Mine de lithium en Allier, futur énergétique sur bombe toxique ?
Retour sur l'enquête de Leïla Milano sur le projet d'ouverture d'une mine de lithium à Echassières, dans l'Allier, alors même que le secteur est contaminé à l'arsenic et au plomb.
Il y a quelques mois, nous étions revenus sur l'impact de l'enquête de la journaliste Célia Izoard, qui explore les ravages sociaux et environnementaux provoqués par la mine de Bou-Azzer, au Maroc, afin de produire du cobalt, un minerai plébiscité pour la construction des batteries des voitures électriques. Et comme les impasses de la transition énergétique dite « verte » nous tiennent tout particulièrement à cœur, nous revenons cette semaine sur l'enquête de Leïla Miñano, cette fois sur un projet minier dans l'Allier. Là-encore, l'ambition est de fournir des batteries électriques pour nos bolides à quatre roues. Le tout sans comporter des risques sanitaires et environnementaux ? Rien n'est moins sûr, révèle l'enquête de la journaliste d'investigation, parue chez nos confrères d'Investigate Europe et Disclose.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Géant de l'extraction, Imerys envisage d'ouvrir une mine de lithium à Echassières, dans l'Allier, afin de fournir de quoi alimenter les batteries de 700 000 véhicules électriques par an.
→ Un projet largement soutenu par le gouvernement, qui y voit le premier jalon de sa politique de transition vers les énergies renouvelables, alors même que le secteur est contaminé à l'arsenic et au plomb, révèle l'enquête de Leila Miñano grâce au décryptage d'un rapport inédit.
💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Un an après l'enquête, Imerys n’a pas réagi, et le gouvernement a assuré que les services du ministère de la Transition énergétique veilleraient à la qualité environnementale du projet.
→ Les associations et citoyen·nes opposé·es au projet se sont, elleux, saisi·es de l'enquête pour faire valoir leurs inquiétudes, bien que le projet se poursuive.
Construire une mine « responsable » sur un site pollué ?
On imagine que la petite commune d'Echassières ne vous dit rien de particulier ? Jusqu'à peu, nous ne la connaissions pas non plus. Et pourtant, c'est dans cette commune de l'Allier de quelques centaines d'habitants qu'Imerys, géant français de l'extraction, prévoit de construire la plus grande mine de lithium d'Europe. Rien que ça.
L'objectif ? Alimenter, grâce à ce minerai convoité, jusqu'à 700 000 batteries de voitures électriques par an. De quoi assurer au projet minier le plein soutien du gouvernement, qui y voit le premier jalon de sa politique de transition vers les énergies renouvelables. D'autant qu'Imerys l'assure, la mine, dont l'ouverture est prévue pour 2028, sera « responsable » et le lithium produit « avec des émissions inférieures de moitié à celles de toutes les autres exploitations de lithium en roches existantes aujourd'hui dans le monde ». Des arguments de taille à l'heure où le lithium est principalement produit en Australie, au Chili et en Chine dans des conditions environnementales pointées du doigt.
Pourtant, la réalité est moins reluisante qu'elle n'y paraît, révèle l'enquête de Leila Miñano pour Investigate Europe et Disclose. Grâce au décryptage d'un rapport de Geoderis, bureau d'expertise spécialisé dans "l'après-mine", la journaliste détaille comment le secteur où Imerys explore les sous-sols est en réalité fortement contaminé à l'arsenic et au plomb. Plus précisément, le secteur est classé E, soit le plus haut niveau de pollution minière du pays. De fait, la commune a un important passé minier, du kaolin et du tungstène y ayant notamment été extraits pendant plusieurs décennies.
Conséquence directe : le secteur est « susceptible de présenter un risque très significatif pour la santé humaine et l'environnement », tandis que de nouveaux forages pourraient risquer de disséminer un peu plus les métaux déjà présents dans les sols.
💥 En quête d'impact
Un an après la publication de l'enquête de Disclose et Investigate Europe, des mesures ont-elles été prises pour limiter les risques environnementaux liés au projet minier ? Imerys et le gouvernement ont-ils réagi ? Des citoyen·nes se sont-iels emparé·es du sujet ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ Ni le gouvernement, ni Imerys n'ont réagi à la publication de l'enquête. « Ils font comme si le problème n'existait pas », regrette Leila Miñano.
→ En février 2024, la députée Marianne Maximi a interpellé le ministre de la Transition écologique sur les risques sanitaires et environnementaux liés à la contamination aux métaux lourds. Elle a critiqué les dérogations accordées à Imerys, dispensée d'études d'impact, et demandé des garanties pour protéger les populations locales.
→ Le ministre a répondu en séance le 28 février 2024, affirmant que les services du ministère veilleraient à la qualité environnementale du projet. Il a également mentionné que les populations locales pourraient exprimer leur avis lors des procédures d'octroi de la concession et de délivrance des autorisations environnementales.
→ À l'inverse, le projet progresse : en juillet dernier, le projet a obtenu le statut de Projet d'intérêt national majeur (PINM), ce qui permet aux projets d'importance « pour la transition écologique ou la souveraineté nationale » de bénéficier de mesures d'accélération ou de dérogation administrative pour leur implantation, d'après nos confrères de Novethic.
→ Le projet minier a fait et continue de faire l'objet de nombreux articles dans la presse, bien que ces derniers ne fassent pas nécessairement référence à l'article de Disclose et Investigate Europe. Ces articles sont parus entre autres sur Le Monde, Novethic, Reporterre, Libération.
→ Suite à la publication d'un décret au journal officiel qualifiant le projet minier de PINM, trois associations et des riverains ont déposé un recours en septembre 2024 auprès du conseil d’État.
→ À l'échelle locale, les citoyen·nes se sont largement saisi·es de l'enquête de Leïla Miñano. « Les gens ont imprimé le papier et l'ont distribué dans les boîtes aux lettres, détaille la journaliste. Certains sont même allés jusqu'à la porte des élus, du maire, des conseillers parlementaires pour montrer l'article et dire qu'il y avait un problème ! Je n'avais jamais vu une diffusion sur le terrain de ce type. »
→ Plus largement, une partie de l'opinion publique est fortement mobilisée contre le projet. Les opposants s'inquiètent autant des risques environnementaux inhérents au projet (gestion des déchets, usage de l'eau, risque de pollution des sous-sols, impact sur la biodiversité) que de ses répercussions d'un point de vue socio-économique, notamment vis-à-vis de ses retombées réelles en termes d'emploi. « L'un des problèmes majeurs, c'est que les riverains n'ont jamais de réponse à leurs questions, déplore Leila Miñano. Le flou qui entoure le projet est beaucoup plus large que la question de la pollution à l'arsenic et au plomb. Il concerne le nombre réel d'emplois créés, la quantité réelle d'eau utilisée... »
Les coulisses de l'enquête 🕵️♀️
Leïla Miñano est journaliste d'investigation pour Investigate Europe, un consortium de journalistes d'investigation européens. Elle est également secrétaire générale de Disclose.Pour Rembobine, elle revient sur la responsabilité des journalistes dans le traitement des questions environnementales, l'importance d'être à l'écoute des informations fournies par les citoyen·nes, ainsi que la dimension européenne des projets miniers.
Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰
À celles et ceux qui s'intéressent aux projets miniers, on ne peut que vous conseiller de regarder du côté des travaux de Célia Izoard, reçue chez Rembobine il y a quelques mois. Dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle, la journaliste indépendante, autrice et traductrice spécialisée dans les pollutions industrielles a notamment dressé un panorama des extractions minières et explique comment « les élites ont décidé de miser sur l'extraction minière pour lutter contre le réchauffement climatique, ce qui est une aberration ».
Et parce que la question des projets miniers est loin d'être une problématique franco-française, on vous invite vivement à aller vous plonger dans le dossier « mine games » (ou « terres rares ») d'Investigate Europe qui explore, à l'échelle européenne, la course à l'extraction minière.
Last but not least, ça bouge du côté des luttes locales. En octobre dernier, l’association Eau et rivières de Bretagne a organisé une réunion d’information après la découverte du lancement de consultations publiques concernant des demandes de permis de recherche minière dans l’ouest de la France dans le pays de Lorient, à l’est du Morbihan, dans le sud de l’Ille-et-Vilaine et le nord-est de la Loire-Atlantique, ainsi qu'en Loire-Atlantique et dans le Maine-et-Loire, selon nos confrères du Télégramme.
Lecteur·trices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Diffusez l'article et l'enquête d'impact via vos réseaux sociaux, auprès de vos amis et famille pour les sensibiliser aux enjeux environnementaux 🌿
2. Soutenez des associations de préservation de l'environnement, telles que France Nature Environnement (FNE) et Préservons la forêt des Colettes 🌍
3. Participez à des consultations publiques, signez des pétition : restez attentifs aux conséquences des projets miniers, en France comme à l'échelle européenne ✒️
4. Interpellez vos élus locaux en adressant un e-mail aux députés et sénateurs de votre circonscription. 📧
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