Des salariés sous-traitants intoxiqués dans les chantiers navals de Saint-Nazaire

Derrière l'image luxueuse des bateaux de croisière construits dans les Chantiers de l'Atlantique se cache une réalité bien moins reluisante : celle de travailleur·euses sous-traitants qui travaillent en étant exposé·es à des substances nocives classées cancérogènes.

Cécile Massin
Cécile Massin

Si vous nous lisez depuis nos débuts, vous vous souvenez peut-être qu'en début d'année dernière, nous vous avions proposé de découvrir l'impact d'une enquête de Splann !, cet incontournable média d'investigation breton, sur l'industrie du porc et ses conséquences désastreuses sur l'environnement. Cette fois, on vous embarque à la découverte d'une enquête écrite par le journaliste d'investigation Samy Archimède sur la face cachée de la construction des bateaux de croisière à Saint-Nazaire.

Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture ! Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détail, une interview du journaliste Samy Archimède et nos recommandations pour creuser le sujet.

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Derrière l'image luxueuse des bateaux de croisière construits dans les Chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire, se cache une réalité bien moins reluisante : celle de travailleur·euses sous-traitants, souvent originaires d'Europe de l'Est, qui travaillent en étant exposé·es à des substances nocives classées cancérogènes pour l'homme.
→ Alors que certain·es travailleur·euses restent très peu de temps en France, il est difficile de mesurer les conséquences de ces expositions sur leur santé. D'autant qu'une part importante du personnel exposé à des substances toxiques semble passer sous les radars de l'inspection et de la médecine du travail.

💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Malgré le fort impact médiatique de l'enquête, les pratiques n'ont pas évolué sur les chantiers navals, selon la CGT interrogée par le journaliste d'investigation.
→ Intoxiqué au Chrome VI, une substance issue du chrome et classée cancérigène pour l'homme, un intérimaire employé par un sous-traitant a engagé une procédure judiciaire pour réclamer justice.

La face cachée de la construction des bateaux de croisière

Dans ce premier volet d'une série intitulée « Saint-Nazaire, malade de ses industries », le journaliste basé à Nantes s'intéresse aux conditions de travail des quelques 3700 salarié·es « maison » et entre 5000 et 7000 salarié·es sous-traitants dans les Chantiers de l'atlantique.

À Saint-Nazaire, le coût humain des bateaux de croisière
Gigantesques et luxueux paquebots de croisière et bateaux militaires : les Chantiers de l’Atlantique, fleuron de l’industrie française, occupent une place de choix dans le Grand Port de Nantes Saint-Nazaire (44). Derrière ce décor, au milieu des fumées de soudage et des fuites de fioul, se cachent des bataillons de salariés sous-traitants exposés à des substances dangereuses.

Pour lire l'intégralité de la série de Splann

Grâce au croisement d'informations officielles et au recueil de témoignages, le journaliste montre comment les salarié·es sous-traitant·es, et en particulier les travailleur·euses détaché·es, souvent originaires d'Europe de l'Est, sont exposé·es aux fumées de soudage – classées cancérogènes pour l'homme depuis 2018 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) – ainsi qu'à d'autres substances chimiques, à l'image du Chrome VI, cette substance classée cancérogène pour l'homme depuis 1990 et pourtant massivement utilisée aux Chantiers dans les dernières étapes de la construction des bateaux.

Alors que les deux tiers des salarié·es détaché·es ne restent pas plus de 6 mois dans l'agglomération, d'après une enquête réalisée en 2018 par l'agence d'urbanisme de la région de Saint-Nazaire, comment mesurer les conséquences de ces expositions sur leur santé ? C'est là tout le problème que soulève l'enquête. D'autant qu'en cas d'accident ou de non-respect de la réglementation, il est très difficile d'établir la responsabilité entre les sous-traitants.

Surtout, qu'il s'agisse de travailleur·euses français·es ou de travailleur·euses détaché·es, une partie importante du personnel exposé à des substances toxiques semble passer sous les radars de l'inspection et de la médecine du travail, conclut l'enquête, dans un contexte de manque criant de médecins du travail, mais aussi de médecins formé·es aux problématiques de santé au travail.

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l'enquête de Splann !, l'utilisation de substances toxiques a-t-elle été interdite dans les Chantiers de l'Atlantique ? Les travailleur·euses se sont-iels mobilisé·es ? L’État, qui détient 84% du capital des Chantiers, a-t-il réagi ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ❌

→ Lors de l'enquête, Samy Archimède n'a eu aucun retour du service communication des Chantiers de l'Atlantique. Il n'a pas non plus eu de retour après la publication de l'enquête.

→ L'État n'a pas non plus réagi.

→ Concernant l'utilisation de substances toxiques, les Chantiers n'ont pas fait évoluer leurs pratiques, selon la CGT interrogée par le journaliste. « Les syndicats me disent que l'enquête n'a fait ni chaud ni froid au niveau de la direction », dit-il.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️

→ Étant donné que Splann ! est partenaire d'une dizaine de médias nationaux (Mediapart, Reporterre, Basta !, France 3, Mediacités, Actu.fr...), les reprises ont été nombreuses. Samy Archimède est notamment intervenu sur le plateau de France 3 Pays de la Loire.

→ Samy Archimède a également été invité à présenter son travail dans plusieurs radios locales comme SUN, première radio associative des pays de la Loire.

→ Après la publication de l'enquête, le journaliste a par ailleurs participé à la réalisation d'un documentaire Blast sur l'exposition des salariés à des substances toxiques dans l'industrie lourde nazairienne (Chantiers de l'Atlantique, TotalEnergies et Yara) et les conséquences des activités industrielles de la région de Saint-Nazaire sur la santé des riverain·es.
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IMPACT JUDICIAIRE ✔️

→ L'enquête met en avant le cas d'un intérimaire contaminé au Chrome VI après avoir pratiqué de la soudure « inox » (acier inoxydable), dit-il, sans équipement de protection individuel adapté ni autorisation ni licence ni formation ni suivi médical adapté. Ce dernier a engagé une procédure en justice pour faire condamner son employeur, « même si les forces sont très inégales, souligne Samy Archimède. Il faudrait une accumulation d'enquêtes pour faire avancer les choses. »
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IMPACT PUBLIC ✔️

→ Grâce à l'exposition médiatique de l'enquête, le journaliste a reçu d'autres témoignages, notamment de travailleurs, sur les conditions de travail dans les Chantiers.

→ Plusieurs débats ont été organisés à Saint-Nazaire sur l'investigation locale.

Le journaliste a été invité à intervenir à l'Université de Bordeaux auprès des étudiants en génie des métaux pour apporter son expertise sur l'organisation du travail et la protection des salarié·es.

🕵️‍♀️ Les coulisses de l'enquête

Samy Archimède est journaliste d'investigation. Il collabore notamment avec Basta ! et Splann !, pour qui il a écrit l'enquête en quatre volets sur la face cachée des industries à Saint-Nazaire. Pour Rembobine, il revient sur l'impossibilité d'accéder au terrain, les difficultés à tracer les travailleur·euses détaché·es et les suites possibles de l'enquête.

Chantiers navals de Saint-Nazaire : « Si c’était des travailleur·euses français·es, on serait peut-être plus attentif à leur situation »
Samy Archimède est journaliste d’investigation. Il collabore notamment avec Basta ! et Splann !, pour qui il a réalisé une enquête sur l’exposition des travailleurs étrangers détachés à des substances nocives classées cancérogènes sur les chantiers navals de Saint-Nazaire.

🧰 Pour mieux suivre le sujet

Suite à l'enquête, Samy Archimède a participé à la réalisation d'un documentaire Blast sur la façon l’État protège les industriels à Saint-Nazaire, et ce malgré l'impact de leurs activités sur la santé des riverain·es. Le documentaire est en accès libre et on ne peut que vous conseiller d'aller le regarder.

Et si les conditions de travail dans les chantiers de Saint-Nazaire vous intéressent, Samy Archimède vous conseille deux livres qui ne devraient pas vous laisser indifférent : Les Prolos, de Louis Oury, qui narre l'immersion d'un chaudronnier dans les chantiers navals au milieu du XXe siècle, et N'oublie rien de Jean-Pierre Martin, le récit d'un ex-militant de la Gauche prolétarienne révolté par la mort de plusieurs ouvriers dans les Chantiers.

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Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !

1. Partagez l’enquête autour de vous, dans vos réseaux, avec vos collègues pour alerter sur la situation dans les chantiers navals de Saint-Nazaire.

2. Syndiquez-vous, si le cœur vous en dit, pour exiger de meilleures conditions de travail dans tous les secteurs.

3. Suivez le travail des associations locales qui alertent sur les pollutions autour de Saint-Nazaire, comme l'Association environnementale Dongeoise des zones à risques et du PPRT (AEDZRP). « Sans ces associations, la presse locale n'aurait plus aucune information », insiste Samy Archimède.
💥 En quête d'impact

Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante