“Les journalistes font déjà attention à leur impact, il s’agit simplement de le systématiser.”
Entretien avec Lindsay Green Barber, fondatrice de Impact Architects et référence dans le monde de la mesure et l'utilisation de l’impact dans le journalisme.
Lindsay Green-Barber a été l'une des premières à systématiser et organiser ce concept aux Etats-Unis, d’abord pour le Center for Investigative Reporting, de 2013 à 2015, où elle a modélisé un premier outil de mesure de l’impact des enquêtes, puis pour plusieurs médias à travers sa propre entreprise, Impact Architects, à partir de 2017.
Cet échange avec Lindsay vous permettra de comprendre comment chaque rédaction peut s’emparer de la mesure de l’impact en fonction de ses besoins.
Quelle est la première étape du travail que vous menez avec un média qui veut mesurer son impact ?
Dans la plupart des cas, nous faisons une évaluation préliminaire, juste pour mieux comprendre quelle est la culture de l'impact dans la rédaction, qui travaille dessus. Ensuite, nous organisons un atelier, et généralement une série de séances individuelles, principalement avec des personnes qui peuvent occuper des postes de direction — mais l'atelier peut être plus inclusif.
L’objectif est d’essayer de générer un cadre d'impact s'il n'existe pas déjà. Nous demandons : quels sont tous les exemples d'impact que les journalistes observent ? Qu'espèrent-ils voir se produire mais dont ils ne sont pas sûrs ? Et puis nous résumons cela dans une taxonomie propre à chaque rédaction. Dans les centaines de rédactions avec lesquelles nous avons travaillé, cela correspond presque toujours à nos quatre catégories d'impact.
Une fois les catégories d'impact identifiées, comment aidez vous les rédactions à mesurer leur impact ?
À partir de là, nous trouvons des instruments de mesure. En fonction des résultats souhaités, on cherche les différents indicateurs ou méthodes pour arriver à la mesure. Parfois, c'est les chiffres d’audience et de clics. Parfois, si vous essayez de changer les termes de la conversation sur un sujet, vous devrez peut-être faire de l’analyse de contenu que vous récolterez dans un formulaire, puis vous transvasez les réponses dans une base de données.
Nous donnons ensuite à nos clients un plan de mesure où nous disons : voici ce que nous vous recommandons de faire la première année. Et on établit un calendrier. On essaye également de mettre en place un rapport d'impact à la fin de l'année pour voir le type de données qu’ils obtiennent et à quelle régularité. On leur fait alors intégrer ce processus à leurs réunions éditoriales afin de pouvoir discuter de l'impact, et pas seulement des indicateurs d’audience classique.
Dans certains cas, nous avons un contrat long pour aider les gens dans cette phase de mesure et de collecte de données jusqu'à la rédaction du rapport. Dans d'autres cas, c’est plus court, alors on leur livre seulement un cadre, un outil de suivi d'impact. C'est donc adapté à l'organisation et ce qu’elle demande.
Il s'agit donc également de changer la manière de travailler d'un média ?
Nous voulons créer des données, nous voulons mesurer l'impact. Mais cela passe aussi par le fait de changer la culture organisationnelle pour que tout le monde pense à l'impact, tout le temps : quand les journalistes choisissent leur sujet, quand ils et elles pensent à qui est leur public, ils doivent aussi penser à qui sont les parties prenantes, qui va être intéressé par cela, qui pourrait s’en emparer, s’organiser et quel type d'informations vous avez en tant que journaliste que vous devriez mettre dans l'histoire pour que ces gens là puissent l'utiliser.
Ce que je dis aux journalistes est que tout le monde écrit avec un public en tête. Vous entendez les gens dire vouloir écrire quelque chose que ma grand-mère ou que ma mère peut lire. Et c'est super, mais est-ce que votre mère, votre grand-mère, est réellement le public cible de cette histoire ? Quand je dis ‘public cible’, on me dit : “on est pas dans la communication !” mais vous avez, en fait, un public en tête. C’est un peu facile de prétendre que ce n’est pas le cas.
Comment est-ce que vous recommandez aux rédactions d'organiser le suivi de l’impact de leur travail ?
Nous recommandons que le suivi soit distribué à travers la rédaction, que les journalistes soient responsables d'une manière ou d'une autre de documenter l'impact qui se produit en lien avec leur travail. On recommande aussi d'intégrer cette reflexion à une réunion éditoriale mensuelle. Hebdomadaire, c'est probablement trop. Mais c’est important de réfléchir à l’impact, de faire en sorte que cela fasse partie du flux de travail et du processus éditorial. Et lorsque vient le moment de faire des points annuels, l’important n’est pas de savoir si votre article a eu suffisamment d'impact, mais de savoir si vous participez aux processus de travail pour s’assurer que nous en gardons une trace.
Les journalistes ont généralement un système pour suivre leur impact parce que tout le monde veut savoir cela pour les remises de prix, les demandes de bourses, etc. Le problème n’est donc pas que les journalistes ne prêtent pas attention à leur impact, il s'agit simplement de les amener à centraliser ces informations. Donc, notre recommandation générale est de distribuer le suivi, puis une fois qu'il est dans une base de données, je pense qu'il est utile qu'il y ait une personne chargée de le réviser, de s'assurer de la propreté des données et d'en assurer le suivi si c'est incomplet ou si il y a des doublons.
Faut-il investir dans un poste à part entière de “impact manager" ou "impact producer” ?
Si vous pouvez obtenir des ressources supplémentaires vous pouvez en faire un poste à temps partiel pour avoir quelqu'un qui peut aider à réfléchir dès le début des processus de reportage, dès que l'histoire prend forme. Quelqu’un qui peut réfléchir aux copublications possibles, s'il y a besoin d’organiser un webinaire ou un événement en personne, comment engager davantage le public, dans le but de catalyser les impacts. Encore une fois, ce n’est pas pour militer pour un impact spécifique, mais pour garantir que le travail soit diffusé, atteigne les gens qu’il doit atteindre, crée des opportunités de suivis. C’est pour éviter la dichotomie : “voilà le travail éditorial” et après “voilà le travail d'impact et d’audience”.
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