
« La presse est actrice du mouvement MeToo depuis le début »
L’impact des enquêtes journalistiques sur des faits de violences sexistes et sexuelles dépasse souvent la seule histoire rapportée dans un article. Mais alors, comment penser et mesurer ces changements ? Éclairage avec Lénaïg Bredoux de Mediapart.
Certains impacts des révélations de violences sexistes et sexuelles paraissent évidents : des poursuites judiciaires, des reprises médiatiques,... Mais comment mesurer les changements à grande échelle que peut provoquer la médiatisation de ces sujets ? Sur la prise de conscience des autres victimes ? Sur la place du sexisme dans la société ? Sans en être la seule à l’origine, la presse joue un grand rôle sur ces questions.
Pour Rembobine cette semaine, Lénaïg Bredoux, responsable éditoriale sur les questions de genre depuis 2020 - la première en France - et codirectrice éditoriale de Mediapart depuis 2023, nous explique comment des révélations de violences sexistes et sexuelles font ricochet.
Tout d’abord, quel impact une enquête journalistique révélant des violences sexistes et sexuelles peut-elle avoir sur une procédure judiciaire ?
ll y a plusieurs cas de figure. Si l’on parle d'une enquête portant sur des faits qui ne sont pas encore judiciarisés, cela peut contribuer à l'ouverture de procédures pénales et/ou à encourager des personnes à porter plainte, parce qu'elles réalisent qu’elles ne sont plus seules. L’ouverture d'une procédure se fait alors soit à la demande du parquet, soit de la part des victimes elles-mêmes, ou troisième cas de figure, les victimes sont visées par une plainte en diffamation par les personnes mises en cause.
Si l’on parle d’une enquête déjà judiciarisée, on s’aperçoit alors que quand les faits sont médiatisés, ils contribuent à mettre les enquêtes judiciaires qui y sont liées sous plus haute vigilance. Les avocat·es disent souvent que cela aide la procédure judiciaire car il y a plus de moyens et d'attention portée à ces dossiers.
Certaines révélations journalistiques sur des violences sexistes et sexuelles ont marqué l’histoire. Les révélations journalistiques en 2017 sur les viols commis par le producteur Harvey Weinstein par exemple ont été le point de départ d’un mouvement massif de témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles. Pour beaucoup, il y a un “avant” et un “après” MeToo. Comment penser cet impact “historique”, ces potentiels “tournants” sociaux?
La presse est une actrice de MeToo depuis le début puisque ce sont les enquêtes du New York Times et du New Yorker qui lui donnent une impulsion. Et d’autres enquêtes de presse marquantes ont déclenché exactement la même chose avec des victimes qui tout d’un coup se disent « je ne suis pas folle » ou « moi aussi, j'ai vécu la même chose ».
Je prends par exemple l'affaire Stéphane Plaza. L’enquête judiciaire et le procès ont eu lieu suite à l'enquête de Sarah Brethes. Sans ce travail, ces répercussions n'existent pas de la même manière. Ça ne veut pas dire que sans l’enquête ces femmes n’auraient pas finalement porté plainte mais en tout cas la chronologie des faits est celle-là.

Autre exemple avec Adèle Haenel [en 2019, qui accuse Christophe Ruggia d’agressions et harcèlement sexuel sur le plateau de Mediapart]. Tout d'un coup, c'est tout le système de la pédocriminalité qui explose à la face du monde. Et c'est là où la presse joue pleinement son rôle. Elle occupe le rôle qu'elle doit occuper tout le temps, celui de produire des informations qui ont un effet dans la société, qui contribuent à un débat d'intérêt général.
Un impact récurrent des enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles qu’on observe est que cela provoque d’autres prises de paroles. Qu’est-ce que ces révélations provoquent pour les victimes qui deviennent à leur tour des témoins ou sources pour d’autres enquêtes ?
Ce truc hyper puissant du « moi aussi », c'est de dire : « je suis légitime et je n'ai pas rêvé, je ne suis pas folle, ça m'est bien arrivé, puisqu'elle décrit la même chose que ce que j'ai vécu, elle appelle ça de la violence sexuelle, c'est de la violence sexuelle, c'est reconnu comme tel, donc moi aussi ce que j'ai vécu ça ne va pas, et je suis légitime à m'en plaindre et à en parler ». La silenciation est tellement puissante dans la société dans laquelle on vit - parce qu'elle est le produit de millénaires de domination masculine - que se défaire de cela est très difficile. C'est une expérience intime. C'est vraiment en écoutant quelqu'un ou en lisant quelqu'un prononcer des mots qu'on aurait pu prononcer soi-même, que ce chemin peut se faire. Parfois c'est un geste, un mot, ou un bout de scène décrite dans l’article qui tout d'un coup est très familier aux victimes et déclenche le fait de nous contacter. Aussi, elles ont peur que ça recommence en voyant des enquêtes sur des agresseurs qui ont continué, qui n'ont pas été condamnés, où ça a duré très longtemps, où les gens n'ont pas témoigné au début. Il y a des gens qui nous écrivent en disant « je m'en voudrais si ça arrive à d'autres qu’à moi. »

Mais si ces révélations journalistiques peuvent avoir de l’impact, c’est aussi du fait de mouvements sociaux, notamment féministes ?
Il faut se rappeler, d’abord, que la presse est dans une société, elle ne fait pas les choses toutes seules. Les journalistes ne sont pas des super-héro·ïnes. La presse se nourrit de tout un travail de documentation sur les violences sexistes et sexuelles fait par la recherche, fait par des militants, des activistes. C'est aussi cela qui enrichit nos enquêtes et notre capacité à les produire. Aussi, la mobilisation de la société encourage les victimes à parler et c'est grâce à ça que l'on peut faire notre travail. C’est donc un mécanisme vertueux entre la société mobilisée, le bouillonnement qui la traverse et du coup les questions et l'interpellation d’une presse qui fait tout simplement son travail en parlant de ces sujets.
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