La recherche universitaire face au risque de fake news
Notre mesure d'impact d'une enquête signée Pauline Fricot pour Alternatives Économiques, qui dévoile comment les fake news font leur nid jusque dans le milieu de la recherche universitaire.
Souvent, le monde de la recherche universitaire nous semble opaque comme si finalement, ce qui se jouait entre chercheur·ses ne nous concernait que de loin. Pourtant, à lire l'enquête de la journaliste scientifique Pauline Fricot, parue en janvier 2024 sur le site d'Alternatives Économiques, il apparaît urgent de s'intéresser à la façon dont les travaux de recherche sont diffusés.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Dans le milieu de la recherche universitaire, publier dans des revues prestigieuses est un impératif pour les chercheurs et universités. Un besoin loin d'échapper aux éditeurs de revues scientifiques, qui en profitent parfois pour s'enrichir au détriment des chercheurs et universités.
→ Dans ce contexte, des revues scientifiques frauduleuses voient également le jour. En apparence rigoureuses, ces dernières bafouent en réalité les règles de la déontologie et participent ainsi à la diffusion de fake news.
💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Si certains chercheurs ont partagé le travail de Pauline Fricot sur leurs réseaux sociaux, la presse ne s'est pas pour autant emparée du sujet.
→ Contrairement au milieu du journalisme où la lutte contre les fake news fait partie des priorités affichées, le sujet reste encore marginal dans le milieu de la recherche universitaire.
Dans l'ombre, des revues prétendument scientifiques en proie à la désinformation
Intitulée « Enquête sur les dérives du business très lucratif des revues scientifiques », le travail de Pauline Fricot dévoile la façon dont certains éditeurs de revue scientifique (Springer Nature, Wiley, Thomson Reuters...), profitant de la nécessité pour les chercheurs comme les universités de publier dans des revues prestigieuses pour asseoir leur légitimité, s'enrichissent sur leurs dos.
De fait : si les éditeurs ne financent ni la recherche ni ne rétribuent les auteurs pour leurs publications, certains ne se privent pas pour autant de leur demander de payer des frais de publication (« article processing charges »), quand d'autres mettent en place des paywalls. Autant de façons de s'enrichir sur le dos de la recherche, déjà dans un état économique critique.
Mais ce n'est pas tout. Dans ce contexte se développent des revues dites « prédatrices ». Ces revues, en apparence sérieuses, n'en ont que l'apparence puisque dans les faits, elles ne respectent pas la déontologie. À titre d'exemple, la relecture par les pairs, pourtant obligatoire avant publication, y est partielle voire inexistante. Quel danger y-a-t-il, pourrait-on alors se demander, à ce que des revues prétendument scientifiques publient des articles qui manquent de vérification ? Que ces revues se fassent la courroie de transmission de fake news et de désinformation, répond Pauline Fricot.
Conséquences directes des « dérives du business des revues scientifiques », ces fake news, issues de revues à l'apparence scientifique, se répandent sans susciter de vagues. Au risque de mettre durablement à mal la confiance des citoyen·nes envers la science et la recherche.
💥 En quête d'impact
Un an après la publication de l'enquête de Pauline Fricot, des mesures ont-elles été prises pour lutter contre les revues « prédatrices » ? Le monde de la recherche a-t-il pris position ? Les citoyen·nes ont-ils eu vent du risque de fake news dans le milieu de la recherche universitaire ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ D'après les informations de Pauline Fricot, les universités françaises n'ont pas pris position officiellement vis-à-vis de son enquête. « Les informations que je dévoile dans mon enquête sont connues dans le monde de la recherche, détaille la journaliste. Tout le monde sait par exemple qu'on peut payer pour voir son nom apparaître en signature d'un article, mais il est difficile pour les institutions de lutter contre car c'est un tout système qu'il faudrait restructurer. »
→ Néanmoins, certaines universités prennent des initiatives pour inverser la tendance. C'était déjà le cas du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui, avant même la parution de l'enquête, a par exemple modifié les critères d'évaluation de ses scientifiques, qui reposent désormais sur la qualité de leurs résultats, et non plus sur leur nombre de publications ou le prestige des revues où ils sont publiés. « Certain·es chercheur·ses travaillent également à débunker les fausses publications et ainsi permettre à des milliers de publication d'être rétractées, détaille Pauline Fricot, mais le chantier reste énorme. »
→ L'enquête de Pauline Fricot a été partagée sur les réseaux sociaux par certains chercheurs, notamment sur LinkedIn par le chercheur Timothée Parrique, d'ailleurs cité dans l'enquête, ainsi que par Simon Tremblay-Pepin, professeur à l'École d'innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l'Université Saint-Paul à Ottawa.
→ Cependant, la journaliste n'a pas été sollicitée par la presse pour en discuter et à sa connaissance, l'enquête n'a pas non plus été reprise par ses confrères et consœurs. « C'est un sujet qui peine à se faire une place dans l'univers médiatique, regrette Pauline Fricot, très certainement parce qu'il semble trop loin des gens... Et puis, ma publication est arrivée après la période Covid. À ce moment-là, on avait pris conscience de l'importance de la science dans le quotidien des gens mais après, c'est retombé. Ça s'est essoufflé. »
→ Selon Pauline Fricot, les revues « prédatrices » n'ont pas été inquiétées suite à la parution de l'enquête. « Étant donné que ce sont des revues internationales, il est difficile de réguler leur contenu, souligne la journaliste, et encore plus de les poursuivre. »
→ La journaliste n'a pas été contactée par des citoyen·nes ou des ONG suite à la parution de son enquête. « Ce qu'il faudrait, c'est un véritable engouement citoyen autour de ces questions, mais pour le moment, ce n'est pas encore le cas. »
Les coulisses de l'enquête 🕵️♀️
Pauline Fricot est journaliste pour Environnement Magazine. Formée en journalisme scientifique, elle a notamment collaboré avec Science et Vie, Géo ou Alternatives Économiques, pour qui elle a écrit son « Enquête sur les dérives du business très lucratif des revues scientifiques » en janvier 2024.
Pour Rembobine, elle revient sur les risques de désinformation et de fake news dans le milieu de la recherche universitaire, la difficulté à faire de la recherche un sujet d'intérêt général, et les initiatives qui émergent pour tenter de réformer la recherche.
Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰
La question des dérives au sein du monde de la recherche vous a intriguée ? On ne peut que vous conseiller, Pauline Fricot la première, d'aller vous plonger dans Les Marchands de doute, de Naomi Oreskes et Erik M. Conway. Cette enquête, issue de cinq ans de travail, montre comment depuis la fin des années 80, des scientifiques américains, aux bottes de lobbies industriels (tabac, énergie, pétrole), ont mis à mal un certain nombre de vérités scientifiques, niant en bloc les preuves de la dangerosité du tabac comme de la réalité du trou de la couche d'ozone. Des prétendus scientifiques « marchands de doute » auxquels on doit une bonne part du climato-scepticisme contemporain.
Pour celles et ceux que la question intéresse, on vous invite également à regarder du côté des Gardiens de la raison, enquête sur la désinformation scientifique, de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens. Un ouvrage qui dévoile notamment comment les professeurs et amateurs de sciences sont manipulés pour se faire les porte-paroles d'une idéologie anti-environnementaliste.
Et puisque in fine, il s'agit de lutter contre les fake news dans le milieu de la recherche comme dans le milieu journalistique, on vous invite à regarder du côté de nos confrères qui font au quotidien un important travail de fact checking, à l'image de Checknews (Liberation) ou de Vrai ou Faux (France Info).
Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Diffusez l'article et l'enquête d'impact via vos réseaux sociaux, auprès de vos ami·es et famille pour les sensibiliser aux enjeux de la désinformation dans la recherche.
2. Écrivez à vos ancien·nes professeur·es d'université pour leur partager l'enquête de Pauline Fricot et les sensibiliser au sujet.
3. Interpellez vos élu·es pour leur demander de se positionner sur la lutte contre la désinformation.
Rembobine, le média qui lutte contre l'obsolescence de l'info Bulletin
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