Éco-contribution : subvention pour la biodiversité ou pour les chasseurs ?
Plongez dans une enquête qui lève le voile sur l’éco-contribution des chasseurs, un fond pour la biodiversité qui semble surtout profiter... aux chasseurs eux-mêmes.
L'enquête, menée par Aline Robert et publiée dans L’Informé en mai 2023, dévoile comment les chasseurs et leur fédération, la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) utilisent les fonds de l'éco-contribution pour des activités qui semblent éloignées de la protection de la biodiversité.
⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ L’enquête met en lumière l’utilisation controversée des fonds de l’éco-contribution par la Fédération Nationale des Chasseurs, qui finance avec cet argent, initialement destiné à la protection de la biodiversité, des projets favorisant en priorité les intérêts des chasseurs, comme le suivi des espèces chassables et le développement d’outils liés à la chasse.
💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ Un an et demi après l’enquête, les révélations sur l’utilisation des fonds de l’éco-contribution n’ont pas entraîné de mesures concrètes de la part des responsables politiques et des institutions.
→ Les citoyen·nes, associations de protection de l'environnement et les médias se sont fortement ému·es de l'utilisation douteuse des fonds et la vigilance est désormais de mise.
Des fonds publics pour la chasse sous couvert de biodiversité ?
Mis en place en 2019, cette éco-contribution prélève cinq euros sur chaque permis de chasse, auxquels l'Office français de la biodiversité (OFB) ajoute dix euros pour alimenter un fonds dédié au financement de projets de protection de la biodiversité, soit environ 10 millions d’euros par an selon les projets proposés par les fédérations de chasseurs. Mais problème, l’argent est souvent investi dans des projets qui profitent avant tout aux chasseurs eux-mêmes, comme le suivi des espèces chassables et le développement d’outils liés à la pratique de la chasse.
La journaliste d’investigation cite de nombreux exemples comme celui de de la Fédération de chasse de Savoie, qui a obtenu 10 700 euros pour utiliser des chiens de chasse afin de suivre le petit gibier de montagne, comme les perdrix bartavelles, les lagopèdes alpins et les tétras-lyres, sous prétexte de les recenser hors période de chasse. Cette pratique est controversée et semble aller à l’encontre des objectifs de protection de la biodiversité : la présence des chiens risque de perturber et d'effrayer ces oiseaux durant leur période de nidification. D’autres projets posent questions : en quoi la restauration de bâtiments appartenant aux chasseurs en Allier, le développement d'une application pour renseigner les jours de chasse en Isère, et le financement de l'option "chasse" au Bac en Dordogne peuvent-ils relever de la biodiversité ?
Aline Robert questionne le rôle de l'Office français de la biodiversité (OFB) dans le contrôle des fonds de l’éco-contribution qui semble problématique et insuffisant : l’OFB est censé valider et superviser les projets financés par la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC), pourtant de nombreux projets discutables ont tout de même été approuvés. Elle explique que l’OFB a tout de même demandé des bilans des activités fin 2022, mais qu’il les attends toujours. Elle évoque aussi les tensions au sein de l’institution, résultat de la fusion entre l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, historiquement proche des chasseurs, et l’Agence Française de la Biodiversité, composée de chercheurs et de scientifiques. Cette double filiation rend difficile la mission de l’OFB, pris entre la volonté de contrôler les activités des chasseurs et celle de protéger efficacement la biodiversité.
La Fédération nationale des chasseurs (FNC) a fait usage de son droit de réponse et conteste le titre de l’article, affirmant qu'il est erroné et qu'aucune fraude n'a été commise dans le cadre de l'écocontribution. Elle souligne que les projets sont validés par l’OFB et qu'ils contribuent à la biodiversité, tout en réfutant les allégations de détournement de fonds, de surfacturations et de manque de transparence.
En novembre 2023, la cellule investigation de Radio France s'est à son tour penchée sur le sujet, en collaboration avec le magazine Capital, révélant de nouveaux éléments. Ayant accès à encore plus de détails sur les projets subventionnés, ils mettent en lumière les disparités importantes de coûts pour des actions similaires, comme la plantation de haies. Certains projets, tels que la création d’une base de données, apparaissent surévalués par rapport à leur coût réel. Et enfin, des actions étonnantes et controversées ont été financées, comme l’initiation au maniement de couteaux pour des enfants ou des subventions accordées à des fédérations dirigées par d'anciens braconniers.
💥 En quête d'impact
Deux ans après l'enquête de Blast, 18 mois après celle de L'Informé et un an après celle de Radio France, les chasseurs continuent-ils de recevoir des subventions pour des projets peu compatibles avec la préservation de la biodiversité ? Les structures encadrant ses fonds ont-elles durci les critères de sélection des projets ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
→ La Cour des comptes s’est penchée sur les subventions publiques accordées aux chasseurs et notamment à l’éco-contribution. Elle a estimé que l’OFB devait renforcer les moyens de ses équipes, mieux s’assurer du contrôle de la pertinence et de l’efficacité des projets. Pour Aline Robert ce n’est pas suffisant : « Elle se penche sur la forme, comptable de ces subventions, mais ce qui est dommage, c’est qu’elle ne s’intéresse pas à leur pertinence, c’est-à-dire qu’elles ne concernent pas la biodiversité, mais la chasse. »
→ L'Office français de la biodiversité (OFB) ne s’est pas exprimé suite à la parution de l’enquête. Là-encore, cela désole la journaliste : « C’est dommage car moins elle s'exprime, plus elle paraît faible, plus elle est attaquée par les agriculteurs, les pêcheurs ou … l’extrême droite ».
→ Pour l’instant, aucune révision des critères de financement de l'éco-contribution ou ajustements dans la convention entre la FNC et l’OFB n’ont été actés.
→ Le Sénat a publié en mars 2024 un rapport très critique sur l’OFB. Pour Aline Robert, cette assemblée a un vrai problème de partialité sur le sujet de la chasse. « Dans une autre de nos enquêtes, on s’est aperçu que les auditions et interviews des interlocuteurs d’une mission d’information pourtant réclamée par les citoyens sur la chasse au blaireau avaient été caviardées, tronquées voire totalement modifiées.»
→ Le député LFI - NUPES Bastien Lachaud a posé des questions sur le sujet à l’Assemblée, mais n’a pas obtenu de réponse.
→ L’enquête d’Aline Robert a été poursuivie par Capital et Radio France, au plus grand plaisir de son autrice.
→ Après l'enquête sur le service radiophonique public, les révélations de l'enquête ont été reprises à la télévision dans des JT locaux.
→ L'enquête n’a pas conduit à des suites judiciaires pour contester l'éco-contribution versée aux chasseurs. Des ONG avaient cependant tenté d'attaquer l’Etat en 2022, sans succès.
→ La Fédération Nationale des Chasseurs a déposé plainte contre L’Informé et son directeur de la publication Gilles Tanguy pour le titre et le chapô de l’article, estimant qu’ils sont diffamatoires. L’audience devrait se tenir en décembre 2024.
→ Les enquêtes menées par L’Informé et Radio France ont été reprises par des associations comme la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) ou ASPAS Nature pour consolider leur plaidoyer pour encadrer plus fortement la pratique de la chasse et protéger les espèces menacées.
Les coulisses de l'enquête 🕵️♀️
Aline Robert est journaliste et spécialiste des questions économiques et environnementales pour L'Informé. Pour Rembobine, elle revient sur la mission de ce nouveau média dont elle fait partie, ainsi que les défis spécifiques que représentent des sujets aussi sensibles que la chasse et les enjeux économiques et politiques qui s’y rattachent.
Des ressources pour mieux suivre le sujet ? 🧰
Aline n'a pas envie de vous conseiller un livre sur la chasse, mais plutôt un ouvrage qui traite des relations entre animaux et humains. Elle vous suggère donc de lire "Attachements", de Charles Stépanoff, récemment sorti aux Editions de la Découverte, qui explore l'histoire des liens entre humains et animaux et leur impact sur la société.
De notre côté, on vous suggère de jeter un oeil au nouveau rapport de l’organisation Earth Track. Il affirme que 2 600 milliards de dollars de subventions sont accordés chaque année à des activités néfastes pour le climat et la biodiversité à travers le monde. En soutenant la pêche industrielle, la combustion des énergies fossiles ou encore les pratiques d’agriculture intensive, les gouvernements du monde entier contribuent à la dégradation des écosystèmes.
Lecteur·trices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !
1. Diffusez l'article et l'enquête d'impact via leurs réseaux sociaux, auprès de vos amis et famille pour les sensibiliser aux enjeux de la biodiversité 🌿
2. Soutenez des actions en faveur de la régulation des subventions et de la protection des espèces, engagez-vous avec des organisations comme la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) ou ASPAS Nature 🌍
3. Participer à des consultations publiques, signez des pétition : restez attentifs, aux consultations et pétitions citoyennes sur la réglementation de la chasse ✒️
4. Interpellez vos élus locaux en adressant un e-mail aux députés et sénateurs de votre circonscription. 📧
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