« Si c'était des travailleur·euses français·es, on serait peut-être plus attentif à leur situation »

Samy Archimède est journaliste d'investigation. Il collabore notamment avec Basta ! et Splann !, pour qui il a réalisé une enquête sur l'exposition des travailleurs sous-traitants à des substances nocives classées cancérogènes sur les chantiers navals de Saint-Nazaire.

Cécile Massin
Cécile Massin

Pour Rembobine, il revient sur l'impossibilité d'accéder au terrain, les difficultés à tracer les travailleur·euses détaché·es et les suites possibles de son enquête en quatre volets sur la face cachée des industries à Saint-Nazaire.

Bonjour Samy, comment avez-vous commencé à travailler sur les Chantiers de l'Atlantique et les risques auxquels les travailleur·euses sont soumis·es ?

Avec Splann !, on a commencé à enquêter à l'automne 2023 sur l'agglomération de Saint-Nazaire. On s'est d'abord intéressé à la raffinerie de Donges, mais rapidement, on s'est rendu compte que ça n'avait pas de sens d'enquêter uniquement là-dessus. On a donc élargi nos recherches aux Chantiers de l'Atlantique et à d'autres industries pour comprendre quelle était l'exposition des salarié·es à des substances nocives et potentiellement polluantes pour l'ensemble de la population.

Quand vous commencez à travailler sur le sujet, quelles sont les informations dont vous disposez ?

Quasiment aucune. On a choisi ce sujet justement parce qu'il n'y avait pas beaucoup d'informations. La première fois que j'ai rencontré la CGT, ils m'ont dit qu'ils ne voyaient quasiment jamais de journaliste, même de presse locale. J'ai donc voulu éclaircir la question des conditions de travail, sur lesquelles on a très peu d'informations, aussi parce que comme les travailleur·euses détaché·es passent peu de temps dans la région, il est très difficile de tracer leurs expositions à des produits toxiques.

À Saint-Nazaire, le coût humain des bateaux de croisière
Gigantesques et luxueux paquebots de croisière et bateaux militaires : les Chantiers de l’Atlantique, fleuron de l’industrie française, occupent une place de choix dans le Grand Port de Nantes Saint-Nazaire (44). Derrière ce décor, au milieu des fumées de soudage et des fuites de fioul, se cachent des bataillons de salariés sous-traitants exposés à des substances dangereuses.

Lors de l'enquête, vous découvrez que ces dernier·ères sont exposé·es à des substances nocives cancérogènes. Comment avez-vous procédé pour enquêter ?

On n'a pas pu aller sur le terrain car les Chantiers n'ouvrent pas leur porte ni même leur espace presse aux journalistes qui ne leur conviennent pas. J'ai quand même envoyé des demandes, mais je n'ai eu aucune réponse. Pour avoir des infos, je me suis donc tourné vers les syndicats, à commencer par la CGT, ainsi que les salarié·es elleux-mêmes. On s'est également tourné vers la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) des Pays de la Loire pour avoir certaines informations, comme la confirmation que les salarié·es des Chantiers pouvaient bel et bien être exposé·es à des substances nocives.

Dans cette enquête, vous croisez la question de l'exposition aux substances toxiques dans le cadre du travail avec celle des droits des travailleur·euses étranger·ères. Pourquoi est-ce important de faire s'entrecroiser ces grands enjeux de société ?

Quand on s'intéresse aux Chantiers, ces deux sujets s'entrecroisent de fait. Pour ma part, je suis convaincu qu'il y a un vrai besoin de connaissance concernant l'exposition des travailleur·euses détaché·es aux substances toxiques. Mais il ne faut pas rêver : on n'aura pas une traçabilité avant longtemps, sauf si peut-être des salarié·es attaquent l'entreprise, que ça fait tâche d'huile et que l’État se décide à faire quelque chose. Mais on n'y est pas. Déjà, pouvoir identifier les personnes qui travaillent sur place, leurs nationalités, ainsi que les produits auxquels elles sont exposées, c'est un enjeu très fort. Si c'était des travailleur·euses français·es, on serait peut-être plus attentif à leur situation.

Des salariés étrangers intoxiqués dans les chantiers navals de Saint-Nazaire
Derrière l’image luxueuse des bateaux de croisière construits dans les Chantiers de l’Atlantique se cache une réalité bien moins reluisante : celle de travailleur·euses détaché·es qui travaillent en étant exposé·es à des substances nocives classées cancérogènes.

Retrouvez la mesure d'impact de Rembobine dédiée à l'enquête de Samy Archimède

Va-t-il y avoir des suites à cette enquête ?

Oui, même si je ne peux pas en dire plus pour le moment. Quand on met le doigt dans cet univers, on a envie de creuser... Ce que je peux dire, c'est que j'ai envie de creuser l'aspect historique pour essayer de comprendre comment on en est arrivé là et quel a été le rôle de l’État, lui qui détient plus de 80% du capital des Chantiers.

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante