Des communautés Emmaüs accusées de racisme et de traite d’êtres humains

Des communautés Emmaüs accusées de racisme et de traite d’êtres humains

On vous embarque cette semaine à la découverte d'une enquête passionnante publiée en juin 2023 par StreetPress, qui a permis de révéler un système de traite d’êtres humains, de travail dissimulé et de racisme au sein de la communauté Emmaüs de la Halte Saint-Jean (Nord). Une enquête dont vous avez peut-être entendu parler, tant son impact a été retentissant.

Pour celles et ceux qui n'ont pas le temps, on vous a résumé l'enquête et son impact en 1 minute. Aux autres, on vous souhaite une bonne lecture. Vous découvrirez plus bas les impacts de l'enquête en détail, une interview des journalistes et leurs recommandations pour continuer à creuser le sujet.

⏳ Comprendre l'enquête en 30 secondes
→ Le journaliste indépendant Jérémie Rochas a publié une enquête dans StreetPress sur une communauté Emmaüs accusée de traite d’êtres humains et de travail dissimulé.
→ Il a recueilli des témoignages montrant comment la communauté de la Halte Saint-Jean utilise des personnes exilées pour les faire travailler dans des conditions très difficiles et illégales. 
→ L’enquête a également montré que plusieurs autres communautés en France sont concernées.

💥 Et son impact en encore moins de temps !
→ L'enquête, qui a permis de documenter le système de travail dissimulé dans certaines communautés Emmaüs, a eu un large écho médiatique en France.
→ Elle a eu un impact judiciaire important puisque les éléments recueillis pour l’enquête de StreetPress ont servi de preuves lors du procès de la Halte Saint-Jean.
→ Au niveau institutionnel, Emmaüs a lancé une enquête interne ainsi que des audits et un plan d’action pour arrêter ces pratiques.

L'enquête : une rencontre avec un compagnon comme déclencheur

Emmaüs, le mouvement humaniste fondé il y a près de 70 ans par l’Abbé Pierre, est accusé de faits qui n’ont rien à voir avec l’altruisme de départ voulu. Plusieurs communautés sont accusées de traite d’êtres humains et de travail dissimulé. Le journaliste indépendant, Jérémie Rochas, a mené l’enquête pour le média StreetPress. Tout est parti d’un pur hasard : “j'étais en contact avec un homme exilé qui se trouvait à Lille et qui était à la rue depuis plusieurs mois et que je voyais régulièrement”. Une rencontre qui a marqué le point de départ de son enquête.

Dans le Nord, une communauté Emmaüs accusée de traite d’êtres humains et de travail dissimulé
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Retrouvez l'enquête de StreetPress en accès libre :

Un jour, il lui apprend qu’il a été recruté au sein de la communauté Emmaüs de la Halte Saint-Jean pour devenir un “compagnon”, le nom donné aux personnes qui travaillent au sein des communautés d’Emmaüs. C’est l’agrément Oacas (Organisme d’accueil communautaire et d’activités sociales) qui permet de donner un cadre juridique à cette fonction. Ces organismes peuvent “faire participer ces personnes à des activités d'économie solidaire afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle”. Un statut différent de celui de salarié et sans lien de subordination. En échange les compagnons sont hébergés et payés autour de 200 euros par mois.

Travail à temps plein et harcèlement

Le journaliste va ainsi s’entretenir régulièrement avec le nouveau compagnon. “Puis j'ai rencontré d'autres personnes : des compagnons, des anciens salariés. Je suis allé dans la communauté à plusieurs reprises pour essayer de comprendre le fonctionnement. La difficulté dans cette communauté Emmaüs, mais dans bien d'autres aussi, c'est que les compagnons sont très, très isolés, vis-à-vis de l'extérieur. Ils sont dans un entre-soi, et c'est cet entre-soi, d'ailleurs, qui est dangereux et qui crée des dérives”, relate Jérémie Rochas.

Ce qui devait être une “participation à l'activité de l’association” est devenu un travail à temps plein à la cadence infernale et marqué par du harcèlement de la part de la directrice. Lorsque les compagnons apprennent que la communauté n’a pas d’agrément (un moyen pour ne pas avoir à payer de cotisations sociales auprès de l’Urssaf) et qu’ils ne pourront donc pas être régularisés après trois ans de travail comme on leur avait pourtant promis, ils décident de porter plainte et de se mettre en grève. La grève est toujours en cours et la communauté de la Halte Saint-Jean a fermé ses portes. Le procès, qui s’est déroulé mi-juin, a reconnu coupables la direction (Pierre Duponchel et Anne Saingier) de travail dissimulé et de harcèlement.  

💥 En quête d'impact

Un an après la publication de l'enquête de StreetPress, les compagnons sont-ils toujours non régularisés, sont-ils toujours victime de harcèlement et de travail dissimulé de la part de la direction d’Emmaüs ? Des actions en justice ont-elles été entreprises ? Le suivi de cette affaire par StreetPress a-t-elle eu un impact ?

Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.

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IMPACT INSTITUTIONNEL ✔️

→ Suite à l'enquête, Emmaüs France a mandaté plusieurs cabinets de conseil. Dans des enregistrement audio qu’il a pu se procurer, Jérémie Rochas explique qu’il a entendu lors de réunions que la crise était d’envergure similaire à celle qu’a connue Orpéa. Ils ont enclenché une série d’audits dans toutes les communautés Emmaüs. Un numéro vert a également été mis en place ainsi qu’un plan d’action qui sera suivi par une commission d’enquête indépendante.

→ Pour Jérémie Rochas, il faut aller encore plus loin et questionner le statut de compagnon et l’agrément Oacas. “Quelle autre personne dans ce pays travaille autant d’heures par mois pour un salaire aussi petit ?, interroge le journaliste. Ils sont nourris et logés, certes, mais du coup cela entraîne une dépendance vis-à-vis de la direction et des responsables pour quasiment tout. L'hébergement, leur travail, leurs ressources, la possibilité d’être régularisé et même leur nourriture, c’est ce rapport de domination qui est la porte ouverte à toutes les dérives.”

→ L’État quant à lui n’a pas réellement réagi.
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IMPACT MÉDIATIQUE ✔️

→ L’enquête a été très largement reprise dans la presse et “de nombreux journalistes sont venues sur le piquet de grève pour couvrir l’affaire”. Un complément d’enquête a été réalisé sur le sujet. D'autres communautés Emmaüs - comme celles d’Ivry-sur-Seine ou encore de Tourcoing - ont rapporté des faits similaires.

→ L'enquête a également été relayée par la presse papier. Aussi bien par la presse quotidienne régionale comme Le Parisien, La Voix du Nord, que par la presse quotidienne nationale comme Le Monde. L’affaire a fait l’objet d’une importante couverture médiatique et de nombreuses dépêches de l'Agence France Presse (AFP). La pression médiatique a été telle qu’elle a contraint Emmaüs France à réagir.
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IMPACT PUBLIC ✔️

→ A la suite de la publication, plusieurs anciens salariés ont pris la parole pour témoigner. D’anciens bénévoles et des clients sont même venus apporter leur soutien aux grévistes.

→ La Ligue des droits de l’homme (LDH) s’est positionnée en faveur des grévistes.
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IMPACT JUDICIAIRE ✔️

→ Un premier procès pour la Halte Saint-Jean a eu lieu à la mi-juin, le président d’Emmaüs de la Halte Saint-Jean et la directrice Anne Saingier ont été condamnés pour harcèlement et travail dissimulé. Un an de sursis et 2000 euros d’amende pour le président et 2 ans de prison avec sursis et 3000 euros d’amende pour la directrice. Un délibéré est attendu pour début juillet.

“Dans le procès de la Halte Saint-Jean, l’enquête de StreetPress a été clairement citée” , indique Jérémie Rochas. La communauté de la Halte Saint-Jean a également été attaquée par l'Urssaf pour non paiement des cotisations sociales. “Pour la communauté du Tarn-et-Garonne, le procureur a indiqué ouvrir une enquête suite à un autre article accusant Christian Calmejane d’exploitations d’enfants”, précise Jérémie Rochas.

Les coulisses de l'enquête 🕵️‍♀️

Jérémie Rochas, journaliste indépendant pour StreetPress, a accepté de répondre aux questions de Rembobine sur les coulisses de son enquête. Il revient sur son travail et comment il a réussi à obtenir des témoignages et des informations cruciales qui ont été utilisées par la justice.

Pour lire l'interview 👇

Comment mieux suivre le sujet ? 🧰

Pour commencer, sachez que c'est le 5 juillet prochain que doit être rendu le délibéré du procès visant Pierre Duponchel, le président, la directrice Anne Saingier, et Alexis Kotowski, le directeur de la communauté de Nieppe, qui s’est elle aussi mise en grève aussi quelques mois après la Halte Saint-Jean. Ils sont accusés de ne pas avoir respecté l'agrément Oacas comme l'ensemble des autres 121 communautés Emmaüs de France, afin de ne pas payer les cotisations sociales, et de ne pas respecter les droits des compagnons qui ont pu être acquis avec ce décret de 2008.

Vous pouvez également retrouver tous les papiers concernant le sujet sur StreetPress qui continue de documenter l’avancée de la grève ainsi que l’évolution des communautés Emmaüs. Vous pouvez également regarder l'émission de Complément d'enquête consacré à l’affaire de la Halte Saint-Jean.

Complément d’enquête Emmaüs : “Rendez-nous l’abbé Pierre !”
Créée en 1985 par l’abbé Pierre, l’association Emmaüs est à la tête de 125 communautés, réparties dans tout le pays, qui hébergent des centaines de familles, dont 70% d’étrangers sans-papiers. En échange du gîte, du couvert et d’un modeste pécule, ces compagnons réparent et vendent vieux vélos, meubles ou vêtements d’occasion. Aujourd’hui, cette association, l’une des préférées des Français, est dans la tourmente. Elle se voit accusée de maltraitance par une partie de ses compagnons, qu’elle a sortis de la misère. A la manoeuvre, une cinquantaine de compagnons du Nord qui dénoncent depuis l’été dernier les conditions de vie dans leur communauté.

Hiver 54, un documentaire consacré à l'histoire de l’Abbé Pierre est disponible sur la plateforme de France Télévisions et retrace le récit du combat de l’Abbé Pierre.

La case du siècle Hiver 54 : l’abbé Pierre et l’insurrection de la bonté
Hiver 1954, une vague de froid s’abat sur la France. Le thermomètre descend en dessous des moins 20 degrés. Le pays est frappé par une crise du logement sans précédent. Les autorités ferment les yeux. Pas pour longtemps. Un prêtre, résistant, ancien député, l’abbé Pierre, va les contraindre à agir. Le 1er février 54, son appel sur les ondes de Radio Luxembourg provoque une vague d’émotion et un électrochoc sur le mal-logement et la misère sociale en France.

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Comment multiplier l'impact de l'enquête ?

Lecteur·ices, citoyen·nes...Vous avez le pouvoir de renforcer l'impact du travail des journalistes !

1. Discuter de l'article avec votre entourage, partagez-le ainsi que l'étude de son impact par Rembobine sur vos réseaux pour informer un plus large public 💖.

2. Prenez connaissance d’un article sociologique publié sur AOC média sur la question de la participation du monde associatif à la précarisation, à la dérégulation et même à la « gratuitisation » du travail aujourd’hui.

3. Vous connaissez un·e parlementaire ou un·e sénateur·rice qui pourrait porter la question du statut des compagnons d’Emmaüs ? Interpellez-la sur les réseaux ou écrivez-lui 📣