Livraisons de pièces de munitions à Israël : la France dans un commerce trouble

Le conflit israélo-palestinien, qui ne cesse de faire la Une, nous semble souvent lointain. En mars 2024, une enquête de Disclose et Marsactu a révélé qu’il nous concerne de bien plus près qu’on ne l’imagine.

Timothée Vinchon
Timothée Vinchon

Derrière les bombardements et les affrontements, des composants de munitions utilisés par l’armée israélienne sont fabriqués en toute discrétion à Marseille. Ces révélations ont levé le voile sur l’implication de la France dans ce commerce sensible, alimentant plus que jamais le débat sur la transparence des exportations d’armes et leurs conséquences sur le terrain.

Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture ! Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détail, une interview de la journaliste Nina Hubinet et nos recommandations pour continuer à creuser le sujet.

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ L’enquête de Disclose et Marsactu révèle qu’en octobre 2023, la France a autorisé la livraison à Israël de 100 000 maillons de cartouches pour fusils mitrailleurs, fabriqués par l’entreprise marseillaise Eurolinks, contredisant les déclarations officielles du gouvernement qui affirmait ne fournir que du matériel défensif.

💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ La mobilisation citoyenne a été importante. Des ONG ont déposé des recours contre les licences d'exportation et plusieurs manifestations se sont déroulées devant l’usine Eurolinks, dénonçant son implication dans le conflit à Gaza.

→ Bien que l'enquête ait provoqué un séisme médiatique, les institutions - et notamment le ministre des Armées Sébastien Lecornu - continuent de camper sur leur position : fournir uniquement du matériel “défensif” ou sous strict contrôle.

Une entreprise marseillaise expédie des composants pour fusils mitrailleurs vers Israël

Le 25 mars 2024, l’enquête de Disclose et Marsactu révèle qu’en octobre 2023, en pleine offensive israélienne sur Gaza, la France a autorisé la livraison à Israël d’au moins 100 000 maillons de cartouches pour fusils mitrailleurs, produits par l’entreprise Eurolinks, basée à Marseille. Ces petits composants métalliques, indispensables au fonctionnement des fusils-mitrailleurs, permettent de tirer en rafale avec des armes comme le Negev 5, utilisé par l’armée israélienne.

Une entreprise marseillaise expédie des composants pour fusils mitrailleurs vers Israël
La société marseillaise Eurolinks, fabriquant de maillons pour armes automatiques, a expédié au moins 800 kg de ces composants fin octobre vers Tel Aviv, d’après l’enquête menée par Marsactu et Disclose. Des armes comprenant ces composants ont pu être utilisées à Gaza contre des civils. À Marseille, un collectif citoyen souhaite mettre en cause l’entreprise.

Pour découvrir en détail l'enquête de Nina Hubinet et Ariane Lavrilleux

Les documents et photographies obtenus par Disclose et Marsactu montrent des caisses prêtes à être expédiées vers IMI Systems, une société israélienne qui alimente directement Tsahal en munitions de 5,56 mm, calibre compatible avec ces armes. Ces révélations contredisent les déclarations du gouvernement français, qui affirmait ne livrer que des composants destinés à des systèmes défensifs, notamment le Dôme de fer.

Face aux révélations, le ministre des Armées Sébastien Lecornu et Eurolinks ont, le lendemain, tenté de minimiser l’affaire en assurant que ces pièces n’étaient destinées qu’à la réexportation. Disclose a poursuivi son enquête et mis en évidence l'absence totale de contrôles sur la destination réelle des pièces exportées. Ni le gouvernement français, ni l'entreprise marseillaise Eurolinks, ni même l’ambassade de France à Tel-Aviv n’ont mis en place un mécanisme de suivi garantissant cette version.

Disclose.ngo
Disclose est un média et une ONG de journalisme d’investigation.

Les vérifications de Disclose suite aux déclarations de Sébastien Lecornu, ministre des Armées.

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l’enquête de Disclose et Marsactu, la France livre-t-elle encore ces pièces ? Des politiques se sont-ils emparés de la question pour exiger plus de transparence ? Des tribunaux ont-ils pris des décisions pour encadrer ces exportations ? Des mobilisations citoyennes ont-elles réussi à peser sur l’opinion publique et les industriels ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ✔️

→ Les révélations de Disclose ont provoqué des réactions au plus haut niveau de l’État et du Parlement. À l’Assemblée nationale, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a dû s’expliquer à plusieurs reprises. Il a nié toute livraison directe d’armes “offensives” et soutenu que la France ne fournit à Israël que des composants destinés à des systèmes défensifs ou à la réexportation.

→ Ces déclarations ont été mises en cause par des députés d’opposition, qui accusent le gouvernement d’opacité. La présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, a dénoncé un “scandale massif”.

→ Le 29 mars 2024, plus de 70 députés (principalement de la NUPES) ont déposé une proposition de résolution demandant une commission d’enquête parlementaire sur la complicité de la France dans les crimes de guerre à Gaza.

→ Plus de 115 députés ont signé une lettre au Président, demandant l'arrêt immédiat de ventes d'armes à Israël.

→ Officiellement, l’exécutif campe sur sa position : fournir uniquement du matériel “défensif” ou sous strict contrôle. En octobre 2024, Sébastien Lecornu “découvre” que des armes envoyées à Israël sont destinées au ré-export vers la France, “n’en déplaise à celles et ceux qui ont voulu entretenir le trouble sur ce sujet”.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️

→ L’enquête a été largement relayée dans les médias français et internationaux, en français, anglais, espagnol, arabe, etc. L’onde de choc a largement dépassé l’Hexagone : la presse anglophone s’en est fait l’écho (France 24, l'AFP, The New Arab, Politico, etc.), de même que des médias au Moyen-Orient.

→ Le Times of Israel a rapporté les révélations de Disclose et la réponse défensive de Paris.

→ Plus largement sur l'implication d'industriels français de l'armement dans le conflit, en juin 2024, Ariane Lavrilleux, accompagnée cette fois de Mathias Destal, rédacteur-en-chef de Disclose, ont révélé que le gouvernement avait autorisé la livraison d'équipements électroniques pour des drones, susceptibles de bombarder des civils.
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IMPACT JUDICIAIRE

→ Dès avril 2024, un collectif de 11 ONG (dont Amnesty, ASER, Attac, ACAT, AFPS…) a déposé trois recours en justice devant le tribunal administratif de Paris. Ces organisations demandaient la suspension immédiate des licences d’exportation d’armes françaises vers Israël, arguant du risque d’usage contre les civils à Gaza en violation du droit international. La justice administrative a rejeté ces requêtes en mai 2024. Les associations ont fait appel et la procédure est toujours en cours un an plus tard.

→ Début juin 2024, plusieurs associations ont mené une bataille juridique pour empêcher les entreprises israéliennes de participer au plus grand salon européen de l'industrie de la défense, Eurosatory. La pression a fonctionné, car les organisateurs ont annulé la venue de ces sociétés. Le 18 juin, lendemain de l'ouverture, l’exclusion des entreprises israéliennes a été jugée discriminatoire par le Tribunal de commerce de Paris.

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IMPACT PUBLIC ✔️

→ Sur le terrain, l’enquête a suscité une mobilisation citoyenne sans précédent. À Marseille, épicentre de l’affaire, des centaines de personnes ont manifesté le 1er avril 2024 devant l’usine d’Eurolinks, une première en France devant un site d’armement.

De nouvelles manifestations ont eu lieu fin janvier et en mars 2025 devant l'usine. Les militants de Stop Arming Israel entendait "dénoncer la complicité de la société avec les crimes commis à Gaza et obtenir un positionnement clair de la direction quant à l’arrêt de son commerce avec Israël." Ils ont interrogé des salariés.

Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️

Nina Hubinet est journaliste indépendante basée à Marseille. Elle a notamment été en charge de l'article pour le média local d'investigation Marsactu. Dans son interview pour Rembobine, elle revient sur le travail de vérification des faits qui lui ont été rapportés, de l'importance de voir la presse locale s'emparer du sujet et la satisfaction de voir la société civile donner de l'écho jusqu'à aujourd'hui à ces révélations.

Livraisons de pièces de munitions à Israël : “une implication directe de cette guerre qui peut paraître lointaine”
Nina Hubinet est journaliste indépendante basée à Marseille. Elle a notamment été en charge - pour le média local d’investigation Marsactu - de l’enquête sur la livraison à Israël de 100 000 maillons de cartouches pour fusils mitrailleurs, fabriqués par l’entreprise Eurolinks.

Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰

Les quatre épisodes de la série "Sur le chemin des armes" de Culture Monde explorent la place centrale des armes dans les conflits contemporains. Qu'elles soient conventionnelles, nucléaires ou cyber, elles sont un levier de pouvoir géopolitique et économique. Le premier épisode permet notamment de comprendre les dynamiques du commerce d’armement, la place de la France dans tout ça et les limites des embargos internationaux.

Sur le chemin des armes : un podcast à écouter en ligne | France Culture | Radio France
Qu’elles soient de type conventionnel, nucléaire ou cyber, les armes sont une composante essentielle des guerres et des conflits. La course à l’armement en cours rappelle le pouvoir géopolitique et économique que confère leur contrôle.

Si vous voulez en savoir encore plus, le livre Ventes d’armes, une honte française aux éditions Le passager clandestin raconte comment la France fait fi de tous ses engagements en termes de droits humains, au profit de ses intérêts économiques, et cela depuis des décennies et quel que soit le gouvernement en place.

Ventes d’armes, une honte française - Le Passager Clandestin
Pour dire stop à la vente d’armes à des pays qui violent les droits humains ! ISBN : 978-2-36935-111-5 192 pages date de parution : septembre 2021
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Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

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1. Partagez l’enquête et son impact avec votre entourage pour sensibiliser au rôle de la France dans les exportations d’armes à Israël.

2. Interpellez vos élu·es (député·es, sénateurs·rices, eurodéputé·es) en leur demandant plus de transparence sur les ventes d’armes françaises et en les encourageant à poser des questions au gouvernement.

3. Soutenez les ONG et collectifs engagés contre les exportations d’armes, comme L'observatoire des armements, Amnesty International, ASER ou Attac, qui mènent des actions en justice et des campagnes de sensibilisation.

4. Participez à des mobilisations citoyennes. Le collectif Stop Arming Israël organise des manifestations devant des usines d'armement un peu partout en France.

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💥 En quête d'impact

Timothée Vinchon Twitter

Rédacteur et cofondateur de Rembobine - Journaliste indépendant - Formateur en éducation populaire aux médias