
« Les enfants placés ont autant de place dans les médias que les taulards »
Journaliste indépendante, Louise Audibert travaille sur des sujets de société liés de près ou de loin à l'enfance et l'adolescence. En juin 2024, elle publiait pour Mediapart une enquête révélant les abus de plusieurs associations qui organisent des "séjours de rupture" à Madagascar.
Dans son interview à Rembobine, elle revient sur son enquête de terrain sur l'île, le manque de contrôle dans les structures de l'Aide Sociale à L'Enfance (ASE) et la difficulté à faire exister le sujet de l'aide sociale à l'enfance dans les médias.
Bonjour Louise, qu'est-ce qui vous a poussé à enquêter sur les « séjours de rupture » à Madagascar ?
Une amie éducatrice spécialisée m'en avait parlé. À ce moment-là, je ne savais pas que ça existait et j'ai trouvé ça assez dingue. J'ai alors proposé à Néon de faire un papier relativement « feel good » sur l'association Reso Labonde. L'idée était d'expliquer le fonctionnement des séjours. L'association m'a proposée de les accompagner sur le terrain à leurs frais et j'ai accepté. Mais sur place, j'ai rapidement commencé à me dire que quelque chose clochait. Par exemple, je n'avais pas le droit de demander le salaire des travailleur·euses. À mon retour en France, Gaëlle Borgia, une journaliste franco-malgache, m'a appelée pour me dire qu'elle avait découvert des faits de maltraitance infantile et de malversations financières au sein de l'association. J'ai alors dit à Néon qu'on arrêtait le papier « feel good » et qu'on se lançait dans une enquête, qui a été publiée chez Mediapart.

Depuis les années 1970, l'ASE délègue certaines de ses missions à des associations comme celles mises en cause dans l'enquête pour détournement de fonds publics. Est-ce que ça accentue l'opacité autour de leur fonctionnement ?
Initialement, cette délégation de services était plutôt une bonne idée car l'ASE ne disposait pas d'assez de structures pour accueillir tous les jeunes. Le problème, c'est qu'elle s'est accompagnée d'une baisse des contrôles au sein de ces structures car il n'y a pas assez de personnel pour les faire. Or plus il y a d'intermédiaires, moins on sait ce qui advient des sommes allouées. C'est vrai pour l'ASE, mais ça l'est également le cas dans beaucoup d'autres domaines.
Les jeunes pris·es en charge par l'ASE sont souvent en difficulté. Une attention plus grande serait-elle portée aux structures qui les encadrent s'il s'agissait de jeunes issu·es de milieux plus favorisés ?
On dit que les enfants placé·es représentent une manne financière, mais je ne suis pas certaine que le problème soit lié au fait qu'ils soient dans le circuit de l'ASE. Quand on regarde ce qui se passe au niveau des crèches ou des EHPAD privées, la situation est également catastrophique. On le voit avec le travail d'enquête de Victor Castanet [auteur de Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, NDLR]. En réalité, dès qu'il y a de l'argent à se faire, j'ai surtout l'impression que les personnes mal intentionnées n'ont que peu de considération pour l'espèce humaine. Et qui dit argent dit également risque de pression pour celles et ceux qui cherchent à dénoncer les dérives que ça peut engendrer.

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Allez-vous continuer à travailler sur le sujet ?
Bien sûr. Je suis perpétuellement en veille sur les sujets qui touchent à l'aide sociale à l'enfance. Je réfléchis par exemple à faire une chaîne TikTok afin de toucher directement les jeunes de l'ASE, qui utilisent tout particulièrement ce médium. Je pense aussi à imaginer d'autres formats comme des livres ou des documentaires. Je ne vais pas lâcher le sujet, car c'est insupportable que des gens détournent des sommes colossales alors qu'elles sont censées être dédiées à la protection et au sauvetage d'une partie de l'avenir de la nation. Le problème, c'est que l'ASE n'est pas un sujet qui attire beaucoup... Les enfants placés ont autant de place dans les médias que les taulards, ils sont condamnés d'emblée.
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