Le tabou de la cocaïne chez les saisonniers des stations de ski

Des enquêtes sur la cocaïne, vous en avez peut-être déjà lues. Des campagnes reculées aux fêtes huppées parisiennes, on le sait, cette drogue se banalise. Mais saviez-vous que parmi les saisonniers des stations de ski réputées de Haute-Savoie, la poudre blanche avait là aussi fait son trou ?

Cécile Massin
Cécile Massin

C'est ce que décrypte l'enquête de Romane Mugnier, qui s'intéresse aux raisons pour lesquelles cette drogue est devenue légion, entre surcharge de travail des saisonniers, manque de soins en addictologie en montagne et em ployeurs peu scrupuleux. Une analyse structurelle qui nous a semblé autrement plus intéressante qu'un énième débat moral sur la consommation de drogues.

Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture ! Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détail, une interview de la journaliste Romane Mugnier et nos recommandations pour continuer à creuser le sujet.

Retrouvez également à la fin de cette newsletter les liens offerts par Heidi.news pour accéder gratuitement aux différents épisodes de cette enquête. Pensez à soutenir le journalisme indépendant !

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Dans les stations de ski hautes-savoyardes, la consommation de cocaïne est légion parmi les travailleurs saisonniers.
→ Alors que la situation en station se dégrade, le sujet reste tabou et peu pris en charge, des maires qui ferment les yeux par peur de ternir l'image de leur commune aux policiers municipaux qui manquent de moyens.

💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Suite à l'enquête, les interventions policières se sont multipliées en station et le maire d'une des communes concernées a tenu à réagir sur le sujet.
→ Cependant, le sujet peine à se faire une place dans la presse nationale et Romane Mugnier fait, elle, face à de nombreuses insultes et menaces pour avoir osé en parler.

Omerta en haut des pistes

Journaliste indépendante, Romane Mugnier a passé des mois à essayer de trouver une rédaction qui accepte de financer son enquête. La journaliste a même failli abandonner plusieurs fois jusqu'à ce que heidi.news, média suisse indépendant d'information et d'investigation, finisse par accepter sa proposition. Le résultat : une exploration en pas moins de dix épisodes qui décryptent la banalisation de l'usage de cette drogue chez les saisonniers des stations, ces travailleurs « invisibles sans lesquels les stations de ski ne tourneraient pas ».

Tout schuss dans la cocaïne - Heidi.news
Avoriaz, Les Gets, Chamonix, Verbier, Crans-Montana… Avez-vous déjà eu l’impression qu’un endroit que vous pensiez connaître sur le bout des doigts avait une face cachée? A côté de la piste rouge et de la soirée fondue, il y a cette autre réalité des stations alpines de France et de Suisse: on y trouve au moins autant de poudre que de poudreuse. Pour tenir dans ce milieu mi-festif, mi-sordide, les saisonniers usent et abusent de la cocaïne. Des jeunes d’à peine 18 ans consomment à la vue de tous, des saisonniers devenus violents se présentent armés en soirée, tandis que les agressions et les overdoses se multiplient… Et les communes font le dos rond, de peur de froisser la carte postale. Prêts à voir l’envers du décor?

L'accès à l'enquête vous est exceptionnellement offert, on remercie Heidi.news pour ce beau geste. Retrouvez les liens en accès libre à la fin de la newsletter.

Écrite à hauteur d'hommes et de femmes, l'enquête donne la parole à des saisonniers des stations alpines de France et de Suisse (Courchevel, Chamonix, Châtel, Avoriaz, Morzine, La Clusaz, Verbier...) qui racontent comment, face à la surcharge de travail, la cocaïne s'est démocratisée jusqu'à devenir une forme de « solution miracle pour tenir jusqu'à la fin de la saison ».

Le tout dans un contexte où les employeurs peinent à prendre le problème au sérieux et où la police municipale souffre du manque de moyens, révèle l'enquête. Sans compter le manque d'accès aux soins en addictologie en montagne, ainsi que le peu d'initiatives en matière de réduction des risques en station. "Last but not least", l'enquête décrypte l'assourdissant silence des maires des stations de ski concernées, qui préfèrent se taire plutôt que de se prononcer sur le sujet et prendre le risque de ternir l'image de leurs stations et mettre à mal le business considérable qu'elles représentent.

Autant de problèmes structurels pointés du doigt par Romane Mugnier, à qui le sujet tenait tout particulièrement à cœur, elle qui a grandi avec un père moniteur de ski en Haute-Savoie et dont l'adolescence a justement été marquée par la vie festive des stations de ski.

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l'enquête de Romane Mugnier, les maires des communes concernées se sont-ils prononcés sur le sujet ? Les interventions policières se sont-elles multipliées en station ? Des dispositifs de soin en addictologie ont-ils vu le jour en montagne pour accompagner les saisonniers ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ✔️

→ Suite à la publication de l'enquête, Nicolas Rubin, maire de Châtel (Haute-Savoie), a demandé à réagir. Dans son interview, accessible en bonus de l'enquête de Romane Mugnier, il raconte l'isolement des maires des petites communes et fustige le manque d'investissement des forces de l'ordre et des pouvoirs publics.

→ Mis à part lui, aucun autre maire n'a contacté Romane Mugnier, « même en off ». « Il y a un toujours un très gros silence autour de ce sujet », regrette la journaliste.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️

→ L'enquête a fait l'objet de plusieurs reprises en presse locale.
Le Messager, hebdomadaire haut-savoyard, a consacré un dossier au sujet dans lequel la journaliste a été interviewée. « C'était la première fois que toutes les éditions du Messager centraient leur dossier principal sur la drogue en station de ski, précise-t-elle. Par contre, les journalistes n'ont eu que quelques jours d'enquête, c'est dommage. Certains maires disent qu'il n'y a pas de drogue dans leur commune, ce qui est l'opposé total des témoignages que j'ai eu. »
Le Dauphiné Libéré, qui couvre notamment la Savoie, la Haute-Savoie et les Hautes-Alpes, a également fait un article sur le sujet suite à la mort d'un saisonnier dans la station de ski des Arcs. Cependant, le travail de Romane Mugnier n'a pas été cité.

→ La journaliste a également été invitée sur Canal 9, à la télévision suisse, pour présenter son enquête.

→ Le sujet peine néanmoins à se faire une place dans la presse nationale, regrette la journaliste.
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IMPACT JUDICIAIRE ✔️

→ Depuis la parution de l'enquête, les interventions policières se sont multipliées en station, avec des effectifs renforcés en saison par les gendarmes mobiles. « Niveau répression, ça a mis un petit coup de pied dans la fourmilière », détaille Romane Mugnier.

→ Des arrestations ont également « permis d'attraper de ''gros poissons'' » du trafic de drogue.
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IMPACT PUBLIC ✔️

→ Dès la parution du premier épisode de l'enquête, Romane Mugnier a reçu des messages « très durs », certains de menaces et d'insultes.

→ Ce n'est que depuis peu que la journaliste indépendante reçoit des messages de remerciements, notamment des travailleurs saisonniers eux-mêmes, l'invitant à poursuivre ses recherches.

Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️

Romane Mugnier est journaliste indépendante. Pour Rembobine, elle revient sur les difficultés à trouver une rédaction intéressée par le sujet, la particularité d'enquêter en terrain familier, et l'impact de l'enquête sur sa vie personnelle.

« Écrire sur un sujet qu’on connaît très bien est la meilleure façon de faire du bon journalisme, mais c’est aussi très dur »
Romane Mugnier est journaliste indépendante. Elle a enquêté pour Heidi.news sur la consommation de cocaïne chez les saisonniers des stations de ski hautes-savoyardes.

Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰

En France, il existe des structures qui accompagnent les usager·ères de drogue qui le souhaitent dans l'accès à des seringues stériles, mais aussi pour des dépistages (VIH, VHC…) et des soins médicaux. L'objectif : prévenir les problèmes sanitaires et sociaux liés à la consommation de drogues. Peu connues du grand public, ces structures, à l'image des Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues (Caarud) ou des Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) sont pourtant d'intérêt public. Si le sujet vous intéresse, on vous invite vivement à regarder du coté de l'association Médecins du monde, qui travaille sur le sujet depuis de nombreuses années.

Réduction des risques liés à l’usage de drogues - Médecins du Monde
MdM s’engage dans la réduction des risques liés aux usages de drogues. Cliquez pour nous soutenir dans notre combat.

Et puisque toutes les drogues ne sont pas illégales (à commencer par l'alcool), on vous conseille très chaudement d'aller découvrir l'enquête, également publiée sur heidi.news, de Malka Gouzer sur la ritaline, « cette drogue sous ordonnance qu'on donne aux gens sans les prévenir sur conséquences que ça peut avoir », détaille Romane Mugnier. Une enquête qui montre que « ce ne sont pas les substances qui sont dangereuses, qu'elles soient licites ou illicites, mais l'ignorance » autour de leur consommation.

Ritaline mon amour - Heidi.news
Notre journaliste a passé la moitié de sa vie sous médicaments. Destinés à dompter ses émotions, ils l’ont propulsée dans une dépendance dont elle ne parvient pas à se libérer. De Genève à New York, de Salzbourg au Val de Bagne en passant par une clinique psychiatrique en Hollande, elle accuse les lois qui régissent la commercialisation des psychotropes. Dans sa ligne de mire, il y a le pouvoir médical de prescrire qui, sous ses airs de bienveillance, alimente l’obscurantisme et freine l’abolition nécessaire des lois antidrogues. Son récit franc et précis va le montrer: ce ne sont pas les substances qui sont dangereuses, qu’elles soient licites ou illicites, mais l’ignorance.

On ne peut également que vous recommander l'écoute de trois podcasts d'ARTE Radio qui offrent chacun un éclairage différent sur le trafic et la consommation de drogue, en ville comme à la campagne :

Poudreuse dans la Meuse
Créatrice de podcasts depuis 2002. Émissions, reportages, témoignages et bruits pas sages
CRACKOPOLIS
Créatrice de podcasts depuis 2002. Émissions, reportages, témoignages et bruits pas sages
LE LIVREUR DE COCAÏNE
Créatrice de podcasts depuis 2002. Émissions, reportages, témoignages et bruits pas sages
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Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !

1. Partagez l’enquête et sa mesure d'impact sur les réseaux sociaux pour sensibiliser le public.

2. Interpellez le ministère de la Santé pour leur faire part de ce sujet de santé publique.

3. Écrivez aux dirigeants de stations de ski, mais aussi aux maires des communes concernées pour demander des explications et des mesures.

4. Soutenez des associations comme Médecins du monde qui s'engagent aux côtés des usagers de drogue pour une meilleure politique de prévention des risques.

5. Participez ou organisez des débats publics à l'échelle locale pour échanger sur les enjeux de consommation de drogues et de santé publique.

Voici pour finir l'ensemble des liens pour découvrir tous les épisodes de l'enquête de Romane. Avec notamment les épisodes 2 à 6 normalement réservés aux abonnés mais offerts par Heidi.news aux lecteurs de Rembobine !

Cocaïne en station: comment j’ai découvert qu’ils en prenaient tous - Heidi.news
J’ai grandi avec un père moniteur de ski, qui louait les appartements de son chalet aux Gets, en Haute-Savoie. Et puis un soir, tout a changé.
La coke, le ski et mythe d’une montagne qui reste pure - Heidi.news
Dès le premier article, notre journaliste a reçu des menaces et des insultes. Pourquoi ce tabou sur la consommation de drogue dans les stations? Pourquoi plus de 15 médias en France ont-ils refusé cette enquête?
En station de ski, un rail de coke et ça repart - Heidi.news
La vie de saisonnier est un mélange de travail harassant et de fête infinie. Adrien* et Julien*, qui connaissent ce milieu comme leur poche, nous relatent comment ils sont tombés dans le canon à neige.
«A Verbier, c’est dur de recruter des employés qui ne se droguent pas» - Heidi.news
Le ski + la fête: c’est la recette du succès de Verbier. Parmi les fêtards, il y a aussi les saisonniers, qui enchaînent alcool et cocaïne pour tenir le coup. Résultat: de gros dégâts.
Viols, bagarres et suicides: les ravages de la drogue chez les saisonniers du ski - Heidi.news
Témoignages de médecins, infirmiers, pompiers, policiers… Ce sont eux qui récupèrent et parfois sauvent les employés des stations victimes de la coke.
Sniffez, vous êtes filmés: ce que les caméras des stations de ski montrent de la cocaïne - Heidi.news
A ceux qui doutent de la violence engendrée dans les hauts lieux des sports d’hiver par la consommation de stupéfiants, les vidéos de surveillance apportent une froide réponse.
Le budget drogue et alcool d’un saisonnier? Jusqu’à 3000 euros par mois - Heidi.news
Les dealers ne font pas de crédit, mais les bars tiennent des ardoises. Certains saisonniers, criblés de dettes, doivent prolonger leur saison sans salaire, pour les payer. D’autres prennent la poudre d’escampette.
Stations de ski: cocaïne partout, justice nulle part? - Heidi.news
Notre journaliste a utilisé des lingettes de détection de cocaïne dans les bars et discothèques des stations de ski alpines. Et devinez quoi…
«La drogue en station, j’ai l’impression que tout le monde s’en fout» - Heidi.news
Et c’est le représentant des maires de Haute-Savoie qui le dit.
Est-il «mignon» d’écrire sur la déferlante de drogue en station de ski? - Heidi.news
«Prochain article: “Cocaïne à Ibiza, comment j’ai découvert qu’ils en prenaient tous”», se gausse un saisonnier.
💥 En quête d'impact

Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante