« Des faux papiers scientifiques arrivent à être publiés dans des revues à l'apparence rigoureuse alors qu'il n'en est rien »

Pauline Fricot est journaliste pour Environnement Magazine. Formée en journalisme scientifique, elle a notamment collaboré avec Science et Vie, Géo ou Alternatives Économiques, pour qui elle a écrit son « Enquête sur les dérives du business très lucratif des revues scientifiques » en janvier 2024.

Cécile Massin
Cécile Massin

Pour Rembobine, elle revient sur les risques de désinformation et de fake news dans le milieu de la recherche universitaire, la difficulté à faire de la recherche un sujet d'intérêt général, et les initiatives qui émergent pour tenter de réformer la recherche.

Bonjour Pauline. Alors qu'on regarde peu du côté de la recherche universitaire, pourquoi avoir décidé de vous intéresser au sujet ?

J'ai découvert comment fonctionnaient les revues scientifiques dans le cadre de ma formation en journalisme scientifique. Dans ce milieu, les éditeurs s'enrichissent sur le dos des chercheurs et des universités, alors que ces derniers sont déjà en difficulté financière. Les universités, par exemple, doivent payer des abonnements aux revues scientifiques pour accéder à la recherche qu'elles financent. Parfois, elles doivent également payer des frais de publication (ou « article processing charges ») pour que les papiers scientifiques soient publiés en accès libre. Dès le départ, j'ai trouvé ça scandaleux. On n'imaginerait jamais que des écrivains paient pour publier leurs livres gratuitement, alors que là, c'est ce qu'on demande aux chercheurs et aux universités.

Enquête sur les dérives du business très lucratif des revues scientifiques
Des éditeurs de revues scientifiques profitent de leur rôle central dans la diffusion du savoir pour s’enrichir, au détriment des universités et laboratoires, à bout de souffle.

Dans ce contexte, vous mettez également en avant le développement de revues « prédatrices ». Expliquez-nous.

Le fait que les chercheurs et les universités aient autant besoin de publier dans la sphère académique pour pouvoir être vus et légitimités a permis à un marché frauduleux d'exister. Dans ce marché, on retrouve effectivement l'existence de revues prédatrices. Ces revues offrent la possibilité à des chercheurs de publier leurs travaux, mais le problème, c'est qu'elles ne respectent pas les bases les plus élémentaires de la déontologie. La relecture par les pairs, pourtant obligatoire, peut y être partielle voire inexistante. On peut donc se retrouver avec des faux papiers scientifiques qui arrivent à être publiés dans ces revues à l'apparence rigoureuse alors qu'il n'en est rien...

Dans votre enquête, vous citez l'exemple de chercheurs qui ont délibérément publié une fausse étude dans une revue prédatrice pour justement montrer les dangers de ce type de revues.

Tout à fait. L'enquête à laquelle vous faites référence a été publiée pendant la période du Covid par des chercheurs qui ont monté de toutes pièces une fausse étude, qu'ils ont réussi à publier contre un paiement de 55 dollars. Cette étude faisait croire à un supposé lien entre la prise d'hydroxychloroquine, qui était alors envisagée comme remède contre le Covid 19, et la prévention d'accidents de trottinette... Tout dans cette étude relevait de la farce et pourtant, l'étude a été acceptée pour être publiée dans une revue prétendument scientifique. Cette revue avait une apparence sérieuse, alors qu'en réalité, il s'agissait d'une revue factice ! Cette expérience a été une forme de choc, qui a permis de montrer comment certaines revues pouvaient contribuer à la propagation de fake news...

La recherche universitaire face au risque de fake news
Notre mesure d’impact d’une enquête signée Pauline Fricot pour Alternatives Économiques, qui dévoile comment les fake news font leur nid jusque dans le milieu de la recherche universitaire.

Notre mesure d'impact de l'enquête de Pauline

Vous ne parlez pas de « fake news » dans votre enquête, mais c'est bien de ça dont il s'agit. Comment expliquez-vous qu'on parle de plus en plus des fake news notamment dans le milieu journalistique, mais que ce sujet reste encore très marginal lorsqu'il s'agit du monde de la recherche universitaire ?

C'est une bonne question. La science, comme l'économie d'ailleurs, semblent être des domaines « expert »... Nous, citoyen·nes lambda, on se dit qu'il vaut mieux les laisser aux spécialistes, que ça va être trop difficile de mettre le nez dedans. Alors qu'en réalité, il faudrait qu'on arrive à le faire, parce que ça nous concerne tous.

Et que les risques sont importants.

Oui. C'est très grave que la recherche soit biaisée. Étant donné que les chercheurs s'appuient sur des articles antérieurs pour alimenter leur réflexion, s'ils s'appuient sur des articles dont les données sont fausses, on entre dans un cercle vicieux où la désinformation va aller croissante... Le risque, c'est aussi que si les fake news se développent dans les revues scientifiques, cela finisse également par alimenter la défiance vis-à-vis de la science elle-même. Et il s'agit d'un enjeu démocratique majeur, car la science construit le monde dans lequel nous vivons.

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Cécile Massin

Rédactrice et cofondatrice de Rembobine - Journaliste indépendante