🎒 Rentrée des classes, un ministre sans mention #9

🎒 Rentrée des classes,  un ministre sans mention #9
Photo by note thanun / Unsplash

Salut amateur·trice·s de l'info qui faisait l'actu !

Nous accueillons un auteur invité : Erwin Canard, journaliste éducation pour le groupe de presse AEF info. L'ambition : revenir avec lui sur la drôle de séquence médiatique que fut la rentrée 2022. Et on ne vous cache rien, cette infolettre a évidemment été écrite depuis Ibiza par temps de crise.

🙂
Deux petites nouvelles… Dorénavant, vous recevrez Rembobine toutes les deux semaines. Et l'adresse d'envoi change ! Pensez à ajouter hello@rembobine.info à vos contacts pour être sûr·e de la recevoir dans votre boîte de réception principale ! 

À la une ! 👀

C'est la rentrée des classes, pour les élèves comme pour le Covid-19.

Rembobine replonge dans ce qui faisait l'actualité trois mois plus tôt. Petite polémique, gros sujet de société, vous rappelez vous ce qui était en une à ce moment-là ?

💥 L'invité de l'actu‌

Une interview avec un observateur de l'actualité d'il y a 3 mois

🎙️
Erwin Canard est journaliste spécialisé sur l'enseignement scolaire pour le groupe AEF info. Presse spécialisée sur abonnement, son lectorat est essentiellement constitué de décideurs des institutions de l'éducation et des collectivités. Il est présent sur Twitter : @ErwinCanard

Salut Erwin, quel est ton regard sur la rentrée de janvier ? A-t-elle été différente des autres ?

Erwin Canard : La rentrée a été différente des autres car les médias se sont fortement focalisé sur le ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer. Son annonce du protocole la veille de la rentrée (€), via la presse et donc pas directement aux premiers concernés - les professionnels de l'éducation - a débuté une séquence médiatique intense. Ce n'est pas la première fois que le protocole est annoncé tardivement, mais cette fois, le fait que ce soit à travers la presse payante, a cristallisé les crispations. Sur Twitter, de nombreux professeurs ont ironiquement demander au ministère de leur offrir un abonnement au Parisien.

La grève du 13 janvier, particulièrement suivie et avec un appel unanime de tous les syndicats, de tous les personnels, s'est elle aussi focalisée sur la personnalité du ministre et non sur des revendications classiques - salaire, conditions de travail, etc. - même si elles étaient en toile de fond.

C'est le Premier ministre, Jean Castex qui s'est présenté face aux syndicats et a écouté leurs revendications. C'est clairement un message pour le ministre. Il dit d'ailleurs lors de cette réunion que la communication des protocoles doit s'améliorer, qu'il faut annoncer rapidement les aménagements du bac, alors que jusqu'alors, Jean-Michel Blanquer était partisan du "on maintient l'existant le plus longtemps possible". Au-delà, les échos que j'ai, c'est que depuis, les réunions bimensuelles entre le ministère, les autorités de santé et les syndicats, un format décidé lors de cette réunion avec Jean Castex, sont beaucoup plus constructives.

L'affaire Ibiza, révélée par Mediapart (€), n'a pas aidé à améliorer l'image du ministre auprès des personnels, même si ceux-ci ne lui reprochaient pas d'avoir pris 3 jours de vacances entre le 31 décembre et le 2 janvier. Cette rentrée, c'est l'une des premières fois que Jean-Michel Blanquer est apparu fragilisé.

On a l'impression que quoi qu'il arrive, une fois le soufflé médiatique passé, le ministre ne risque rien pour son poste. Est-ce le cas ?

Il y a eu pour la première fois un petit revirement. En début de quinquennat, Jean-Michel Blanquer a souvent été vu comme l'un des ministres “star” du gouvernement. Son poste n'a jamais été remis en question depuis la prise de fonction, si ce n'est lorsqu'il était pressenti à l'Intérieur, clairement pas une punition.

Il faut se rendre compte que si le personnel de l'éducation le tance particulièrement, s'il lui a été reproché de beaucoup s'exprimer sur le sujet du “wokisme”, les parents d'élèves, eux, sont plutôt satisfaits de son bilan. Il a quand même géré la crise Covid, avec certes des gros ratés en termes de communication, mais en gardant l'école ouverte, permettant aux parents d'aller travailler. Ces derniers mois, et encore plus à la rentrée, il a quelque peu perdu son aura. Même la presse “pro-Blanquer”, comme Le Point - dans lequel le ministre a écrit avant sa prise de fonction - le montre moins depuis plusieurs mois.

Par rapport aux médias, c'est dans l'évolution de la communication du ministre que la rentrée a pu avoir un effet. On peut se dire que s'il avait plus usé de concertations avant des annonces fracassantes dans la presse, ça aurait sûrement changé beaucoup de choses.

Le Covid a-t-il changé le métier de journaliste en éducation ?

Ça a changé : pendant deux ans, l'éducation a pris une place centrale. Habituellement, l'éducation est un sujet dans lequel il y a peu d'actualité hyper mouvante. Ce sont souvent des sujets assez techniques qui n'intéressent pas forcément le commun des mortels en dehors de ces grands marronniers que sont le bac ou la rentrée.

Et là, étant donné que les écoles sont restées ouvertes, elles sont devenues un gros enjeu. La gestion de la pandémie dans les classes, les annonces ou évolutions de protocole, des prises de paroles du président de la république, l'actualité autour de l'école était intense. Ça venait dans tous les sens. On s'est retrouvé à bosser parfois le soir ou le weekend à cause de prises de parole dans les médias. Sur certains sujets, il m'est arrivé d'écrire des informations données par le gouvernement que celui-là même contredisait quelque temps plus tard, tellement ça changeait vite. C'était à la fois grisant et fatiguant.

Va-t-on beaucoup entendre parler d'éducation dans les médias pendant l'élection présidentielle ?

Malheureusement, je crois qu'avec la guerre en Ukraine, peu de sujets, à part l'international, vont pouvoir exister dans cette campagne. L'éducation, sachant que la vague de Covid-19 semble passée, ne va pas être la priorité des candidat·e·s. On en parle un peu de temps en temps, mais on est habitué à ce que l'immigration ou d'autres sujets l'effacent assez vite dans les médias. Évidemment à titre personnel, j'aimerais que l'éducation soit au centre de la campagne, car finalement, elle est sans doute le début de tout.­

🔥Quelques liens qu'on recommande !

Bilan Macron. À l’école, des inégalités toujours prégnantes
L’indéboulonnable Jean-Michel Blanquer peut se prévaloir d’une longévité record rue de Grenelle. Mais cela ne lui aura pas permis de transformer l’école ni d’y corriger les inégalités.

🗒️ Mediapart a dressé le bilan du quinquennat Macron en matière d'éducation (€).

#educ2022. Si comme Erwin, vous estimez que l'éducation devrait être la priorité absolue, vous apprécierez la veille de Philippe Watrelos, professeur de SES dans le 91. Il a regroupé toutes les propositions sur le sujet des candidats à la présidentielle.

🐦 Une bonne idée pour connaître l'actualité des professeurs… En suivre sur Twitter ! Les fameux Rachid l'instit et Petit·e Prof allient humour et rebonds sur l'information.

L'avenir est entre nos mains 🌟

Malgré les moyens déployés des deux côtés de la Manche pour empêcher les migrant·e·s de prendre la mer, plus de 28 000 exilé·e·s ont traversé le détroit en 2021, vers le Royaume-Uni. C'est trois fois plus qu'en 2020. Et la situation précaire des exilé·e·s à Calais, dénoncée depuis de nombreuses années, ne s'améliore pas.
Localisation et chronologie des accidents mortels dont ont été victimes les migrants tentant de rejoindre le Royaume-Uni, de janvier 2014 à novembre 2021 © AFP

Depuis 2018 et le bouclage du port de Calais et d’Eurotunnel, les traversées sont en très forte augmentation. Avant cette date, les migrant·e·s se cachaient à bord des véhicules et des camions pour passer la frontière. Mais avec le renforcement des contrôles, et la quasi-impossibilité pour les exilés d’accéder à la zone, beaucoup se sont donc tournés vers la mer, malgré les dangers. Les courants, la température de l’eau et la densité du trafic maritime rendent la traversée périlleuse. Le 24 novembre, 27 personnes sont mortes dans le naufrage de leur embarcation, au large de Calais.

⏩ Et après ?

Pour résoudre le problème, c'est la surenchère techno policière qui prime. Des caméras, financées par les Britanniques, vont bientôt être installées à des "points stratégiques" du littoral du Pas-de-Calais. Fin novembre, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé pour 2022 le déploiement d’"équipements ultra-modernes" pour tenter de faire baisser les chiffres des départs via la Manche. Le nombre de traversées ne faiblit cependant pas en ce début d'année.

« On est vraiment accueillis » : à Calais, les Ukrainiens sont des migrants pas comme les autres. Caroline Perrot, de l'AFP s'est rendu à Calais. Là-bas, la mobilisation de la mairie ou encore des services consulaires britanniques, étonne autant les exilé·e·s que les associations comme Utopia 56. Si 250 réfugié·e·s ukrainien·ne·s auraient été refoulé·e·s par Londres, car dépourvus de visa, la situation devrait s'améliorer dans les prochains jours : un centre de demande de visas pour les ukrainien·ne·s vient d'être installé.

« On aimerait que tous ceux qui fuient la guerre soient traités ainsi. Si les autorités britanniques ouvrent un bureau à Calais, pourquoi serait-il réservé aux Ukrainiens ? »
François Guennoc, président de l'Auberge des migrants, à l'AFP.

⏸ Allez plus loin…

InfoMigrants: reliable and verified news for migrants - InfoMigrants
InfoMigrants is a news and information site for migrants at every point of their journey: in their country of origin, along the route, or in the places where they hope to start a new life. InfoMigrants is available in three languages: French, Arabic and English.

📰 InfoMigrants est un site d’information destiné à lutter contre la désinformation dont sont victimes les migrant·e·s où qu’ils se trouvent : dans leur pays d’origine, sur la route, ou déjà dans le pays où ils espèrent bâtir une nouvelle vie.

Migrants : sommes-nous encore humains ?
Migrants : sommes-nous encore humains ?

🗞️ Le 1, dans son numéro du 15 décembre (€), s'intéressait aux drames de l'immigration : « le non-accueil, la criminalisation de la solidarité, les refoulements de migrants au risque de leur vie, l’hécatombe maritime sans cesse recommencée, et consentie. Les actes commis en notre nom aux frontières de l’Europe interrogent sur la part d’humanité qui s’est perdue en nous, pour que collectivement nous acceptions l’inacceptable. »

🐦 Le photojournaliste Louis Witter est installé à Calais depuis début 2021. Il documente et tente de sensibiliser politiques et citoyens aux conditions et traitements inhumains subis par les exilé·e·s en bordure de Manche.

Retour vers le futur ! ✨

Le 31 décembre, un arrêté interdit d’acheter et de consommer des fleurs et feuilles de cannabis chargées en CBD. Une nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe auprès des commerces spécialisés dont c'était l'essentiel de leurs revenus.

⏮️ Quelques repères…

Le CBD est une des principales substances actives de type cannabinoïde de la plante de chanvre (Cannabis Sativa), au même titre que le THC, la substance psychoactive. Ce qui est vendu comme “CBD ” en France est un extrait d'une variété de cannabis spécifique autorisé pour sa culture, car il contient moins de 0,3 % de THC. Malgré l'explosion commerciale de cette substance «qui ne défonce pas», les effets thérapeutiques du CBD restent discutables et peu étayés.

La mode dépasse les seules boutiques spécialisées. Certaines pharmacies proposent des produits à base d'huile de CBD et le marché s'étire à l'infini. On trouve des oreillers au CBD, des pâtisseries de chef cuisinier, des pizzas, etc. D'après Les Echos, en 2021, le seul commerce de la fleur de CBD a généré entre 300 et 400 millions d'euros de chiffre d'affaires en France, réalisé par environ 10 000 buralistes et 2.000 « CBD Shops ». Les extraits et dérivés ont eux généré 200 millions d'euros de ventes.

⏩ Quoi de neuf ?

Les professionnels du secteur du CBD ont saisi le Conseil d'Etat contre l'interdiction de la vente de fleurs de CBD le 14 janvier. Celui-ci a suspendu l'arrêté du gouvernement estimant que « ne résulte pas de l'instruction […] que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n'est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation ». Un soulagement pour des acteurs de la filière.

La suite dépendra en partie de l'élection présidentielle. Si Emmanuel Macron et son gouvernement ont mené une politique répressive à l'égard du cannabis, il a aussi dit être en faveur d’une légalisation progressive de cette plante lorsqu'il était candidat en 2017. Jean-Luc Mélenchon, s'il ne s'est pas exprimé sur le CBD, est plus largement en faveur de la légalisation du cannabis et de ses dérivés. Idem côté Yannick Jadot, qu'on a même aperçu en soutien de la filière. A droite par contre, c'est niet. Globalement, on ne distingue pas le CBD de la THC, la substance psychotrope. Les liens de cause à effet entre le cannabis, l’insécurité et la délinquance - voir le terrorisme - sont légions. Valérie Pécresse et Marine le Pen sont en faveur de stratégies plus répressives qu'actuellement. Eric Zemmour avait lui surpris en mai 2021 en déclarant s'interroger sur la légalisation de la substance face à l'échec de la répression.

23 %

Jean-Luc Mélenchon est en tête des intentions de vote au premier tour parmi les consommateurs de cannabis, d'après une étude IFOP pour High Society.

⏸ Allez plus loin…

🧐 L'Inserm s'est intéressé aux effets du CBD avec son projet Canal Détox, des vidéos au format court et des textes visant à décoder l’actualité et à vérifier les informations qui circulent dans le domaine des sciences de la vie et de la santé.

🧑‍⚕️ Le professeur Nicolas Authier, médecin psychiatre, spécialisé en pharmacologie et addictologie. Président de la Commission des Stupéfiants et Psychotropes de l’ANSM. Il est spécialiste du cannabis thérapeutique et relativement sceptique sur le CBD, dont il souhaite voir l'usage se structurer.

🤟 A très vite !

🥳 Merci d'avoir lu jusqu'au bout cette édition. Elle a été préparée en collaboration avec Erwin Canard, journaliste à AEF info, que nous remercions pour sa disponibilité. Vous avez la possibilité de poser lui poser des questions. Rendez-vous (pour celles et ceux qui sont dans leur navigateur) dans la zone Discussion des membres (c'est tout en bas).

Timothée Vinchon

Timothée Vinchon

Rédacteur et cofondateur de Rembobine - Journaliste indépendant - Formateur en éducation populaire aux médias
Marseille