✈️ Egypte - France, liaison dangereuse #13
🔫 Ce n'est un secret pour personne, la France est l'une des nations championnes des ventes d'armes. Ce qu'a révélé Disclose il y a un an est d'une importance capitale. C'est l'histoire d'une compromission et d'une complicité de crimes sous couvert de billets verts.
💥 Que s'est-il passé depuis ? Des actions politiques ou citoyennes se sont-elles organisées ? Que faire pour donner de l'écho à ces révélations ? Rembobine a été corédigée avec Ariane Lavrilleux, l'une des autrices de l'enquête (avec Jean-Pierre Canet, Mathias Destal et Geoffrey Livolsi) que l'on remercie vivement !
L'enquête : les mémos de la terreur 👀
Il y a un an, Disclose révèle ce qui s'apparente à un scandale d'Etat pour la France. La mission de renseignement française "Sirli", débutée en février 2016 au profit de l'Égypte au nom de la lutte antiterroriste, a été détournée pour d'autres desseins par l'État égyptien. Il se sert des informations collectées pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de potentiels contrebandiers. Entre 2016 et 2018, le média d'investigation estime que la France pourrait être impliquée dans au moins 19 bombardements.
C'est en 5 volets, et c'est à lire sur le site de Disclose.
Comment sont sorties ces révélations ? Disclose a obtenu la plus vaste fuite de documents confidentiel-défense issus de la Direction du renseignement militaire (DRM). Une des sources dit ne pas vouloir nuire à la France. Depuis longtemps, des militaires ont alerté leur hiérarchie, le ministère de la Défense et la DRM, sans que rien ne se passe. Sous couvert de secret défense et de lutte contre le terrorisme, rien ne pouvait changer le cours des choses.
“ Les membres de l’équipe comprennent que les renseignements fournis aux Égyptiens sont utilisés pour tuer des civils soupçonnés de contrebande. Une dérive dont ils vont alerter leur hiérarchie à intervalles réguliers. Pendant un an, puis deux, puis trois… en vain. ” Extrait du premier volet de l'enquête.
Autant que les frappes aériennes sur des civils, c'est le manque de réactions des officiels qui donne à l'affaire une tournure de scandale. Le ministère a à chaque fois validé les opérations malgré les alertes. En janvier 2019, la cellule Afrique de l’Elysée avait également interpelé Emmanuel Macron sur la « nécessité » de fixer « un cadre juridique solide » à la mission.
Des liens pour découvrir l'enquête autrement :
💥 L'enquête a-t-elle fait évoluer la situation ?
Quelques jours après les révélations, un député interpelle le premier ministre et la ministre des Armées Florence Parly au Parlement. Elle répond qu'une enquête interne va être diligentée pour vérifier le cadre dans lequel l'opération a été menée. Trois mois plus tard, Disclose nous apprend que l'enquête interne - elle aussi classée secret défense - est close. Le Ministère des Armées s'est dédouané lui-même :
« Les conclusions de l’enquête interne demandée par la ministre des armées au chef d’état-major des armées démontrent que la mission a fait l’objet d’un cadrage clair et que des mesures préventives strictes ont été mises en place ».
Le média révèle également l’absence de contrôle démocratique en France sur sa coopération militaire avec l'Egypte. Ni l'Assemblée ni le Sénat n'ouvrent d'enquête parlementaire. La justice française estime ne pas être compétente pour poursuivre la ministre des armées ou son prédécesseur, Jean-Yves Le Drian. Cette position de déni ne variera pas, malgré les questions répétés des journalistes et de parlementaires. L'opération de surveillance est toujours en cours.
Une enquête a été confiée au Parquet national antiterroriste (PNAT) pour tenter d'identifier les sources de Disclose. Elle est toujours en cours. Les journalistes n'ont pour l'instant pas été inquiétés - au sens de convoqué par la justice - mais n'écartent pas de l'être. Le couperet s'abat quand l'attention médiatique est moins forte…
🌪️ L’enquête met-elle en lumière un problème plus large ?
Au-delà de la révélation de la complicité de la France avec des crimes contre l'Humanité commis par la dictature égyptienne, l'enquête montre, selon Ariane Lavrilleux, que la diplomatie française s'est mise au service des ventes d'armes en particulier au Moyen-Orient. Alors que son budget n'a cessé d'être rogné depuis deux décennies, le Quai d'Orsay a du se muer en VRP des exportations françaises pour conserver un peu d'influence au sein de l'Etat et des miettes budgétaires.
Car cette opération n'a pas été déclenchée par hasard, mais dans l'intérêt de faire d'un dictateur un bon client. Ce qu'il a fait : il a commandé 30 nouveaux Rafales en 2021 et des sous-marins sont en négociations, comme le révèle Intelligence Online. Sous le prétexte de la lutte antiterroriste, l'Etat français a trouvé un fidèle partenaire commercial. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense de François Hollande, nommé aux affaires étrangères par Emmanuel Macron en 2017, est le VRP de l'armement français. Disclose raconte en détails cette love story commerciale.
✊ Des actions politiques ou citoyennes ?
C'est à ce niveau que se situe le principal impact, selon Ariane Lavrilleux. Deux ONG basées aux Etats-Unis, Egyptians Abroad for Democracy et Code Pink, ont déposé plainte contre X, lundi 12 septembre, pour crime contre l’humanité, complicité de crime contre l’humanité et torture auprès du du PNAT. Les deux ONG ont également saisi le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires ainsi que son homologue chargé de la torture et celui qui œuvre pour la promotion et la protection des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme.
Une proposition de loi est elle née des révélations de l'Opération Sirli. Le groupe communiste au Sénat a proposé à la rentrée de septembre 2022 de réguler les exportations d’armes en instaurant un véritable contrôle parlementaire des contrats d’armement passé par la France.
Pour Ariane Lavrilleux, chaque citoyen peut, à son échelle, faire changer les choses. Elle rappelle que les entreprises d'armement sont présentes un peu partout en France et bénéficient d'aides de l'Etat et des régions : « les parlementaires sont très sensibles aux interpellations de leurs électeurs·trice·s donc si plus de citoyen·nne·s demandent à leurs élu·e·s locaux ce qu'ils font pour mieux contrôler l'action du gouvernement, ils seront plus nombreux à jouer leur rôle sur ce sujet. »
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