potable par les PFAS, ces "polluants éternels" issus de l’industrie chimique. Ce jeudi 23 janvier, les associations UFC-Que choisir et Générations futures ont révélé une contamination massive de l’eau potable à l’acide trifluoroacétique dans de nombreuses villes.

Hydrologue indépendante, défenseure de la biodiversité, Charlène Descollonges a publié Agir pour l’eau aux Editions Tana, sorte de manuel citoyen pour préserver la ressource.

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Partagez l’enquête et sa mesure d'impact sur les réseaux sociaux pour sensibiliser le public.
2. Signez des pétitions comme celle de Foodwatch pour exiger des actions concrètes.
3. Écrivez à vos élu·es pour demander des explications et des mesures.
4. Soutenez des associations comme Foodwatch ou Générations Futures par des dons ou un engagement.
5. Participez ou organisez des débats publics à l'échelle locale pour échanger sur les enjeux et solutions liés à l’eau.
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