« Il était vraiment temps qu'on pose les mots de violences ordinaires sur le scoutisme »

Louis Van Ginneken est l'un des trois journalistes de Médor qui a coordonné l'enquête Scout toujours ?. Pour Rembobine, il revient sur la place du scoutisme en Belgique, l'importance de créer des espaces où victimes et auteurs puissent témoigner et le rôle des enquêtes participatives.

Cécile Massin
Cécile Massin

Louis Van Ginneken est l'un des trois journalistes de Médor qui a coordonné l'enquête Scout toujours ?. Pour Rembobine, il revient sur la place du scoutisme en Belgique, l'importance de créer des espaces où victimes et auteurs puissent témoigner, et le rôle des enquêtes participatives pour faire émerger des récits peu entendus.

Bonjour Louis. Comment avez-vous commencé à travailler sur le sujet, d'ailleurs très peu médiatisé, des violences ordinaires au sein des mouvements scouts en Belgique ?

Louis Van Ginneken — A la rédaction de Médor, nous avons été alertés par un père de famille, inquiet des violences dont son fils lui faisait part dans le cadre du scoutisme. Il ne s'agissait pas de violences extrêmes, mais suffisamment graves pour nous interpeller. Quand on a reçu ce témoignage, on a donc décidé d'élargir la discussion à notre entourage, en demandant à nos proches s'ils avaient été témoins de violences au sein des scouts. Tous les témoignages faisaient état de violences, on a donc commencé à enquêter.

Cette enquête a la spécificité d'être une enquête participative. Pouvez-vous nous expliquer en quoi est-ce que cela consiste exactement ?

Avec le journalisme participatif, notre ambition est d'élargir la façon dont on récolte l'information, en faisant appel aux personnes directement concernées. L'enjeu, c'est vraiment de créer un dialogue avec les citoyens en leur proposant que ce soit eux qui fournissent l'information. On peut le faire via des questionnaires, comme on l'a fait pour certaines enquêtes, ou via des murs témoignages, comme ici, dans le cadre de notre enquête sur le scoutisme.

Concrètement, on a mis en place un mur de témoignages, avec quelques exemples qu'on avait déjà. On a ensuite proposé à nos lecteurs de confier les expériences de violences ordinaires qu'ils ont vécu, dont ils ont été témoins ou même auteurs dans le scoutisme. En trois mois, on a reçu environ 150 témoignages, ce qui est gigantesque à l'échelle de notre média. On a reçu des témoignages de victimes, mais aussi d'auteurs, ce qui est très rare. En parallèle, on a contacté les fédérations de scouts en Belgique pour leur demander de participer à cette récolte. Certaines se sont senties attaquées alors que ce qu'on cherchait à faire, ce n'était pas de critiquer le scoutisme en tant que tel, mais de montrer les violences qui pouvaient y avoir lieu.

Violences dans le scoutisme : on en parle ?
Depuis les origines du scoutisme en Belgique, les fédérations de scouts et guides s’inquiètent de dérives, constatées notamment durant les totémisations, sans pouvoir totalement les freiner. Le problème est réel. Une centaine de témoignages reçus font état d’une culture de la domination et de la violence, encore bien présente en 2023 dans certains groupes. L’engouement pour les mouvements de jeunesse et leurs atouts indéniables ne peuvent nous conduire à fermer les yeux sur ces violences ordinaires.

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Les témoignages que vous avez reçus font état de nombreuses violences. Il est également question de la « totémisation ». A quoi est-ce que cela renvoie ?

Nous avons reçu vraiment beaucoup de témoignages. Certains remontent à des histoires vieilles de trente ans, d'autres à des faits beaucoup plus récents, mais quelle que soit leur temporalité, on y a vu beaucoup de similarités. Beaucoup faisaient état de violences répétées, commises en groupe, avec des discriminations racistes, sexistes, homophobes, ou validistes, à l'image de celles qu'on retrouve dans le reste de la société.

Parmi ces violences, il y a effectivement le sujet très spécifique de la « totémisation ». En Belgique, il s'agit d'une cérémonie rituelle auxquels participent les jeunes scouts, et à l'issue de laquelle ils reçoivent un « totem », qui marque leur appartenance au groupe. Le problème, c'est que ces cérémonies rituelles, qui sont présentes dans la plupart des groupes de scouts, sont vraiment des moments qui cristallisent les violences. On a reçu énormément de récits où les personnes témoignent de coups de pieds donnés, d'agissements grossophobes, d'ordres qui leur ont été donnés de tuer un animal à main nue, ou encore de porter des tenues dégradantes... Il y a des enfants sur lesquels on a jeté des sauts d'eau alors qu'ils étaient frigorifiés, d'autres ont été privés de nourriture par moment.

Jeune, j'ai moi-même vécu une « totémisation » où j'ai dû rester dehors, 36 heures, tout seul dans la forêt, à 12 ans. Dans ma perception, c'est vraiment comme si j'étais perdu dans les bois. Ça peut vraiment être des moments très violents.

Découvrez la mesure d'impact réalisée par Rembobine sur l'enquête de Médor :

Des pratiques violentes, aussi chez les scouts ?
Septembre 2022. Tout démarre par un message adressé par un père de famille à la rédaction du média belge Médor. Papa d’un jeune scout, ce dernier s’inquiète des « pratiques d’un autre temps » que son fils, de retour d’un camp, lui a raconté.

Au vu de la violence de ces témoignages, comment expliquez-vous que ce sujet soit resté si longtemps en dehors du champ médiatique ?

Les Belges sont très attachés au scoutisme et de façon générale, quand les violences qui s'y déroulent sont traitées dans la presse, elles sont racontées via les « faits divers » qui se passent l'été dans les camps de scouts. Nous, on a vraiment voulu aller au-delà des « faits divers » estivaux pour interroger en profondeur la culture du scoutisme et les violences ordinaires qui s'y déroulent. Le scoutisme est un mouvement très vieux, où les traditions héritées ne sont pas du tout questionnées.

Le problème, c'est que notre démarche n'a pas toujours été bien reçue. Toutes les fédérations de scoutisme, par exemple, n'ont pas accepté de partager notre appel à témoignages et plus largement, on nous a reproché de faire une enquête à charge, ce qui n'était pas le cas.

Vous clôturez l'enquête par des pistes concrètes d'amélioration, comme instaurer des canaux de paroles, inviter à raconter la « totémisation » voire la mettre en pause. En quoi est-ce important pour vous, en tant que journalistes, d'apporter ces pistes concrètes d'amélioration ?

Avec cette enquête, on ne voulait pas faire une enquête à charge sur les valeurs du scoutisme. Au contraire, on voulait être dans une démarche constructive. On sait qu'il y a des bonnes pratiques qui se développent et on tenait à les mettre en avant. Parmi les pistes d'amélioration auxquelles on a pensé, il y a avant tout l'importance de mettre en place des dispositifs qui permettent de faire émerger la parole, mais aussi de la recevoir de façon constructive. En enquêtant, on s'est rendu compte qu'il était vraiment temps qu'on pose les mots de violences ordinaires sur le scoutisme et qu'on regarde les traditions pour ce qu'elles sont, afin d'aller vers du mieux. Mais les changements sont durs à instaurer car, dès lors qu'on s'attaque à des héritages et des traditions, les freins sont très importants.

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante