Pour Nestlé, tous les bébés ne sont pas égaux #54

Cécile Massin
Cécile Massin

Salut les Rembobineur·euses,

Il est des semaines où, en préparant la newsletter, on tombe sur une enquête qui nous remue tout particulièrement. L'enquête sur laquelle on a décidé de revenir cette semaine est de celle-là, peut-être parce qu'elle va nous chercher jusque dans le ventre en montrant comment des géants de l'agroalimentaire comme Nestlé décident que les bébés, selon qu'ils sont nés dans des pays riches ou dans des pays pauvres, ne méritent pas d'avoir un même accès à une nourriture saine. La lutte contre les injustices se joue aussi dans les assiettes.

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Bonne lecture,
Cécile et l'équipe de Rembobine

Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture ! Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détails, une interview de l'enquêteur Laurent Gaberell et nos recommandations pour continuer à creuser le sujet.

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, Nestlé commercialise des produits pour bébés qui contiennent des niveaux de sucre ajouté plus élevés que dans les pays dits développés.
→ L'ajout de sucre ajouté dans ces produits pour bébés, permis par des législations nationales très permissives, peut conduire à des risques d'obésité, ainsi qu'à rendre ces futurs adultes accros au sucre.

💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Suite à l'enquête, certains pays ont décidé de vérifier la conformité des produits Nestlé à leur législation nationale.
→ Les reprises dans la presse ont été très nombreuses et la pression sur les réseaux sociaux très forte, tant et si bien qu'en Inde, l'action de Nestlé a chuté de 5% en un jour et le géant a dû changer sa gamme de produits.

Des bébés surexposés au sucre dans les pays pauvres

50 ans après le scandale des laits en poudre « tueurs d'enfants », Nestlé se présente sans complexe comme une marque consciente, engagée en faveur d'une alimentation saine pour les enfants dès leur plus jeune âge. Voilà pour la théorie. En pratique, la réalité est toute autre. C'est ce que révèle une enquête édifiante de l'association suisse Public Eye, écrite il y a un an en collaboration avec le Réseau international d'action pour l'alimentation infantile (IBFAN).

Dans leur enquête intitulée « Comment Nestlé rend les enfants accros au sucre dans les pays à plus faible revenu », l'association indépendante et l'IBFAN s'intéressent à deux des marques d'aliments pour bébés les plus vendus par Nestlé dans les pays à revenu faible ou intermédiaire : Cerelac et Nido. Et pour l'une comme l'autre, les résultats sont sans appel : dans les pays à revenu faible ou intermédiaire comme l'Inde, le Bangladesh ou encore le Nigeria, ces produits contiennent des niveaux de sucre ajouté alors qu'en Suisse - où Nestlé à son siège - ainsi que dans la plupart des principaux marchés européens, de tels produits sont vendus sans sucre ajouté. Une inégalité flagrante que Public Eye a réussi à mettre en évidence grâce à l'examen des étiquettes des produits concernés, mais aussi à leur test en laboratoire spécialisé.

Comment Nestlé rend les enfants accros au sucre dans les pays à revenu plus faible
Les deux principales marques d’aliments pour bébés que Nestlé promeut comme saines et essentielles au développement des enfants dans les pays à revenu faible ou intermédiaire contiennent des niveaux élevés de sucre ajouté. En Suisse, où Nestlé a son siège, de tels produits sont pourtant vendus sans sucre ajouté. C’est ce que révèle une nouvelle enquête réalisée par Public Eye, en collaboration avec le Réseau international d’action pour l’alimentation infantile (IBFAN), qui pointe du doigt l’hypocrisie et le marketing trompeur du géant agroalimentaire helvétique.

Face à l'argumentaire léché du géant de l'agroalimentaire, qui se vante de commercialiser des produits destinés à « mener une vie plus saine », l'enquête souligne pourtant les risques d'obésité liés au sucre ajouté, et ce alors que l'obésité infantile a été multipliée par dix durant les quatre dernières décennies, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Malgré leur dangerosité, ces ajouts de sucre sont pourtant autorisés par la plupart des législations nationales, qui se basent sur le Codex Alimentarius, un recueil de normes internationales très permissives. Les produits qui contiennent du sucre ajouté sont par ailleurs vantés ou promus par des influenceurs voire des professionnels de la santé qui, dans les pays à revenu intermédiaire ou faible revenu, se font le relais direct de l'argumentaire fallacieux du géant de l'agroalimentaire.

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l’enquête de Public Eye et IBFAN, Nestlé continue-t-il à vendre des produits pour bébés aux taux de sucre ajouté différenciés ? Les législations nationales ont-elles évolué pour mieux encadrer les pratiques du géant de l'agroalimentaire ? Dans les pays concernés, les citoyens se sont-ils levés contre cette pratique du double standard ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ✔️

→ Suite à la publication de l'enquête, certains pays parmi lesquels le Bangladesh et le Nigeria ont décidé d'ouvrir des enquêtes sur la conformité des taux de sucre ajouté dans les produits Nestlé à leur législation nationale. « Étant donné que les législations nationales ont des taux très permissifs, ces enquêtes n'ont rien donné, explique Laurent Gaberell, mais ça a permis de mettre la thématique à l'agenda. »

→ En Inde - premier marché pour Cerelac au niveau mondial -, l'action de Nestlé a chuté de 5% en un jour suite à la publication de l'enquête. Dans ce contexte, le gouvernement indien a décidé d'aller plus loin, en allant questionner sa législation nationale. Ce travail est toujours en cours. En parallèle, Nestlé a changé son portfolio : alors que sur la quinzaine de produits Cerelac vendus par le géant de l'agroalimentaire en Inde, tous comprenaient du sucre, 80% du portfolio de Nestlé en Inde comprend désormais des produits sans sucre.

→ Suite à l'enquête, une réunion a eu lieu en octobre au sein du comité du Codex Alimentarius qui s'occupe des produits alimentaires pour bébés. Le comité a décidé de réviser le standard sur les céréales infantiles. « Tout le monde avait connaissance de ce problème, mais l'enquête a vraiment permis de le mettre à l'ordre du jour au Codex, insiste Laurent Gaberell. Le jour où ce standard changera, ce sera vraiment un énorme bouleversent au niveau mondial. En même temps, il serait grand temps que ce soit enfin le cas vu le problème de l'obésité au niveau mondial. »

→ L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a félicité l'équipe pour leur enquête. « Ils étaient très contents qu'on contribue à mettre le sujet sur le devant de la scène », avance Laurent Gaberell.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️

→ L'enquête a eu un très fort impact médiatique dans les pays en développement concernés, en Asie et en Afrique. Les reprises ont aussi été nombreuses en Suisse, en Angleterre (notamment dans The Guardian), en Allemagne (par exemple dans Der Spiegel) ou en France. Laurent Gaberell a par ailleurs été interviewé à plusieurs reprises notamment en Australie ou à la télévision kurde. « On a un peu fait le tour du monde avec cette histoire, dit-il. Ca nous est rarement arrivé d'être autant repris dans la presse au niveau mondial. »

→ Le pays où l'impact médiatique a été le plus grand est l'Inde. L'enquête a été largement reprise dans la presse indienne, à tel point que Nestlé a dû faire plusieurs déclarations officielles dans la presse. « Le sujet est resté au journal télévisé pendant plusieurs jours de suite », précise le journaliste.
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IMPACT JUDICIAIRE ✔️

→ Après la publication de l'enquête, l'association Public Eye a elle-même décidé de dénoncer Nestlé auprès du Secrétariat d’État à l'économie (Seco) suisse pour publicité mensongère. « Les législations nationales sont censées protéger les consommateurs de la publicité mensongère, mais le problème, c'est que le combat est très inégal entre les consommateurs et les géants de l'alimentation, entame Laurent Gaberell. Nous essayons de faire valoir ce droit auprès du Seco, mais le problème, c'est qu'il a une double casquette. C'est à la fois le Seco qui est chargé de la mise en oeuvre de la réglementation et lui qui est également censé défendre les intérêts des entreprises suisses à l'étranger. Forcément, le conflit d'intérêt est immense. »

→ Le journaliste n'a pas eu connaissance d'autres pays où des associations auraient demandé des comptes à leur gouvernement pour le même motif.
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IMPACT PUBLIC ✔️

→ Sur le continent africain, l'enquête a suscité de très nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Cela a également été le cas en Inde, où l'enquête a été largement partagée entre autres par des influenceurs qui s'intéressent au sujet, ce qui a « amplifié l'impact », détaille Laurent Gaberell.

→ Suite à l'enquête, Public Eye et IBFAN ont eux-mêmes décidé de lancer une pétition, qui a recueilli à ce jour plus de 100 000 signatures, afin de sommer Nestlé de retirer le sucre de ses aliments pour bébés autour du monde. « On les a rencontrés en personne, détaille Laurent Gaberell, en leur demandant également d'arrêter de promouvoir ces produits comme sains et bons pour la santé. Le problème, c'est que Nestlé refuse toujours d'assumer ses responsabilités et se cache derrière le respect des réglementations en vigueur dans les pays concernés. »

Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️

Laurent Gaberell est enquêteur chez Public Eye. Il a coécrit l'enquête avec Manuel Abebe, également enquêteur chez Public Eye, et Patti Rundall, membre du Réseau international d'action pour l'alimentation infantile (IBFAN). Pour Rembobine, il revient sur sa méthodologie d'enquête, l'importance de s'intéresser à l'alimentation comme révélateur des injustices et les moyens d'action pour contraindre les géants de l'agroalimentaire à changer leurs pratiques.

Double standard sur les produits Nestlé : “une pratique coloniale que les gens n’acceptent plus”
Laurent Gaberell est enquêteur chez Public Eye. Il a coécrit l’enquête « Comment Nestlé rend les enfants accros au sucre dans les pays à plus faible revenu » avec Manuel Abebe et Patti Rundall.

Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰

La question de la nourriture au prisme des inégalités sociales vous intéresse ? On ne peut que vous inviter à regarder du côté du travail de la journaliste indépendante Nora Bouazzouni, qui travaille depuis plusieurs années à croiser genre et alimentation. Dans son dernier essai Mangez les riches, la journaliste s'intéresse à l’alimentation comme « un outil de transformation sociale puissant, essentiel à la lutte des classes qui est aussi une lutte des casseroles ».

Du côté des géants de l'alimentaire, les documentaires foisonnent. On vous a sélectionné Tous accros : le piège des aliments ultratransformés, qui analyse avec beaucoup de précision les stratégies mises en place par ces géants pour s'enrichir au mépris de la santé humaine. Un documentaire accessible gratuitement sur Arte.

Tous accros : le piège des aliments ultratransformés - Regarder le documentaire complet | ARTE
Si vous ne pouvez pas vous arrêter de manger, c’est leur faute. Ces quarante dernières années, les géants de l’alimentation ont déployé des trésors d’ingéniosité – et de cynisme – pour accroître les ventes de leurs produits au mépris du coût pour notre santé. Ce documentaire propose une analyse poussée des stratégies mises en oeuvre de ces grands groupes de l’alimentation qui s’en mettent plein les poches.

Pour celles et ceux d'entre vous qui souhaitent opérer un petit virage vers l'Est, on vous renvoie vers cet article du Courrier d'Europe centrale qui revient sur le cas de certains produits importés en Hongrie : alors qu'ils ont les mêmes emballages qu'en Europe de l'Ouest, ils n'ont pourtant pas la même qualité.

Alimentation : les mêmes emballages mais pas la même qualité
Le ministère de l’agriculture reconnaît le problème : les produits importés en Hongrie n’ont pas la même qualité que ceux vendus en Europe de l’Ouest.

Last but not least, comme on a un « petit » faible pour Arte Radio, on vous a sélectionné deux podcasts qui racontent nos rapports à l'alimentation, l'un sur la boulimie, l'autre sur la tyrannie de la minceur. Rien de très joyeux, donc, mais des sujets ô combien importants.

Mangez-moi
Créatrice de podcasts depuis 2002. Émissions, reportages, témoignages et bruits pas sages
Mince, une injonction !
Créatrice de podcasts depuis 2002. Émissions, reportages, témoignages et bruits pas sages
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Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !

1. Partagez l’enquête et son impact avec votre entourage pour sensibiliser sur les inégalités alimentaire.

2. Interpellez vos élu·es (député·es, sénateur·rices, eurodéputé·es) en leur demandant de légiférer pour une interdiction du sucre ajouté dans les produits pour bébés.

3. Soutenez les ONG et collectifs engagés pour la justice alimentaire, et participez à des mobilisations citoyennes lorsqu'ils en organisent.

4. Boycottez les produits Nestlé.

5. Signalez sur les réseaux sociaux les produits de sous-qualité que vous repérez.

Nous espérons que cette newsletter vous a éclairés sur ce sujet. N’hésitez pas à nous écrire si le sujet de l'enquête vous a interpellés et à parler de Rembobine autour de vous, ainsi qu'à partager nos articles. Ensemble, continuons à faire bouger les lignes.

À très vite sur Bluesky, Instagram, LinkedIn et par mail pour notre prochaine enquête !

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante