L'enfance confisquée des Amérindiens et noirs marrons de Guyane
Direction la Guyane, où le journaliste indépendant Émile Boutelier a enquêté pendant de longs mois sur les maltraitances que subissent les enfants amérindiens et noirs marrons de l'intérieur des terres lorsque, pour accéder à l’école, ils sont confiés à des familles hébergeantes sur le littoral. D'un sujet presque tabou, un an après, beaucoup de choses ont été mise en place. C'est ce qu'on veut vous montrer avec Rembobine. Le journalisme a de l’impact.
Abus et négligences : des enfants amérindiens et noirs marrons maltraités en Guyane
Depuis l'hexagone, on regarde peu vers les territoires ultramarins. A tort, serait certainement l'un des premiers à avancer le journaliste indépendant Émile Boutelier. Originaire de Paris, ce dernier a fait de la Guyane son terrain de prédilection. Sur place, il s'est notamment intéressé à une question particulièrement épineuse : celle de la maltraitance que subissent certains enfants amérindiens et noirs marrons lorsqu'ils séjournent dans des familles sur le littoral pour pouvoir poursuivre leur scolarité.
Dans ce territoire ultramarin, apprend-on dans son enquête intitulée « En Guyane, révélations sur une machine à maltraiter les enfants amérindiens et noirs marrons » et publiée sur Mediapart en janvier 2023, plusieurs centaines d'élèves des communes de l'intérieur sont placés dans des familles d'accueil du littoral pour pouvoir accéder à l'école. Pourtant, de ce système mis en place en 2005 par les autorités découlent nombre d'abus et négligences.
Emile Boutelier
L'enquête d'Emile Boutelier dans Mediapart. Elle est exceptionnellement en accès libre pour les lecteur·rices de Rembobine, alors précipitez-vous pour la lire !
Grâce à la collecte d'une vingtaine de récits, l'enquête met le doigt sur des situations indignes qui attestent de maltraitances généralisées. Des jeunes contraints à faire plusieurs heures de marche sous les intempéries pour gagner leur établissement à ceux logés dans des conditions insalubres. Sans compter des cas plus graves encore, comme cette jeune fille à qui l'on a touché les pieds pendant son sommeil. Un rapport du défenseur des droits de 2017 va jusqu'à souligner que « des abus sexuels au sein des familles hébergeantes ne seraient pas dénoncés ».
Des abus et négligences qui s'inscrivent dans le prolongement des violences perpétrées durant la colonisation, à la fois par l'État et l’Église catholique, et face auxquelles les institutions restent pourtant sourdes. De fait, sur 210 familles hébergeantes, une vingtaine de cas graves sont signalés chaque année aux associations. Pour les enfants accueillis, ces maltraitances ne sont évidemment pas sans conséquence, du décrochage scolaire au développement d'addictions.
Dysfonctionnements du Dispositif des Familles Hébergeantes en Guyane : ce que l'enquête a changé
Un an après la publication de l'enquête de Mediapart, des décisions ont-elles été prises pour mieux protéger les enfants amérindiens et noirs marrons en Guyane ? Des contrôles ont-ils été mis en place au sein des familles hébergeantes ? Les médias en Outre-mer et dans l'hexagone se sont-ils saisis de la question ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose.
- La Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) parlait au début de l’année d’une « réforme structurelle » avec, notamment, la mise en place d’un dispositif d’astreinte pour « traiter les solutions de crise ». Des annonces qui n'ont pas été suivies de faits, selon Jean-Philippe Chambrier, le secrétaire général du Grand Conseil Coutumier.
- En avril 2023, Gabriel Serville, président de la Collectivité Territoriale de Guyane, rencontrait le Grand Conseil Coutumier au sujet du dispositif des familles hébergeantes pour discuter du plan d'action.
- Intervention de la sénatrice Marie-Laure Phinera-Horth au Sénat en février 2023, qui s'inquiète de la situation des jeunes et cite l'enquête de Mediapart.
- Une commission ad-hoc au sein du Grand Conseil Coutumier travaille a un rapport de préconisations. On y retrouve des associations, des institutions (CTG, Rectorat CAF), des collectivités (Camopi, Grand Santi, Maripasoula, Papaïchton).
- La mission interministérielle destinée à enquêter sur la protection de l'enfance en Guyane s'est intéressé à la question lors de sa visite en juin 2023.
- Émile Boutelier a été invité sur Radio Péyi, une radio locale, peu après la parution de l'enquête.
- D'autres médias locaux ont confronté, suite à l'enquête, des responsables politiques, notamment Gabriel Serville, président de l'Assemblée de Guyane. "Ca a ouvert une brèche" estime Emile. D'un sujet qui n'était pas abordé, c'est un sujet suivi par les médias aujourd'hui.
- Au moment de la rédaction de l'article, malgré le nombre important de témoignages d’abus relevés par les associations, seules trois familles avaient perdu leur agrément.
- Le procureur se saisit beaucoup plus systématiquement des cas de familles hébergeantes maltraitantes, avec auditions des victimes et des familles, d'après l'association L'effet Morpho.
- Les associations estiment que la publication de l'article et son écho ont permis une libération de la parole. Elles ont reçu de nombreux nouveaux témoignages et sont prises plus au sérieux par les autorités.
- La mise en lumière du problème a aussi relancé la question de l'importance d'une Commission vérité, car même si les "home indiens" ont quasiment disparu, le problème relevé par l'article montre un "continuum" des pratiques coloniales.
- Des associations ont mis en place un dispositif de rentrée scolaire à destination des jeunes amérindiens des communes isolées. Près de 300 élèves et leurs parents ont bénéficié d’un accompagnement. Des forums de prévention sur la santé, les phénomènes de harcèlement et la vie affective ont été organisés.
L'avis d'Emile Boutelier, l'auteur de l'enquête 🕵️♀️
Le journaliste d'investigation indépendant Émile Boutelier a enquêté de longs mois pour Mediapart sur les maltraitances que subissent les enfants amérindiens et noirs marrons de l'intérieur des terres lorsque, pour accéder à l’école, ils sont confiés à des familles hébergeantes sur le littoral.
Il avoue avoir lui-même été "très surpris" de voir que son enquête a eu un fort retentissement, en France comme en Guyane.
Ici, les journalistes locaux ont repris les éléments de mon enquête, et plusieurs personnalités politiques, dont le président de la CTG de l’époque, Gabriel Servile, ont été obligés de reconnaître publiquement l’existence du problème des familles hébergeantes (alors qu’ils l’avaient minoré pendant toute mon enquête !). Mes contacts en Guyane me disent aussi que la justice donne une suite quasi-systématique aux plaintes et aux informations préoccupantes, ce qui était de l’ordre de l’exceptionnel avant mon enquête. La CTG essaie aussi de sensibiliser les familles hébergeantes en début d’année sur la question de la maltraitance. Tout n’est pas réglé, loin de là, mais je pense que mon article a au moins eu le mérite de faire émerger la question dans l’espace public.
Dans l'interview qu'il nous a accordé, il revient pour Rembobine sur les coulisses de son enquête, le processus de récolte de témoignages de ce qu'il estime être le continuum d'une violence coloniale et enfin l'importance selon lui que les sujet ultra-marins trouvent de l'écho en France.
... Pour lire la suite de l'interview 👇
Timothée Vinchon
Comment mieux suivre le sujet des Amérindiens de Guyane ? 🧰
L'association L'effet Morpho est une association d'éducation populaire créée en 2016 pour le développement des territoires et de ceux qui les font vivre, notamment les jeunes et les collectifs, par la création, l’impulsion, la mutualisation et l’accompagnement d’activités émancipatrices. Ce fut l'une des premières associations à avoir recueilli les témoignages des jeunes hébergés. Elle se mobilise tout au long de l'année sur le sujet.
L'équipe de Rembobine, ainsi que l'auteur de l'enquête Émile Boutelier vous conseillent très vivement la lecture du livre de Allons enfants de la Guyane, d’Hélène Ferrarini aux Editions Anarchasis. Il traite d'un pan méconnu et tragique de l'histoire coloniale de la France qu'il faut absolument mettre en lumière. Publié en septembre 2022, travail de l'autrice a permis de prendre conscience de l'ampleur du phénomène et de la façon dont l'État français et l'église catholique ont travaillé main dans la main pour évangéliser et "civiliser" les enfants autochtones de Guyane.
Il est aussi possible de découvrir cette incroyable histoire à travers le podcast Comme des oiseaux, L’enfance volée des Amérindiens de Guyane d'Alice Lefilleul et Clément Baudet sur ARTE Radio.
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