Pourquoi s'intéresser à l'impact en tant que média ?

Sous forme d’articles, bilans ou rapports annuels, les médias formalisent de plus en plus l’effet du travail journalistique sur la société. Tour d'horizon de la réflexion sur l’impact des enquêtes journalistiques en France.

Arno Soheil Pedram
Arno Soheil Pedram

L’impact… Cet anglicisme qui a envahi la douce langue de Molière. Pourquoi (encore !) importer un concept américano-britannique dans un monde journalistique français qui n’a jamais, ô grand jamais, eu besoin de s’inspirer de quiconque pour s’améliorer ?

Et pourtant, plusieurs médias français réfléchissent à leur impact, et de façon de plus en plus formelle depuis quelques années. Sous forme d’articles, bilans, rapports annuels, les rédactions formalisent quelque chose qui a longtemps existé : l’effet (l’impact, ce vilain anglicisme !) du travail journalistique sur la société. Probablement, avouons-le, sous influence de la formalisation de cette quantification outre-atlantique et outre-Manche. 

Changer les lois, renforcer les contrôles financiers, combattre le mal logement... les journalistes peuvent-ils en être tenus responsables des évolutions d'un problème de société ? Rembobine a rencontré trois rédactions, Mediapart, le Bondy Blog et StreetPress, pour établir un état des lieux de la réflexion sur l’impact des enquêtes journalistiques en France.

Mais au fait, c’est quoi l’impact ?

Tout d’abord, qu’est-ce que les rédactions comptent comme un impact ? Si l’on devait nommer une enquête qui a eu le plus de retentissement ces dernières décennies, beaucoup nommeraient les révélations de Mediapart sur les comptes étrangers de Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué chargé du Budget, en décembre 2012. Du propre aveu de Michaël Hajdenberg, co-responsable du service enquête de Mediapart, “ce qui s'est passé, c'est assez incroyable.” En avril 2013, une série de mesures finissent par naître de la révélation de la fraude du politicien par leur journaliste, Fabrice Arfi : création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), création d’un parquet spécialisé sur les affaires de grande corruption et de grande fraude fiscale (PNF), interdictions de cumul de certaines fonctions et nombre d’autres encore visant à plus de transparence et de probité dans le monde politique.

Mais il existe beaucoup d’autres impacts qui bien que moins spectaculaires ont tout autant d’effets concrets. “On essaie de recenser les articles qui ont eu un impact très direct,” explique Mathieu Molard, rédacteur en chef à StreetPress. Son média recense annuellement depuis plusieurs années les impacts de leurs enquêtes. “Ça va être tel article qui a déclenché l'ouverture d'une procédure judiciaire, tel article ou telle vidéo qui a fait réagir la mairie de la ville, où la personne qui dénonçait ses conditions de logement a été relogée.” 

Pareil pour le Bondy Blog, dont certaines enquêtes sur le logement ont pu avoir des retombées directes. “Cela arrivait assez régulièrement que des situations bougent quand on écrivait sur des cas de logements insalubres ou d'expulsions”, raconte Héléna Berkaoui, rédactrice en chef du Bondy Blog. “On a des bailleurs qui craignent pour leur réputation et qui s'activent.” Certains, avant même la parution d’articles, inquiets après avoir été contactés par des journalistes. Mais celle qui a peut-être le plus secoué un secteur, c’est l’enquête sur les paris sportifs de Latifa Oulkhouir pour le Bondy Blog. Leur travail a mené au retrait d’une pub phare de Winamax et un plus grand contrôle des publicités pour les sites de paris en ligne.

Et d'ailleurs, pourquoi faut-il mesurer son impact ?

Pour Michaël Hajdenberg, le mesurer donc “c’est un moyen de dire que le journalisme, ça sert à quelque chose, parce que parfois, les gens peuvent avoir l'impression que de toute manière il se passera jamais rien, si il y a une enquête judiciaire, ça n'aboutira pas, si jamais, ça aboutit à un procès, ils seront jugés dans dix ans, et puis finalement, il y aura toujours un moyen qu'ils ne soient pas condamnés, ou s'ils sont condamnés, ils n'iront jamais en prison.” 

Prouver que ce travail a des effets concrets a aussi un intérêt pécuniaire. Car, breaking news, il faut encore de l’argent pour faire tourner la presse indépendante ! StreetPress a ainsi commencé à faire des rapports sur leur impact lorsqu’ils ont ouvert leur média aux dons. Ouvrir de la sorte, “cela impliquait à notre sens deux choses: de la transparence sur nos sources de financement et à quoi votre argent sert”, raconte Mathieu Molard. “Pour mesurer l'efficacité, on s'est dit qu'on allait faire un rapport d'impact.” Chaque année, StreetPress publie ainsi un récapitulatif de leur impact sur leurs différentes thématiques.

La mesure reste cependant peu répandue dans les médias français. Mediapart y a longtemps réfléchi, en particulier car leurs enquêtes sur la fraude fiscale ont rapporté beaucoup d’argent au contribuable. “À un moment, on s’était dit qu’on allait essayer de le chiffrer, c'était drôle, et puis bon, c'était trop compliqué, et puis peut-être un peu prétentieux aussi, donc on a laissé tomber” , raconte Michaël Hajdenberg de Mediapart. Qui plus est, qui dit rapport d’impact dit travail, qui dit travail dit… rémunération. Pour Helena Berkaoui, au Bondy Blog, “on n'a pas les moyens aujourd'hui de détacher du temps pour mesurer spécifiquement l’impact.”

Mais la réflexion continue de faire son chemin, et nous l’accompagnerons avec cette nouvelle verticale Rembobine. “On fait ce travail parce qu’on y croit et parce qu’on pense qu’on peut être utile,” défend Michaël Hajdenberg. “Le montrer, c’est susciter de l’adhésion.

Nous avons encore beaucoup de choses à vous raconter sur l’impact, alors abonnez-vous à notre newsletter pour lire le prochain épisode sur les médias qui travaillent leur impact, en aval… mais aussi parfois en amont de leurs enquêtes ! À très vite.

👊 L'impact en rédac