
L'impunité des professionnels de santé auteurs de violences sexuelles
Et si les violences sexuelles qui se déroulent ici dans le cabinet d'un psychiatre, là dans celui d'un gynécologue, là encore dans celui d'un chirurgien - comme c'est le cas dans l'affaire Le Scouarnec - n'étaient pas des cas isolés ?
Chiffres à l'appui, c'est ce que démontre l'enquête écrite à six mains par les journalistes Cécile Debarge, Sarah Brethes et Caroline Coq-Chodorge pour Mediapart, « Violences sexuelles dans la santé : encore trop d’impunité ».
À l'heure où le procès Le Scouarnec - du nom de ce chirurgien accusé de violences sexuelles sur 299 victimes - fait la une des journaux, l'enquête de Mediapart qu'on vous propose de découvrir se refuse à reléguer ces violences au simple rang de « faits divers ». Au contraire, elle met en évidence les dysfonctionnements juridiques, institutionnels, sociétaux qui permettent à ces violences de continuer à avoir lieu et à l'« impunité » des professionnels de santé de persister. Une lecture difficile mais salutaire. Et une initiative qui a eu de premiers impacts.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Grâce à l'analyse de procédures disciplinaires qui visent des professionnels de santé accusés de violences sexistes et sexuelles, l'enquête révèle les lacunes dans la prise charge des victimes comme dans la sanction des auteurs.
→ Tandis que de nombreuses plaintes sont classées, que les sanctions semblent parfois arbitraires et que les procédures traînent, l'impunité persiste dans le milieu de la santé.
💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Des points de vue juridique et institutionnel, les changements sont extrêmement lents pour arriver à une meilleure protection des victimes.
→ La presse, néanmoins, couvre régulièrement les cas de violences sexuelles commises par des professionnels de santé et la journaliste Cécile Debarge - co-autrice de l'enquête - a reçu plusieurs retours, tant de femmes victimes que de professionnels de santé.
Des agresseurs en blouse blanche
Grâce à l'analyse de 86 décisions rendues entre 2014 et 2021 par le Conseil de l'ordre des médecins (Cnom) pour des faits classifiés à « connotation sexuelle », le premier volet de l'enquête dresse un constat accablant : le médecin n'est radié de l'ordre des médecins que dans environ un cas sur cinq. A l'inverse, dans un cas sur cinq, il n'écope d'aucune sanction disciplinaire. Et dans les trois autres cas, le professionnel de santé se voit sanctionné par une interdiction temporaire d'exercer, mais cette dernière ne dépasse que très rarement une année de suspension. Sans compter le fait que ces sanctions arrivent parfois après de longues années d'impunité.

De quoi renforcer le sentiment d'abandon des patient·es à qui on reproche ici leur « érotomanie », là le fait d'avoir entretenu une « relation amoureuse » avec leur soignant. Malgré ce contexte éprouvant, certain·es font quand même le choix de se tourner vers la justice pour tenter de faire entendre leur voix. Des démarches courageuses dont les délais peuvent être très longs, souligne le troisième volet de l'enquête, en revenant sur le cas spécifique d'un médecin accusé d'avoir abusé psychiquement, physiquement et sexuellement sa patiente. Si ce dernier a été radié en 2023, cette décision arrive en réalité près de deux ans après les dépôts de plainte au pénal par la jeune patiente pour, entre autres, « violences psychologiques » et « abus de faiblesse ».
De quoi s'interroger sur la réponse apportée par le système pénal à ces cas de violences sexuelles, à l'image des deux affaires décryptées dans le dernier volet de l'enquête. Un volet qui revient sur les cas très médiatiques de deux médecins accusés de viols et d'agressions sexuelles, Bernard Henric, prétendu gynécologue à Arras et Jean-Paul Guittet, psychiatre au Mans. Deux professionnels pour qui la justice traîne et l'ordre des médecins rechigne à prononcer des radiations définitives, souligne l'enquête.
💥 En quête d'impact
Un an après la publication de l'enquête de Mediapart, les médecins sont-ils plus surveillés dans le cadre de leur pratique ? Les délais de prise en charge des victimes sont-ils plus courts ? Les professionnels de santé se sont-ils exprimés sur le sujet ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ D'après la journaliste Cécile Debarge, qui a écrit les deux premiers volets de l'enquête, aucun changement institutionnel notable n'a eu lieu depuis la parution de l'enquête. « C'est un sujet sur lequel les changements sont très longs à arriver », souligne-t-elle.
→ Le deuxième volet de l'enquête, écrit par Cécile Debarge sur un psychiatre condamné à de la prison ferme pour viols en Belgique qui a continué à exercer en France, a été repris dans la presse locale sans que la journaliste ne soit pour autant contactée.
→ Avant la publication de l'enquête, la journaliste a été invitée au Dataharvest afin d'expliquer sa méthodologie de travail pour quantifier les violences sexuelles.
→ Les cas des violences sexuelles dans le milieu médical sont régulièrement relayés par la presse locale. Certains médias y consacrent également des enquêtes plus approfondies, à l'image de la série des Jours qui revient, en une dizaine d'épisodes, sur une « affaire hors norme », celle d'un ancien praticien du Val-d’Oise accusé de violences par plus d'une centaine de femmes.
→ Le troisième volet de l'enquête décrypte le cas du psychiatre Dominique Inarra, radié en 2023 pour avoir abusé psychiquement, physiquement et sexuellement sa patiente. Lors de la parution de l'enquête de Mediapart, l'enquête judiciaire était au point mort. Aucune nouvelle info n'est disponible à ce propos.
→ Le quatrième volet de l'enquête décrypte le cas du prétendu gynécologue Bernard Henric (en réalité endocrinologue) et celui du psychiatre Jean-Paul Guittet. Au moment de la rédaction de l'enquête, malgré leur mise en examen, « la justice traîne et l’Ordre rechigne à prononcer des radiations définitives ». Pour le premier, « l'information judiciaire, ouverte depuis sa mise en examen depuis huit ans et demi, n'a toujours pas abouti », quand, pour le second, les plaignantes attendent le réquisitoire définitif du procureur de la République. Concernant le premier, en novembre, La Voix du Nord continuait à souligner le désespoir des plaignantes qui attendent toujours un procès. Concernant le second, aucune nouvelle information n'est disponible.
→ La journaliste Cécile Debarge explique avoir reçu « des retours de femmes victimes, mais assez peu ».
→ Elle a également été contactée par quelques professionnels de santé.
Les coulisses de l'enquête 🕵️♀️
Cécile Debarge est journaliste indépendante basée en Italie. Elle a écrit les deux premiers volets de l'enquête. Dans son interview pour Rembobine, elle revient sur sa collaboration avec des journalistes basées à l'étranger, la méthodologie à adopter pour quantifier les violences sexuelles et les freins pour faire avancer la protection des victimes.

Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰
Les violences sexuelles perpétrées par des professionnels de santé ne concernent pas que les patient·es, au contraire. C'est ce que révèle une enquête du Conseil de l'ordre des médecins, qui estime que plus de la moitié des médecins femmes actives ont été victimes de violences sexistes et sexuelles. En réaction, une centaine d’hommes du milieu médical (étudiants, internes, hospitaliers, professeurs) se sont engagés il y a quelques jours, dans une tribune au Monde, à briser l’« omerta » et à « réagir ». Une enquête qu'on vous conseille vivement de lire.

Si le sujet vous intéresse, on vous invite aussi à aller découvrir la série des Jours, « 118 femmes ». Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore ce média en ligne, foncez ! Il décrypte, sous forme de série et sur le temps long, des sujets sociétaux parfois peu regardés ailleurs. Cette fois, le média consacre une série d'une dizaine d'épisodes, sur une « affaire hors norme », celle d'un ancien praticien du Val-d’Oise accusé de violences sur plus d'une centaine de femmes.

Pour finir, et parce qu'il y a aussi des hommes en blouse blanche qui se battent contre les violences sexistes et sexuelles, on ne peut que vous conseiller le très beau film documentaire L'homme qui répare les femmes, qui revient sur la trajectoire hors-du-commun du Docteur Mukwege, connu comme l’homme qui « répare » les milliers de femmes violées durant 20 ans de conflits à l’Est de la République Démocratique du Congo.

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Partagez l'article sur vos réseaux sociaux et avec votre entourage pour sensibiliser un public plus large aux enjeux des violences sexuelles dans le milieu de la santé.
2. Engagez-vous auprès d'associations féministes et de défense des droits des femmes et minorités de genre, qui accompagnent au quotidien les victimes de violences sexistes et sexuelles.
3. Restez informés, soutenez Mediapart et la presse indépendante pour un journalisme d'investigation de qualité.
Rembobine, le média qui lutte contre l'obsolescence de l'info Bulletin
Inscrivez-vous à la newsletter pour recevoir les dernières mises à jour dans votre boîte de réception.