Faux comptes de livreurs Uber à Marseille : le business florissant de la précarité
Le média d'investigation Marsactu a révélé une fraude massive consistant à créer des faux comptes de livreurs Uber à Marseille. Des faux comptes qui sont pour une grande partie ensuite revendues ou louées à des travailleurs sans-papiers, toujours plus précarisés.
En analysant le registre du commerce, le média d'investigation Marsactu a révélé une fraude massive consistant à créer des faux comptes de livreurs Uber à Marseille. Des faux comptes qui sont pour une grande partie ensuite revendus ou loués à des travailleurs sans-papiers, toujours plus précarisés.
→ Marsactu a découvert des milliers de faux livreurs à Marseille, utilisant des adresses fictives et des noms improbables pour exercer cette activité.
→ Pour mener cette enquête, Marsactu a analysé le registre des sociétés et les données du système national d'identification pour repérer les anomalies.
→ Au moins 2000 immatriculations suspectes ont été identifiées, révélant la dimension industrielle et lucrative du système de création de faux comptes de livreurs à Marseille.
Comment le registre du commerce dévoile des milliers de faux livreurs à Marseille
L'enquête menée en trois volets par les journalistes Clara Martot Bacry et Julien Vinzent de Marsactu révèle une fraude massive dans le secteur de la livraison de repas à Marseille. En collaboration avec le collectif Data + Local, ils ont analysé les données du registre des sociétés et les données du système national d'identification. Des milliers de faux livreurs ont été enregistrés en utilisant de fausses adresses et de faux - et parfois improbables - noms. Certains commerces ont été utilisés comme domiciliation pour ces faux comptes, sans que les propriétaires en aient connaissance. Par exemple, une rue de Noailles regroupe plus de 600 établissements actifs, et une résidence du 11e arrondissement compte 399 autoentreprises, dont 276 ont été créées en mai et juin 2021.
Dans son reportage accompagnant l'enquête, la journaliste Clara Martot Bacry a interviewé plusieurs livreurs dans les rues de la ville, notamment au Vieux Port. Elle a découvert que nombre d'entre eux, principalement des sans-papiers, utilisent des comptes Uber Eats loués ou créés de manière frauduleuse pour travailler. Certains achètent des faux comptes pour environ 1000 euros, tandis que d'autres sous-louent des comptes existants.
Les livreurs ont expliqué les difficultés auxquelles ils sont confrontés en raison de leur statut administratif précaire, ainsi que les risques et les combines qu'ils utilisent pour continuer à travailler malgré tout. Ce reportage permet de souligner l'exploitation de ces travailleurs précaires et de déplorer l'absence de collectif ou de syndicat - comme il en existe dans d'autres villes - pour les représenter à Marseille.
De leur côté, les plateformes de livraison de repas, telles qu'Uber eats, disent agir pour lutter contre ces fraudes. En 2019, Uber eats a instauré un système d'identification en temps réel par photo. En 2021, une nouvelle fonctionnalité a été ajoutée pour détecter les cartes d'identité qui utilisent un même modèle type et où seules quelques informations minimes diffèrent. En outre, en avril 2022, quatre des principales plateformes (Uber eats, Deliveroo, Frichti et Stuart) ont signé une charte de lutte contre la fraude, comprenant notamment un contrôle supplémentaire au-delà de 5000 euros de revenus. Au premier semestre 2022, 2500 comptes ont ainsi été désactivés au niveau national, soit près de 4 % du total.
L'impact de l'enquête sur les faux comptes de livreurs Uber
Un an après la publication de l'enquête de Marsactu, des mesures ont-elles été prises ? Les plateformes ont-elles mis en place de nouvelles procédures pour mieux contrôler les nouveaux comptes ? L’État et les pouvoirs publics se sont-ils emparé de la question ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ Une loi européenne pour renforcer les droits des travailleurs très précaires des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo a été votée le 11 mars 2024. Le dossier était bloqué depuis plusieurs semaines après l’opposition de la France et de plusieurs autres pays.
→ La question des faux comptes marseillais a été mentionnée par Hervé Street, ancien sous-traitant FedEx, auditionné lors de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale relative aux révélations des Uber Files. Les deux journalistes n'ont eux pas été auditionnés.
- Les rédactions de BFM Marseille, France Bleu Provence, France 3 Régions ont repris l'article et même interviewé les deux journalistes.
→ L'enquête a été repartagée à l'échelle nationale par Mediapart, partenaire de la rédaction phocéenne.
→ Les deux journalistes ont enregistré un épisode du podcast Le Bocal de Marsactu, où ils racontent les coulisses de l'enquête et leurs ressentis personnels.
→ Clara Martot Bacry a été interviewé à propos de l'enquête dans l'émission Open Source de Mattéo Caranta sur France Culture.
→ Dans de nombreuses villes de France, des collectifs de travailleurs des plateformes et de livreurs dénoncent les conditions de travail et réclament la régularisation des personnes sans-papiers exploitées.
→ Sollicité lors de l'enquête de Marsactu, le parquet de Marseille expliquait suivre la situation. Un an plus tard, il dit n'avoir pas lancé de procédure spécifique.
→ Le 25 avril 2023 dans le centre-ville de Montpellier, la police a mené une opération coordonnée de contrôle des livreurs de repas en deux-roues, rapporte Midi-Libre. En ligne de mire, un phénomène communautaire autour de cette activité, source de « mainmise » sur ce marché et de « violences sur la voie publique » , comme en fait état la police.
→ Suite à une opération où la police a arrêté des dizaines de livreurs sans-papiers le mercredi 27 décembre 2023 à Grenoble, Voiron et Vienne, le procureur de Grenoble, Eric Vaillant, a précisé dans un message sur son compte X que les contrôles avaient été faits à sa demande et avaient « permis de constater que les livreurs en situation irrégulière étaient gravement exploités par ceux qui leur sous-louaient leur licence ».
Les coulisses de l'enquête de Marsactu
Clara Martot Bacry et Julien Vinzent sont tous les deux journalistes à Marsactu. Lors de cette enquête, ils ont croisé le traitement de données et l’enquête de terrain. Pour Rembobine, ils reviennent sur l'intérêt de démultiplier l'enquête au quatre coins de la France, l'exploitation de données ouvertes ou encore l'importance d'associer de l'enquête de terrain pour faire parler ces bases de données.
... Pour lire l'interview 👇
Comment mieux suivre le sujet de l'uberisation du travail ?
Il y a quelques mois, nous nous étions déjà intéressé à l'uberisation, à travers une enquête d'Emma Bougerol sur la plateforme StaffMe. On l'avoue, il est difficile de se passer de ces services qui nous offrent tout et n'importe quoi en un clic. Mais il faut se saisir du problème. Car derrière, ce sont souvent les plus précaires qui trinquent. Heureusement, il existe de plus en plus de ressources et de nombreuses personnes à suivre pour comprendre tout ça.
Mentionnés dans les impacts, les travaux de la commission d’enquête parlementaire consacrée aux "Uber Files" permettent d'avoir une vue globale sur l'étendue de l'uberisation, les imbrications politiques et les enjeux sociaux. En plus, ils confirment les informations révélées en juillet 2022 par la cellule investigation de Radio France. La commission dénonce une proximité étroite entre Uber et Emmanuel Macron qui s’est poursuivie après son élection à la présidence de la République.
Vous pouvez suivre Kevin Mention sur Facebook. C'est l'avocat incontournable des "uberisés". Fiscaliste de formation, il est devenu le défenseur incontournable des coursiers Deliveroo, chauffeurs Uber, gérants de boutiques Nicolas… Inlassablement, il combat la fausse indépendance.
Lecteur·ices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Discuter de l'article avec votre entourage, partagez-le ainsi que l'étude de son impact par Rembobine sur vos réseaux pour sensibiliser un plus large public à la situation des livreurs précaires 💖
2. Soutenez les collectifs de livreurs dans vos villes en faisant des dons, en participant à des actions de solidarité ou en relayant leurs revendications. ✊
3. Contactez vos élus locaux pour les sensibiliser à la situation des livreurs et les encourager à prendre des mesures pour améliorer leurs conditions de travail. ⚖️
4. Boycottez les plateformes de livraison qui exploitent les livreurs et privilégiez des alternatives plus éthiques et respectueuses des droits des travailleurs. Si on commande on laisse un vrai pourboire, même à un livreur éthique 🛑
5. Abonnez-vous aux médias locaux d'investigation comme Marsactu, qui révèlent des affaires sur vos territoires ! 🗞️
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