
Comment Mediapart capitalise sur son impact à l'occasion du procès Sarkozy-Kadhafi
L’affaire Sarkozy-Kadhafi s’invite à nouveau dans le débat public en 2025 avec un procès historique. Pour en éclairer les enjeux et contrer la stratégie de défense médiatique de l’ancien président, Mediapart a sorti un film et a misé sur une approche éditoriale plurielle.
Depuis 14 ans et un mail adressé à la rédaction, Mediapart a accumulé plus de 160 articles, un livre, une bande dessinée ou encore un podcast pour documenter l’affaire de corruption présumée entre Nicolas Sarkozy et le régime de Mouammar Kadhafi. Face à cette enquête tentaculaire et à l’ouverture du procès en janvier, le média a décidé d’aller plus loin : tenter de donner les clés de lecture à ses lecteur·rices et produire un documentaire destiné au grand écran, Personne n’y comprend rien.
« Cette histoire, elle est folle. C’est une des affaires emblématiques du journal. Mais c’est difficile d’en comprendre les tenants et aboutissants quand elle s’étale sur autant d’années », explique Julie Sockeel, directrice marketing de Mediapart. Malgré son ampleur, cette affaire a longtemps peiné à trouver un écho médiatique plus large. « Il fallait remplir notre rôle de journalistes, faire de la pédagogie. Nicolas Sarkozy nous a tendu une perche avec sa phrase dans Le Figaro : ‘Personne n’y comprend rien’. On s’est dit : chiche, on va raconter cette histoire clairement. » raconte Fabrice Arfi, journaliste à l’origine de l’enquête.
Impliquer une communauté
La rédaction s’est tournée vers ses lecteurs pour financer le projet avec une campagne de crowdfunding qui a dépassé toutes leurs attentes. « On savait qu’on pouvait compter sur nos lecteur·rices, mais jamais on n’aurait imaginé lever plus d’un demi-million d’euros », se réjouit-elle. La campagne a donné lieu à des contreparties peu communes, comme un tour bus sur les lieux clés de l’affaire, auquel ont participé 40 donateur·rices. « On a fait un tour de Paris en décembre, en passant par la BNP, l’Élysée, et d’autres endroits symboliques. Le tout commenté par Fabrice Arfi, Yannick Kergoat et d’autres journalistes. Une manière ludique et immersive de revisiter l’histoire », sourit Julie Sockeel.
Le succès a été au rendez-vous : plus de 142 000 spectateurs se sont déplacés en salle. « Le cinéma impose un autre rythme d’écoute. Ce n’est pas comme à la télévision où l’on peut zapper. Il y a une vraie qualité d’attention », analyse-t-elle. Les journalistes de la rédaction ont multiplié les projections-débats dans toute la France, pour échanger directement avec les spectateur·rices. « On a organisé plus d’une centaine de projections avec débats à la sortie. Ce qui est précieux, c’est qu’on y rencontre des lecteurs, mais aussi des gens qui ne nous lisent pas forcément et qui découvrent notre travail autrement. Pour nous, ces moments sont essentiels, car ils nous permettent d’être sur le terrain, au plus près du public », ajoute la directrice marketing.

Un procès hors norme, une couverture journalistique exceptionnelle
Pour Fabrice Arfi, c’était un impératif de documenter ce moment d’histoire : « Le plus grand procès de corruption de la Ve République, peut-être même de toute l’histoire de la République, se tient en ce moment. Et il n’y a pas une seule caméra de France 2, de TF1 ou de BFMTV dans la salle. C’est absolument sidérant. » Jamais un ancien président et trois de ses ministres n’avaient été jugés pour corruption présumée au profit d’une dictature étrangère. Sur le banc des accusés : Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux, Éric Woerth, ainsi que des intermédiaires comme Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri. L’instruction judiciaire, longue de plus de dix ans, repose sur un faisceau de preuves solides : documents officiels, mouvements de fonds suspects et témoignages corroborés.
Pour faire vivre ce procès au plus grand nombre, Mediapart a rappelé que les audiences au tribunal correctionnel de Paris étaient ouvertes au public. Julie Sockeel s’y est rendue et a pu constater l’impact du travail du journal : « En discutant dans la file d’attente, j’ai réalisé qu’il y avait énormément de lecteur·rices de Mediapart. Ça montre bien que ce procès passionne et que l’information indépendante joue un rôle crucial », souligne-t-elle.
L’enjeu éditorial, en plus de la sortie du film, était aussi de profiter de l'attention portée sur l’affaire et de faire atterrir les personnes qui allaient se renseigner sur le procès sur le site de Mediapart. « On a certes écrit énormément sur l’affaire. Mais arriver sur un dossier de 160 articles, ça peut décourager ». La rédaction et les équipes marketing et produit ont donc pensé une approche multimédia pour toucher un large public : un grand format interactif, des chroniques vidéos du procès, un quiz ludique, et une offre d’abonnement spéciale. « On sait que le pic médiatique va se concentrer sur le mois de janvier, mais nous, on voulait pouvoir accompagner le procès jusqu’au réquisitoire en avril. Grâce à ces différents formats, on a réussi à maintenir l’intérêt sur le long terme », précise la directrice du marketing.

Ce dispositif de Mediapart vise aussi à contrer la stratégie de défense médiatique de l’ancien président, qui s’appuie sur un récit de persécution judiciaire et politique. « On sait que beaucoup de gens mélangent les affaires ou n’ont plus en tête les premiers épisodes. Il fallait donc une narration claire, accessible, et qui ne laisse pas place à la confusion », explique-t-elle. Car au-delà du procès, la rédaction s’inscrit avec ce projet dans une démarche plus large de journalisme d’investigation à impact. « Ce projet, c’est l’incarnation de ce que doit être Mediapart : un média citoyen, participatif, qui remet l’information au centre du débat public ».
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