« Le réseau Atlas ne soutient pas un parti, il soutient ceux qui portent ses idées libertariennes et ultraconservatrices »

Anne-Sophie Simpere a publié en mai 2024 un rapport qui examine l'influence croissante du réseau Atlas, un consortium de think tanks libertariens et conservateurs, sur le paysage idéologique français.

Timothée Vinchon
Timothée Vinchon

Journaliste d’investigation spécialisée dans les droits humains, les libertés publiques et les mécanismes d'influence, juriste de formation, Anne-Sophie Simpere collabore avec des médias indépendants comme Basta! et l'Observatoire des multinationales, où elle a mené des enquêtes sur les ventes d'armes, les violences policières ou encore la surveillance de masse. Elle a aussi travaillé pour plusieurs ONG internationales telles qu'Amnesty International France, Médecins du Monde ou Oxfam France.

Dans son interview à Rembobine, la journaliste revient sur les coulisses de son enquête pour l'Observatoire des Multinationales, explique comment elle a découvert ses ramifications françaises, pourquoi il est si difficile d’en parler dans le paysage médiatique actuel, et comment ces idée ont peu à peu infusé dans le débat public.

Bonjour Anne-Sophie, comment en es-tu arrivé à travailler sur le réseau Atlas ? 

Au départ, je ne me suis pas lancée spécifiquement sur le réseau Atlas. La commande initiale portait sur autre chose : on m’avait demandé d’explorer si certains milliardaires américains très actifs politiquement, notamment les frères Koch, avaient des liens directs avec l’extrême droite française. En creusant, je n’ai pas trouvé de connexions financières entre les conservateurs aux Etats Unis et les partis d’extrême droite en France, seulement quelques connexions entre des personnes, comme des rencontres avec Steve Bannon.

Mais comme souvent dans une enquête, en cherchant quelque chose, on tombe sur autre chose. C’est là que j’ai découvert que l’un des outils d’influence majeurs utilisés aux Etats-Unis était la guerre culturelle menée à travers des think tanks, des associations et des organismes de formation. Et en poursuivant de ce côté-là, je suis tombée sur les ramifications françaises du réseau Atlas. On a décidé de réorienter l’enquête.

Ton travail, publié sous forme de rapport, est un peu à la frontière entre le journalisme et la recherche…

J’ai commencé par prendre contact avec des chercheurs américains qui avaient déjà travaillé sur le sujet. Et au fur et à mesure, on a compris que le sujet était tentaculaire. Il fallait raconter toute la logique du réseau, son origine, ses méthodes, ses implantations. C’est ce qui nous a amené à choisir une forme de rapport plutôt qu’une série d’articles isolés, pour pouvoir restituer cette vision d’ensemble.

Le réseau Atlas, la France et l’extrême-droitisation des esprits

Je viens à la fois du journalisme et du travail en ONG, donc je suis à l’aise avec les formats longs, mais ici, la démarche est purement journalistique : pas de recommandations, pas de plaidoyer, simplement raconter une réalité. Et surtout, donner la parole à toutes les parties, autant que possible. Le but, c’était de mettre à disposition un socle d’information dans le domaine public, pour que d’autres journalistes, et ils commencent à le faire, puissent ensuite s’en emparer, enquêter plus loin, ou pour que quand des prétendus experts sont sur un plateau, leur rôle et connexions avec des think tanks soient rappelés.

Comment se fait-il que personne ne parle de ce réseau en France ?

L’un des risques, c’est d’être perçu comme si on sortait un complot. Ça peut avoir un effet dissuasif et discréditant. C'est pas du tout ce qu'on dit. En réalité, il n’y a rien de caché : une bonne partie des informations sont accessibles en ligne, le réseau Atlas existe depuis très longtemps et ne se dissimule pas vraiment. On a aussi réussi à trouver des documents internes, mais beaucoup de choses sont publiques, contrairement à ce qu’on pourrait croire. C'est comme le monde associatif, il y a souvent plein de liens de réseau entre les associations.

Atlas, le réseau qui pave la voie à l’extrême droite
L’enquête d’Anne-Sophie Simpere pour l’Observatoire des Multinationales révèle comment le réseau Atlas, une alliance internationale de think tanks ultraconservateurs, déploie en France des stratégies pour influencer le débat public et faire basculer le climat des idées.

Découvrez la mesure d'impact de Rembobine sur l'enquête menée par Anne-Sophie

Ce qui pose problème, dans les pratiques du réseau Atlas, c'est qu'ils ne sont pas clairs sur les intérêts qu'ils représentent (ceux de grosses entreprises notamment). Par ailleurs, leur influence ne relève pas que du lobbying direct, puisque leur objectif est de changer le climat des idées, d’influencer le débat culturel, souvent par le biais de présence sur les plateaux télé, de formations et de tribunes. Ce réseau ne soutient pas un parti, il soutient ceux qui portent ses idées libertariennes et ultraconservatrices.

Penses-tu justement que leurs idées sont plus présentes en France qu’avant ? Comment l’expliques-tu ? 

Oui, clairement, elles sont plus présentes aujourd’hui dans le débat public français qu’il y a dix ou vingt ans. Plusieurs éléments expliquent cette montée en puissance : les années 2010 ont marqué un tournant. Il y a eu une convergence des droites autour de certains combats, comme au moment de la Manif pour tous. Ensuite, la multiplication des chaînes d’infos en continu, avec des plateaux à remplir en permanence, a permis à leurs porte-parole d’avoir plus facilement accès aux médias. Ils répondent toujours présents, et leurs idées se diffusent d’autant plus. Autre facteur important : leurs méthodes. Ils utilisent des stratégies bien rodées, y compris sur les réseaux sociaux, comme l’astroturfing, les chambres d’écho, la production d’analyses « prêtes à l’emploi ». Aujourd’hui, ça s’intensifie : on le voit, certains des partenaires du réseau en France refont leurs sites, cherchent des financements, se positionnent. S’ils accèdent à des soutiens de type milliardaires à l’américaine, à l’image de ce que souhaite faire Pierre-Edouard Sterin, ça pourrait encore amplifier leur présence. 

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Timothée Vinchon Twitter

Rédacteur et cofondateur de Rembobine - Journaliste indépendant - Formateur en éducation populaire aux médias