Voitures électriques en Europe, ravages sociaux et environnementaux au Maroc #38

La journaliste Celia Izoard a enquêté pour Reporterre sur la mine de Bou-Azzer, au Maroc, qui produit notamment du cobalt, un minerai plébiscité pour la construction des batteries des voitures électriques.

Cécile Massin
Cécile Massin

Table des matières

Salut les Rembobineur⸱euses,

J'ai passé la semaine dernière à me demander comment j'allais réussir à écrire cet édito, réfléchi à quels mots choisir face à l'ampleur du désastre annoncé et puis finalement, la stupeur et la joie, immense, ont tout balayé sur leur passage face à la victoire du Nouveau front populaire (NFP) au second tour des élections législatives. Maintenant, tout reste à construire et le défi s'annonce de taille. Alors on lâche rien, on se retrousse les manches, et on continue.

De notre côté, à Rembobine, on continue à faire ce qu'on sait faire de mieux : rembobiner l'actu. Parce que pour bien lutter, on en est persuadé, il faut être bien informé. Pour réussir à prendre du recul, comprendre comment l'information se fabrique et prendre la mesure des répercussions qu'elle peut avoir dans nos vies à toustes.

Pour cette nouvelle newsletter à la saveur un peu particulière, puisque c'est la dernière avant notre pause estivale, on vous embarque à la découverte d'une enquête qui a fait peu de bruit et qui, pourtant, aurait de quoi, là encore, donner des envies de révolution. Cette enquête, c'est celle de la journaliste indépendante Celia Izoard. Pour Reporterre, elle a travaillé sur la façon dont BMW et Renault, pour construire leurs voitures électriques, ravagent l'environnement du sud du Maroc et les droits les plus élémentaires des travailleurs marocains.

Sur ces quelques mots, on vous souhaite un bon shoot d'impact grâce à cette édition ! Et si elle vous plaît, écrivez-nous, on est friand⸱es de tous les retours ! Vraiment, ce serait génial pour préparer la rentrée. Faites le tout simplement en réponse à ce mail !

Photo de Cécile Massin
Cécile Massin, rédactrice de Rembobine
hello@rembobine.info
Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture ! Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détail, une interview de la journaliste et ses recommandations pour continuer à creuser le sujet.

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ La journaliste Celia Izoard a enquêté pour Reporterre sur la mine de Bou-Azzer, au Maroc, qui produit notamment du cobalt, un minerai plébiscité pour la construction des batteries des voitures électriques.
→ Alors que la mine est dite éthique, et que BMW et Renault s’enorgueillissent de s'approvisionner en cobalt "responsable", l'enquête décrypte les conséquences délétères de l'extraction minière dans cette région du Maroc, tant sur l'environnement que sur la santé des habitants et les conditions de travail des mineurs.

💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Inquiet, l’État marocain a lancé une campagne diffamatoire à l'encontre de Celia Izoard pour tenter de décrédibiliser son travail, dans un pays où les oppositions sont verrouillées.
→ La Managem, entreprise minière marocaine en charge de la mine de Bou-Azzer, a également essayé de décrédibiliser le travail de la journaliste lors de la COP 28.
→ Côté européen, les réactions ont été minimes en France, mais en Allemagne, où une seconde enquête a vu le jour, BMW a été sommé de donner des explications sur son activité au Maroc.

Des mines « responsables », argument marketing ou exploit industriel ?

Sur le papier, le projet paraît séduisant, on vous l'accorde. Au Maroc, dans la mine de Bou-Azzer, l'entreprise minière Managem – propriété de la famille royale marocaine – déclare extraire du cobalt « responsable », un minerai particulièrement convoité parce qu'il sert notamment à la production des batteries des voitures électriques. Et parmi les clients de la Managem, BMW en Allemagne et Renault en France (à partir de 2025) se targuent tous deux d'une production minière éthique, loin des scandales de l'extraction en République démocratique du Congo. De quoi se donner bonne conscience, donc, lorsqu'on roule à bord de son bolide électrique.

Dans les faits, pourtant, la réalité de cette mine, créée en 1934 pendant la colonisation française et qui produit plus de 2400 tonnes de cobalt et près de 7700 tonnes d'arsenic, est bien moins reluisante, comme le montre l'enquête implacable de Celia Izoard, publiée en deux volets (Mines au Maroc : la sinistre réalité du « cobalt responsable » puis Au Maroc, une mine de cobalt empoisonne les oasis) en juillet 2023 sur le site du pure player spécialisé sur l'écologie Reporterre.

L'extraction minière, d'abord, menace les ressources en eau de la région. Bien que la Managem ne publie pas ses prélèvements en eau, on peut estimer que les usines de traitement du minerai de Bou-Azzer nécessitent environ 1 million de m³ d’eau par an dans cette région désertique du Maroc, soit l’équivalent de la consommation locale de 50 000 personnes, nous apprend l'enquête.

Les déchets miniers ont également gravement pollué les oasis du bassin de l’oued Alougoum au sud de Ouarzazate, où l’eau des puits et les terres présentent des concentrations en arsenic plus de quarante fois supérieures aux seuils. Et les habitants qui vivent à côté de la mine sont, eux, quotidiennement exposés aux dizaines de milliers de tonnes d'arsenic stockées à l'air libre à côté de la mine, jeunes et moins jeunes souffrant ainsi, entre autres, d'importants problèmes respiratoires.

Au Maroc, une mine de cobalt empoisonne les oasis
© Benjamin Bergnes / Dans la dernière partie de l'enquête, Célia Izoard montre comment la mine de cobalt empoisonne les oasis

Une situation sanitaire et environnementale plus que délétère, à laquelle s'ajoutent, comme le montre Celia Izoard, des conditions de travail indignes pour les miniers qui descendent chaque jour dans la mine. Pour les 1 200 salariés de la mine de Bou-Azzer, l'exposition chronique à l'arsenic cause, entre autres, des cancers de la peau, des poumons et de la vessie, et des maladies neurologiques.

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l'enquête de Reporterre, la mine de Bou-Azzer a-t-elle fait l'objet de contrôles ? Renault et BMW se sont-ils exprimés sur le sujet ? Parmi la société civile comme dans les médias, des voix se sont-elles élevées contre l'extraction minière au Maroc ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ✔️

→ Suite à la parution de l'enquête, l’État marocain a lancé une campagne diffamatoire contre Celia Izoard. « Des faux sites de presse marocains qui dépendaient étroitement du régime affirmaient que des journalistes mal intentionnés travaillant pour une puissance étrangère seraient allés dans un village et auraient mené une fausse enquête à charge qui ne raconterait que des mensonges, déplore la journaliste. Un journaliste marocain lié au régime a même publié une contre enquête, où il expliquait ne voir absolument aucun problème avec la mine. »

→ Côté français, par contre, ni l’État ni Renault ne se sont exprimés, du fait du manque « de pression médiatique », explique Celia Izoard.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️

→ L'enquête de Celia Izoard a été publiée en arabe par le média marocain Hawamich.

→ En France, l'enquête a également été reprise dans plusieurs médias comme le média économique dédié à la transition écologique et sociale Novethic. Celia Izoard a également été invitée à s'exprimer dans l’émission La Terre au carré (France Inter) et sur Le Média, « mais ça reste des niches », regrette Celia Izoard. Une dépêche AFP est également revenue sur l'affaire, suite à la parution d'une dépêche Reuters en Allemagne.

→ Celia Izoard a ensuite mené une enquête collaborative avec la NDR et la WDR, chaînes de télévision généralistes régionales allemandes, ainsi que le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et le média marocain Hawamich. Contrairement à la France, l'affaire a eu un très grand écho médiatique en Allemagne. « L'enquête confirme la pertinence des partenariats internationaux, détaille la journaliste. L'enquête avec Reporterre seule n'a pas eu beaucoup d'impact, mais dès qu'une alliance a été faite avec d'autres médias, on a tout de suite été beaucoup plus efficaces et beaucoup plus forts. »
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IMPACT JUDICIAIRE ✔️

→ Suite à l'enquête menée conjointement par Celia Izoard en France et plusieurs médias allemands, l'autorité fédérale allemande « a décidé d'ouvrir une enquête sur BMW pour violation du devoir de vigilance, explique Celia Izoard. BMW a fini par avouer que si des représentants de l'entreprise étaient bien allés sur place, ils n'avaient jamais conduit de véritable audit, continue la journaliste. Ils ont donc affirmé que la mine était « responsable » sur simple déclaration de Managem ».

→ En France, Renault n'a pas été attaqué. « L'entreprise n'a pas non plus réagi et doit toujours commencer à s'approvisionner en cobalt au Maroc à compter de 2025 », annonce Celia Izoard.

→ Lors de la COP 28, la direction de Managem a fait une intervention publique pour expliquer que tout ce qui avait été dit dans l'enquête de Reporterre était faux. « Ils ont aussi assuré que Hervé Kempf [directeur de la rédaction de Reporterre, NDLR] et moi avions été attaqués en diffamation, alors qu'ils ne l'ont jamais fait, détaille Celia Izoard. On ne s'inquiète pas, car l'enquête est particulièrement solide. »
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IMPACT PUBLIC ✔️

→ Dans la foulée de la publication de l'enquête une tribune est parue sur Mediapart. Portée par l'association Henri Pezerat, spécialisée sur la santé des personnes en lien avec le travail et l’environnement, et notamment cosignée par la Ligue des droits de l'homme (LDH), la tribune s'alarme de l'extraction de cobalt dans la mine de Bou-Azzer.

→ Côté marocain, il est plus difficile de mesurer l'impact de l'enquête notamment dans la société civile du fait du régime politique en place qui cadenasse toute forme d'opposition.

Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️

Célia Izoard est journaliste indépendante, autrice et traductrice. Spécialisée dans les pollutions industrielles, elle collabore notamment pour le pure player écologique Reporterre et le média d'investigation breton Splann !. Pour Rembobine, elle revient sur la façon dont elle a enquêté au Maroc, les découvertes qu'elle y a faites, et l'héritage néocolonial de la mine de Bou-Azzer au Maroc.

Pour lire l'interview 👇

“Pour faire baisser nos émissions carbone, on pollue en plein désert”
Célia Izoard est journaliste indépendante, autrice et traductrice spécialisée dans les pollutions industrielles. Pour Rembobine, elle revient sur son enquête sur la mine de Bou-Azzer au Maroc, les découvertes majeures qu’elle a faites, ainsi que l’héritage néocolonial de la gestion de cette mine.

Comment mieux suivre le sujet ? 🧰

Le sujet de l'extraction minière peut, de prime abord, sembler quelque peu opaque pour les non initié·es. Alors pour celles et ceux qui s'intéressent doucement mais sûrement au sujet, on ne peut que vous conseiller de commencer par l'ouvrage de Celia Izoard (eh oui, encore elle) La rue minière au XXIe siècle, enquête sur les métaux à l'ère de la transition. Une enquête sur des sites miniers du monde entier, qui montre l'hypocrisie de la dite « transition » extractiviste à l'heure du dérèglement climatique.

Célia Izoard, et nous avec, vous conseillons également d'aller regarder du côté du site internet de SystExt, une association qui s'intéresse aux impacts humains, sanitaires, sociaux et environnementaux des systèmes extractifs, en particulier miniers. Une mine d'informations (pardonnez-nous l'expression) autant pour celles et ceux qui s'intéressent au sujet, que pour les populations affectées qui souhaitent s'exprimer et être reconnues.

Enfin, pour celleux qui souhaitent ouvrir le débat, on vous renvoie vers l'ouvrage de Philippe Bihouix, L'âge des low tech. Un livre qui, à l'heure des technologies dites vertes, démonte un à un les mirages des innovations high tech et propose de prendre le contre-pied de la course en avant technologique en se tournant plutôt vers les « basses technologies ». L'enjeu : explorer les voies possibles vers un système économique et industriel soutenable dans une planète finie. Rien que ça.

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Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

Lecteur·ices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !

1. Discutez de l'article avec votre entourage, partagez-le ainsi que l'étude de son impact par Rembobine sur vos réseaux pour informer un plus large public 💖

2. Plongez dans les travaux de Celia Izoard et parlez en autour de vous 📚

3. On sait que c'est difficile de savoir d'où proviennent chaque composant des objets du quotidien, mais questionnez-vous au maximum et privilégiez les circuits courts et équitables.

4. Demandez à votre nouveau·elle député·e d'agir ! Interpellez-le ou la sur les réseaux ou écrivez-lui. On vous a préparé un template d'e-mail en cliquant sur le lien ci-dessous 📣

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Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante