👨‍⚕️ L'impunité des professionnels de santé auteurs de violences sexuelles #52

CĂ©cile Massin
CĂ©cile Massin

Salut les Rembobineur·euses,

Cette semaine, on a dĂ©cidĂ© de revenir sur un sujet longtemps tabou et pourtant d'intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral, celui des violences sexuelles dans le domaine de la santĂ©. Ă€ l'heure oĂą le procès Le Scouarnec - du nom de ce chirurgien accusĂ© de violences sexuelles sur 299 victimes - fait la une des journaux, l'enquĂŞte de Mediapart qu'on vous propose de dĂ©couvrir se refuse Ă  relĂ©guer ces violences au simple rang de « faits divers Â». Au contraire, elle met en Ă©vidence les dysfonctionnements juridiques, institutionnels, sociĂ©taux qui permettent Ă  ces violences de continuer Ă  avoir lieu et Ă  l'« impunitĂ© Â» des professionnels de santĂ© de persister. Une lecture difficile mais salutaire. Et une initiative qui a eu de premiers impacts.

Bonne lecture,
CĂ©cile et l'Ă©quipe de Rembobine

Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture ! Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détail, une interview de la journaliste Cécile Debarge et nos recommandations pour continuer à creuser le sujet.

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Grâce à l'analyse de procédures disciplinaires qui visent des professionnels de santé accusés de violences sexistes et sexuelles, l'enquête révèle les lacunes dans la prise charge des victimes comme dans la sanction des auteurs.
→ Tandis que de nombreuses plaintes sont classĂ©es, que les sanctions semblent parfois arbitraires et que les procĂ©dures traĂ®nent, l'impunitĂ© persiste dans le milieu de la santĂ©.

đź’Ą Et son impact en encore moins de temps !
→ Des points de vue juridique et institutionnel, les changements sont extrêmement lents pour arriver à une meilleure protection des victimes.
→ La presse, néanmoins, couvre régulièrement les cas de violences sexuelles commises par des professionnels de santé et la journaliste Cécile Debarge - co-autrice de l'enquête - a reçu plusieurs retours, tant de femmes victimes que de professionnels de santé.

Des agresseurs en blouse blanche

Et si les violences sexuelles qui se dĂ©roulent ici dans le cabinet d'un psychiatre, lĂ  dans celui d'un gynĂ©cologue, lĂ  encore dans celui d'un chirurgien - comme c'est le cas dans l'affaire Le Scouarnec - n'Ă©taient pas des cas isolĂ©s  ? Surtout, et si ces violences restaient trop souvent impunies ? Chiffres Ă  l'appui, c'est ce que dĂ©montre l'enquĂŞte Ă©crite Ă  six mains par les journalistes CĂ©cile Debarge, Sarah Brethes et Caroline Coq-Chodorge pour Mediapart, « Violences sexuelles dans la santĂ© : encore trop d’impunitĂ© Â».

Grâce Ă  l'analyse de 86 dĂ©cisions rendues entre 2014 et 2021 par le Conseil de l'ordre des mĂ©decins (Cnom) pour des faits classifiĂ©s Ă  « connotation sexuelle Â», le premier volet de l'enquĂŞte dresse un constat accablant : le mĂ©decin n'est radiĂ© de l'ordre des mĂ©decins que dans environ un cas sur cinq. Pire, dans un cas sur cinq, il n'Ă©cope d'aucune sanction disciplinaire. Et dans les trois autres cas, le professionnel de santĂ© se voit sanctionnĂ© par une interdiction temporaire d'exercer, mais cette dernière ne dĂ©passe que très rarement une annĂ©e de suspension. Sans compter le fait que ces sanctions arrivent parfois après de longues annĂ©es d'impunitĂ©.

Violences sexuelles dans la santé : encore trop d’impunité
Mediapart a Ă©pluchĂ© pendant plusieurs mois des dizaines de procĂ©dures disciplinaires visant des professionnels de santĂ© accusĂ©s de violences sexistes et sexuelles. Le bilan est accablant : de nombreu…

De quoi renforcer le sentiment d'abandon des patient·es Ă  qui on reproche ici leur « Ă©rotomanie Â», lĂ  le fait d'avoir entretenu une « relation amoureuse Â» avec leur soignant. MalgrĂ© ce contexte Ă©prouvant, certain·es font quand mĂŞme le choix de se tourner vers la justice pour tenter de faire entendre leur voix. Des dĂ©marches courageuses dont les dĂ©lais peuvent ĂŞtre très longs, souligne le troisième volet de l'enquĂŞte, en revenant sur le cas spĂ©cifique d'un mĂ©decin accusĂ© d'avoir abusĂ© psychiquement, physiquement et sexuellement sa patiente. Si ce dernier a Ă©tĂ© radiĂ© en 2023, cette dĂ©cision arrive en rĂ©alitĂ© près de deux ans après les dĂ©pĂ´ts de plainte au pĂ©nal par la jeune patiente pour, entre autres, « violences psychologiques Â» et « abus de faiblesse Â».

De quoi s'interroger sur la réponse apportée par le système pénal à ces cas de violences sexuelles, à l'image des deux affaires décryptées dans le dernier volet de l'enquête. Un volet qui revient sur les cas très médiatiques de deux médecins accusés de viols et d'agressions sexuelles, Bernard Henric, prétendu gynécologue à Arras et Jean-Paul Guittet, psychiatre au Mans. Deux professionnels pour qui la justice traîne et l'ordre des médecins rechigne à prononcer des radiations définitives, souligne l'enquête.

đź’Ą En quĂŞte d'impact

Un an après la publication de l'enquête de Mediapart, les médecins sont-ils plus surveillés dans le cadre de leur pratique ? Les délais de prise en charge des victimes sont-ils plus courts ? Les professionnels de santé se sont-ils exprimés sur le sujet ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ❌

→ D'après la journaliste CĂ©cile Debarge, qui a Ă©crit les deux premiers volets de l'enquĂŞte, aucun changement institutionnel notable n'a eu lieu depuis la parution de l'enquĂŞte. « C'est un sujet sur lequel les changements sont très longs Ă  arriver Â», souligne-t-elle.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️❌

→ Le deuxième volet de l'enquête, écrit par Cécile Debarge sur un psychiatre condamné à de la prison ferme pour viols en Belgique qui a continué à exercer en France, a été repris dans la presse locale sans que la journaliste ne soit pour autant contactée.

→ Avant la publication de l'enquête, la journaliste a été invitée au Dataharvest afin d'expliquer sa méthodologie de travail pour quantifier les violences sexuelles.

→ Les cas des violences sexuelles dans le milieu mĂ©dical sont rĂ©gulièrement relayĂ©s par la presse locale. Certains mĂ©dias y consacrent Ă©galement des enquĂŞtes plus approfondies, Ă  l'image de la sĂ©rie des Jours qui revient, en une dizaine d'Ă©pisodes, sur une « affaire hors norme Â», celle d'un ancien praticien du Val-d’Oise accusĂ© de violences par plus d'une centaine de femmes.
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IMPACT JUDICIAIRE ❌

→ Le troisième volet de l'enquête décrypte le cas du psychiatre Dominique Inarra, radié en 2023 pour avoir abusé psychiquement, physiquement et sexuellement sa patiente. Lors de la parution de l'enquête de Mediapart, l'enquête judiciaire était au point mort. Aucune nouvelle info n'est disponible à ce propos.

→ Le quatrième volet de l'enquĂŞte dĂ©crypte le cas du prĂ©tendu gynĂ©cologue Bernard Henric (en rĂ©alitĂ© endocrinologue) et celui du psychiatre Jean-Paul Guittet. Au moment de la rĂ©daction de l'enquĂŞte, malgrĂ© leur mise en examen, « la justice traĂ®ne et l’Ordre rechigne Ă  prononcer des radiations dĂ©finitives Â». Pour le premier, « l'information judiciaire, ouverte depuis sa mise en examen depuis huit ans et demi, n'a toujours pas abouti Â», quand, pour le second, les plaignantes attendent le rĂ©quisitoire dĂ©finitif du procureur de la RĂ©publique. Concernant le premier, en novembre, La Voix du Nord continuait Ă  souligner le dĂ©sespoir des plaignantes qui attendent toujours un procès. Concernant le second, aucune nouvelle information n'est disponible.
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IMPACT PUBLIC ✔️

→ La journaliste CĂ©cile Debarge explique avoir reçu « des retours de femmes victimes, mais assez peu Â».

→ Elle a également été contactée par quelques professionnels de santé.

Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️

Cécile Debarge est journaliste indépendante basée en Italie. Elle a écrit les deux premiers volets de l'enquête. Dans son interview pour Rembobine, elle revient sur sa collaboration avec des journalistes basées à l'étranger, la méthodologie à adopter pour quantifier les violences sexuelles et les freins pour faire avancer la protection des victimes.

« Je documente ces violences pour qu’on ne puisse pas dire qu’on ne savait pas »
Journaliste indĂ©pendante, CĂ©cile Debarge a Ă©crit pour Mediapart les deux premiers volets d’une enquĂŞte en 4 Ă©pisodes consacrĂ©e aux violences sexuelles dans le domaine de la santĂ©. Un sujet encore tabou que la journaliste refuse de relĂ©guer au simple rang de « faits divers Â».

Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰

Les violences sexuelles perpĂ©trĂ©es par des professionnels de santĂ© ne concernent pas que les patient·es, au contraire. C'est ce que rĂ©vèle une enquĂŞte du Conseil de l'ordre des mĂ©decins, qui estime que plus de la moitiĂ© des mĂ©decins femmes actives ont Ă©tĂ© victimes de violences sexistes et sexuelles. En rĂ©action, une centaine d’hommes du milieu mĂ©dical (Ă©tudiants, internes, hospitaliers, professeurs) se sont engagĂ©s il y a quelques jours, dans une tribune au Monde, Ă  briser l’« omerta Â» et Ă  « rĂ©agir Â». Une enquĂŞte qu'on vous conseille vivement de lire.

« Nous, mĂ©decins, souhaitons dĂ©noncer publiquement le sexisme systĂ©mique dans le monde mĂ©dical hospitalier et universitaire Â»
TRIBUNE. Alors qu’une enquĂŞte du conseil de l’ordre des mĂ©decins estime que plus de la moitiĂ© des mĂ©decins femmes actives ont Ă©tĂ© victimes de violences sexistes et sexuelles, une centaine d’hommes du milieu mĂ©dical, Ă©tudiants, internes, hospitaliers, professeurs s’engagent, dans une tribune au « Monde Â», Ă  briser l’« omerta Â» et Ă  « rĂ©agir Â».

Si le sujet vous intĂ©resse, on vous invite aussi Ă  aller dĂ©couvrir la sĂ©rie des Jours, « 118 femmes Â». Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore ce mĂ©dia en ligne, foncez ! Il dĂ©crypte, sous forme de sĂ©rie et sur le temps long, des sujets sociĂ©taux parfois peu regardĂ©s ailleurs. Cette fois, le mĂ©dia consacre une sĂ©rie d'une dizaine d'Ă©pisodes, sur une « affaire hors norme Â», celle d'un ancien praticien du Val-d’Oise accusĂ© de violences sur plus d'une centaine de femmes.

118 femmes
Des milliers de patientes contactées. Des dizaines et des dizaines de victimes présumées. Et au total 118 plaintes contre le docteur T., gynécologue à Domont, dans le Val-d’Oise. Désormais à la retraite, il est mis en examen depuis 2014 pour 75 viols et 14 agressions sexuelles. Au cours de ses trente années de carrière, il avait pourtant fait l’objet de multiples signalements. Aux ratés de la justice et du conseil de l’ordre succèdent aujourd’hui la lenteur et les errements de l’instruction. Révélations.

Pour finir, et parce qu'il y a aussi des hommes en blouse blanche qui se battent contre les violences sexistes et sexuelles, on ne peut que vous conseiller le très beau film documentaire L'homme qui rĂ©pare les femmes, qui revient sur la trajectoire hors-du-commun du Docteur Mukwege, connu comme l’homme qui « rĂ©pare Â» les milliers de femmes violĂ©es durant 20 ans de conflits Ă  l’Est de la RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo.

L’Homme qui répare les femmes
Prix Sakharov 2014, le Docteur Mukwege est internationalement connu comme l’homme qui répare ces milliers de femmes violées durant 20 ans de conflits à l’Est de la République Démocratique du Congo, un pays parmi les plus pauvres de la planète, mais a
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Comment multiplier l'impact de l'enquĂŞte ?

Lecteur·rices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !

1. Partagez l'article sur vos réseaux sociaux et avec votre entourage pour sensibiliser un public plus large aux enjeux des violences sexuelles dans le milieu de la santé.

2. Engagez-vous auprès d'associations féministes et de défense des droits des femmes et minorités de genre, qui accompagnent au quotidien les victimes de violences sexistes et sexuelles.

3. Restez informés, soutenez Mediapart et la presse indépendante pour un journalisme d'investigation de qualité.

Nous espérons que cette newsletter vous a éclairés sur ce sujet encore trop tabou. N’hésitez pas à nous écrire si le sujet de l'enquête vous a interpellés et à parler de Rembobine autour de vous, ainsi qu'à partager nos articles. Ensemble, continuons à faire bouger les lignes.

À très vite sur Bluesky, Instagram, LinkedIn et par mail pour notre prochaine enquête !

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Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante