Quand la carte scolaire freine la mixité sociale 🎒
Alors que le désormais ex-ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, ne semble jurer que part le port de l'uniforme et les classes de niveaux pour provoquer « un sursaut pour l'avenir de notre école », les journalistes Matthieu Slisse et Denis Vannier se sont, eux, intéressés en janvier 2023 au rôle de la carte scolaire dans le maintien de la ségrégation sociale. En se concentrant sur le cas de la métropole lilloise, leur enquête pose une question toujours profondément d'actualité : pourquoi le choix d'où l'on met ses enfants à l'école reste-t-il un sujet aussi clivant ?
Mixité au collège : à Lille, comment la carte scolaire entretient la ségrégation sociale
Début 2023. Vous vous en souvenez peut-être, à cette époque, Pap Ndiaye occupe depuis peu et pour encore quelques mois seulement le poste de ministre de l’Éducation nationale. Renforcer la mixité sociale à l'école fait alors partie des priorités majeures de l'homme politique, qui promet de dévoiler un plan à la hauteur de l'enjeu.
Un sujet d'autant plus d'actualité que les Indices de position sociale (IPS), qui permettent de situer socialement la population fréquentant un établissement scolaire, viennent d'être rendus publics grâce à l'acharnement du journaliste Alexandre Léchenet. C'est dans ce contexte que paraît la passionnante enquête « Collèges : comment la carte scolaire entretient la ségrégation sociale dans la métropole lilloise », sur le site du média d'investigation locale Mediacités.
Matthieu Slisse
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Réalisée par le journaliste Matthieu Slisse et le data journaliste Denis Vannier, l'enquête s'attelle à répondre à une question cruciale : si l'on peut sans trop de difficultés se douter que d'un quartier à l'autre, l'origine sociale des élèves varie, comment cela se fait-il qu'entre des établissements scolaires situés à quelques kilomètres seulement les uns des autres, les profils sociaux des élèves accueillis soient aussi différents ?
Une question à laquelle on pourrait d'abord être tenté de répondre en invoquant la fuite vers les établissements privées, mais à laquelle les journalistes apportent pourtant une toute autre réponse. Grâce à une compilation exclusive de données sociales, notamment issue de l'analyse de données de l'Insee, les deux journalistes ont réussi à identifier au moins sept zones où des collèges publics de la métropole lilloise, bien que très proches géographiquement, accueillent des élèves aux profils sociaux radicalement différents.
Dès lors, leur enquête montre comment, à l'échelle de la Métropole européenne de Lille (MEL), la carte scolaire, du fait de son découpage, ne parvient en réalité que très rarement à mélanger les populations et échoue en ce sens à assurer la mixité sociale dans les collèges.
Vous souhaitez en savoir plus sur l'enquête de Matthieu Slisse et Denis Vannier ? Retrouvez leur interview ici 👇
Cécile Massin
Quel impact pour l'enquête de Mediacités ?
Un an après la publication de l'enquête de Mediacités, la situation a-t-elle évolué dans la métropole lilloise ? La mixité scolaire fait-elle toujours partie des priorités du gouvernement ou, au contraire, a-t-elle été complètement oubliée ? D'autres médias se sont-ils emparés de la question ?
Rembobine vous propose de découvrir l'impact de l'enquête, d'après une méthodologie inspirée du média d'investigation Disclose et de son rapport d'impact 2022. Rendez-vous sur le site pour comprendre ce qui peut être inclus dans ce tableau.
- D'après les journalistes de l'enquête, cette dernière a beaucoup circulé « auprès des cadres de l’Éducation nationale », et notamment auprès du rectorat de Lille, qui leur a expliqué en avoir pris connaissance.
- Pour autant, aucun changement d'envergure n'a été constaté. « Ils avaient dit qu'ils modifieraient la carte, mais ils n'en ont pas parlé à la conférence de presse du rectorat, explique Matthieu Slisse. Ce sont des processus qui sont généralement assez longs. »
- Plus encore, la question de la «mixité scolaire », pourtant affichée comme une priorité par l'ancien ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a cédé la place à d'autres préoccupations (comme celle de l'uniforme) et a largement disparu de l'espace politique et médiatique.
- L'enquête n'a pas été reprise par d'autres médias, ce que Denis Vannier voit non pas comme la marque d'un manque d'intérêt, mais plutôt comme le signe que « désormais, on peut avancer dans le débat, et plutôt se demander comment est-ce qu'on fait pour corriger ces problèmes de ségrégation ».
- Cependant, au sein de Mediacités, cette enquête a été la première d'une longue série, où l'équipe s'est également intéressée à la mixité scolaire dans les villes de Toulouse, Nantes ou encore Lyon.
- Avec la publication des Indices de position sociale (IPS) des écoles, collèges et lycées, de nombreux médias régionaux se sont intéressés à leurs territoires, comme France 3 dans le Grand Est, ou Lyon Capitale pour le Rhône-Alpes.
- Tout au long de l'année, les syndicats des personnels de l'Éducation nationale ont alerté les impacts de la carte scolaire un peu partout en France. Fin avril 2023, le syndicat Sud Education 31 conteste le bilan positif du département de la Haute-Garonne sur le projet « Mixité » au collège.
- En mai 2023 à Lyon, Mediacités a animé une table‐ronde consacrée à l’étude des moyens des collectivités pour lutter contre la ségrégation sociale dans les collèges, avec un sociologue, un recteur d'académie et un journaliste qui a réalisé l'enquête.
Comment mieux suivre le sujet de la mixité sociale à l'école ? 🧰
Comment choisir où mettre ses enfants à l'école ? C'est à cette question pour le moins épineuse que s'attelle la journaliste Delphine Saltel dans son podcast « Y'a deux écoles ». Accessible sur le site d'Arte Radio, ce dernier est l'occasion d'interroger les ressorts sociologiques qui font que l'on choisit une école plutôt qu'une autre, parfois au mépris de ses propres convictions. Le podcast est d'ailleurs cité dans la très bonne newsletter du Monde Darons Daronne, dont l'édition du 18 octobre dernier s'intitulait « Pourquoi le débat public-privé crispe-t-il autant les parents ? ».
Côté films, La lutte des classes, réalisé par Michel Leclerc en 2019, permet de suivre les tergiversations d'un couple en proie au doute sur l'école où scolariser son enfant, entre fidélité aux valeurs de l'école publique et attrait pour le privé. Matthieu Slisse et Denis Vannier vous conseillent également d'aller voir du côté de La vie scolaire. Réalisé par le rappeur Grand Corps Malade, on y découvre avec beaucoup d'humour et de tendresse le quotidien dans un collège réputé difficile de la ville de Saint-Denis, en banlieue parisienne.
Et pour celles et ceux qui en redemanderaient, le chercheur Youssef Souidi, d'ailleurs largement cité dans l'enquête de Mediacités, et le doctorant Hugo Botton, ont réalisé un travail titanesque dans leur article Le Collège d'à côté paru dans La vie des idées. À l'image de l'enquête de Matthieu Slisse et Denis Vannier pour la métropole lilloise, les deux auteurs y mettent en évidence de très nombreux exemples de duos de collèges voisins comprenant un collège très défavorisé et un collège favorisé, mais cette fois sur un périmètre beaucoup plus large, de Marseille à Pointe-à-Pitre, en passant par Toulon et Romilly-sur-Seine, en région Grand Est.
