« Soral continue de jouer un rôle central dans la complosphère en 2024 »
Mathieu Molard est le rédacteur-en-chef de StreetPress. Il est l'auteur, avec Pierre Plottu et Maxime Macé de la dernière salve des Soral Leaks, qui épluche les comptes de la galaxie du polémiste d'extrême-droite.
Il a également écrit en 2015 le livre Le Système Soral, enquête sur un facho-business, aux éditions Calmann-Levy.
Il a accepté de revenir pour Rembobine sur l'impact relativement limité de ces papiers sur la galaxie Soral. Il raconte la nécessité de documenter au long court l'influence du polémiste, mais aussi la difficulté de donner de l'écho à des enquêtes détaillant des flux financiers.
Salut Mathieu ! StreetPress nous parle de Soral et de son entourage depuis des années. Pourquoi ces leaks sont-ils importants ?
Mathieu Molard — StreetPress et Soral, c'est effectivement une longue histoire. On a écrit beaucoup d'articles sur lui, moi-même j'ai publié en 2015 un livre d'enquête sur lui. Il nous en a gardé une détestation profonde. Il existe plein de vidéos où il parle de nous. Je me souviens d’une où il disait que nous étions, moi et mon collègue avec qui on a écrit le bouquin, “les enfants soldats du lobby juif”. Nos enquêtes l’ont parfois ébranlé. Étrangement, alors qu'on a sorti des papiers sur ses finances, le système, c'est sans doute une histoire de mœurs qui l'a le plus touché.
À un moment où il semblait plus discret dans l'actualité, j'ai récupéré ces “leaks” qui permettaient de montrer qu’il était encore bien présent sur tout un nombre de sujets. C’était une façon de faire une mise à jour. S'il est effectivement devenu un peu “has-been” sur certains sujets, on a montré qu’il garde la main sur plein d’aspects. Côté business bien sûr, mais aussi par le fait d’avoir une réelle influence au sein même de l'extrême droite. Avec ces "leaks", on montre que Soral continue de jouer un rôle central dans la complosphère en 2024.
C’est vrai que Soral semblait, pour le grand public en tout cas, un peu sorti des radars…
Mathieu Molard — On oublie vite qu'autour de 2015, Égalité & Réconciliation était le premier site politique de France, loin devant tous les autres. Soral et tous ceux qui se sont auto-proclamés de “la dissidence” faisaient des audiences stratosphériques. Si certains acolytes se sont un peu "indépendantisés" et que l’espace politique a un peu éclaté, on révèle dans nos articles que Soral est toujours présent en arrière-plan. Au-delà de ça, on se rend compte que l'écosytème Soral a profondément essaimé dans la société. En regardant l’actualité, on voit à la fois des personnages, mais aussi des champs lexicaux, une rhétorique et des façons d'aborder les sujets qui en sont issus. Kemi Seba [un militant panafricaniste très populaire et controversé, NDLR] vient de là par exemple. Dans la continuité, si Soral a pu noyauter le mouvement antivax, c'est parce qu’il a construit ces bases.
Comment expliquer que vos enquêtes aient eu si peu d’impact ?
Mathieu Molard — On a plein de papiers qui ont de l'impact et ceux-là n’en ont pas eu. Je le regrette un peu. Certains papiers sont de niche, comme celui sur les archives Ravier, et intéressent effectivement surtout les chercheurs et les spécialistes. Mais celui sur l'affaire Jean-Michel Trogneux est selon moi d'intérêt général. On révèle quand même qui sont les gens qui pour certains travaillent avec Marine Le Pen et jusqu'où ils sont prêts à aller. Et c'est une vraie "trumpisation" de la campagne électorale.
Alors oui, c'est compliqué, c'est des explications de flux financiers et de liens d'intérêts, il n'y a pas une vidéo de Marine Le Pen qui dit “vous me lancez cette boule puante”. Dès que ça parle d’argent, on estime que les français·es ne vont pas comprendre et les autres médias sont frileux pour reprendre. Sur un autre sujet, on a enquêté avec Reflets et Blast sur les Drahi Leaks. On parle de la 11ème fortune de France, propriétaire de BFMTV et de SFR. On fait des révélations majeures. On a eu près d’un million de vues en 24 heures sur le site et encore une fois, quasiment aucune reprise parce que c'est financier.
Penses-tu qu'on passe à côté de quelque chose ?
Mathieu Molard — Dans les médias, il y a parfois un côté “ça ne parle pas à nos sphères, donc on estime que ça doit être très marginal.” Oui, les “conspi-antivax”, c'est une frange de la population qui croit en des théories souvent fumeuses. Mais ça représente une part des Français·es qui n'est pas négligeable. À la faveur du Covid, l'extrême droite s’est engouffrée massivement dans ces milieux conspirationnistes, c'est à mon avis un enjeu de société majeur. On a quelque peu négligé Soral en 2015 et on voit que ses théories conspirationnistes, antisémites, homophobes et négationnistes ont infusé dans de nombreux discours. On est en train de le payer aujourd'hui. Ça va laisser une trace dans la société et on va en voir des réminiscences pendant des années et des années.
Pour retrouver notre article dédié à la mesure d'impact de l'enquête de StreetPress sur les Soral Leaks, cest par ici 👇
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