🕌 Banquiers zélés envers les mosquées #20

Timothée Vinchon
Timothée Vinchon

Avez-vous déjà eu vos comptes bloqués ? C'est une véritable galère pour n'importe qui, mais cela devient encore plus difficile lorsque vous êtes une association religieuse qui doit lutter contre l'institution financière et les préjugés racistes. Cette semaine, nous nous intéressons à un reportage de Mediapart sorti l'année dernière qui a analysé ce problème persistant depuis plusieurs années. Nous avons la chance de recevoir Lou Syrah, journaliste indépendante qui contribue régulièrement à Mediapart en chroniquant la "haine ordinaire" et enquête depuis de nombreuses années sur les questions liées à la religion et aux discriminations.

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Deux petites informations, pour vous dire qu'elle va continuer de grandir, entourée de bonnes fées. Rembobine est ravi d'intégrer le Spiil, le syndicat de la presse indépendante d'information en ligne. Objectif, se structurer intelligemment grâce aux ressources et à l'intelligence collective d'un merveilleux réseau de fondatrices et fondateurs de médias. Et à la rentrée, on fera partie de la nouvelle promo d'Horizons, l'incubateur de médias de Créatis !

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Timothée Vinchon, rédacteur de Rembobine
hello@rembobine.info

🍿 De quoi parlait-on il y a un an ?

Quelle était l'actualité il y a un an ? À l'approche de l'été, elle est suffocante.

A la une de l'actu début juin⬆️

🗳️ 3ème tour – Aux élections législatives, Ensemble, la coalition de la majorité présidentielle, arrive très légèrement en tête devant l’alliance de gauche Nupes, le tout avec une abstention très forte à 53%. LREM décide de ne donner aucune consigne de vote dans les duels NUPES/RN.

🚸 Zéro pointé – Jean-Michel Blanquer est éliminé dès le premier tour, alors que sa réforme du bac, appliquée dans sa totalité, passe l'épreuve de la réalité. Le Monde a dressé un premier bilan de cette révolution.

🥵 Il fait chaud – Une vague de chaleur s'abat sur la France dès juin. Du côté des agriculteurs, on s'inquiète pour les cultures déjà mises à mal. L’été 2022 sera le plus chaud jamais enregistré en Europe.

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Des mosquées discriminées par des banquiers zélés, Darmanin s’exonère de toute responsabilité


Depuis 2020, des mosquées et leurs donateurs dénoncent une situation pénible avec leurs comptes bancaires, mystérieusement gelés. Dans une lettre publiée début juin 2022, quatre jours avant les élections législatives, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin admet finalement ce phénomène préoccupant. Cependant, au lieu de s'en charger lui-même, il préfère renvoyer la patate chaude à son collègue de Bercy et à la Fédération bancaire française, comme s'il s'agissait d'un jeu de ping-pong bureaucratique.

Des mosquées discriminées par des banquiers zélés, Darmanin s’exonère de toute responsabilité
Depuis plusieurs mois, des mosquées et des donateurs voient leurs comptes bancaires bloqués sans explication. Dans un courrier signé à quatre jours des élections législatives, le ministre de l’intéri…

L'article de Médiapart ⬆️

Le ministre de l'Intérieur exprime son mécontentement envers le "comportement de certains établissements bancaires" qui, au nom de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ferment les comptes d'associations musulmanes sans préavis ni explications. Tout cela est fait sous prétexte d'utilisation d'argent liquide, de cagnottes en ligne ou encore de financements internationaux, alors que la seule obligation est d'envoyer une déclaration de soupçon étayée à Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy, rappelle le ministre.

Nous recevons la journaliste indépendante Lou Syrah, qui a travaillé sur le sujet pour Mediapart. Depuis plusieurs années, elle s'intéresse aux sujets du racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie sur le média en ligne et est l'une des principales contributrices de leur dossier "Chroniques de la haine ordinaire".

Salut Lou ! Peux-tu nous expliquer comment tu en es venue à travailler sur ces sujets du racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie ?

J'y suis arrivée assez naturellement en travaillant sur les dérives de l'état d'urgence. Cette politique, lancée après les attentats de 2015, donnait tous les pouvoirs aux préfets au nom de la lutte contre le terrorisme. C'était au mieux un fiasco, au pire un scandale d'État parfait.

Plus de 3 000 personnes ont été perquisitionnées en vain, près de 400 ont été assignées à résidence et des dizaines de mosquées ont été fermées. Tout cela reposait sur de simples suspicions éventées dans les fameuses "notes blanches", des feuilles volantes griffonnées à la hâte par l'administration ou les services de renseignement, regorgeant d'éléments factuels fragiles, parfois invérifiables ou tout simplement faux. La rigueur avec laquelle les autorités traitaient ces dossiers était inversement proportionnelle aux accusations. Je me souviens, par exemple, avoir raconté l'histoire d'un homme assigné à résidence dans sa voiture.

VIDEO. Complément d’enquête. Halim, fiché S et assigné à résidence
Dans la France de l’état d’urgence, après les attentats du 13 novembre, des personnes fichĂ©es S sont assignĂ©es Ă  rĂ©sidence. Y a-t-il des abus ? Halim, estampillĂ© “islamiste radical”, s’estime victime d’un malentendu. Rencontre dans cet extrait de “ComplĂ©ment d’enquĂŞte” du 10 dĂ©cembre 2015.

Le cas d'Halim Abdelmalek, premier dossier d'assignation rĂ©sidence cassĂ©e par le Conseil d'État, avait fortement marquĂ© Lou. 

En réalité, à l'époque, nous découvrions l'arbitraire de la justice antiterroriste déployée à grande échelle. Le lien avec le racisme est assez évident. Lorsqu'on ne dispose d'aucun élément matériel pour accuser quelqu'un, on projette des images ou des intentions. Dans ce cas précis, le préjugé qui surgit est que derrière chaque musulman pratiquant se cache un terroriste.

Malgré l'échec de l'état d'urgence (seulement 6 dossiers aboutissant au parquet antiterroriste), l'État s'est engagé dans la même politique du chiffre après l'assassinat de Samuel Paty, en marge de sa loi sur le séparatisme, sans que les principaux intéressés ne se révoltent. Cela suscite toujours une certaine interrogation. Jusqu'à ce qu'on réalise une fois pour toutes que le silence fait toujours partie intégrante des affaires de racisme. Quelle que soit la raison, qu'il s'agisse de peur des représailles, d'accoutumance ou d'aspiration à la normalité, et quel que soit le public visé, les victimes se taisent. Ce constat nous amène à porter un regard différent sur la lutte contre l'antisémitisme, dont on prétend à tort qu'elle est une priorité nationale. En y regardant de plus près, le gouvernement se concentre surtout sur la communication. Le dépôt de gerbes lors de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv ou la panthéonisation d'un résistant ne constituent pas une politique antiraciste à eux seuls. Des élus sont victimes depuis plusieurs mois de groupes néonazis. Au début du mois de juin, des centaines de mairies ont reçu des tracts évoquant le supposé "péril juif", sans qu'Emmanuel Macron ne s'en offusque. Pas un tweet, rien. Même pas pour soutenir la présidente de l'Assemblée nationale, qui fait l'objet d'un harcèlement antisémite depuis son accession au perchoir. À ce niveau, cela frise l'indécence.

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Comment a évolué cette affaire des comptes gelés des mosquées ?

Contrairement à ce que Gérald Darmanin a laissé entendre, en faisant opportunément parvenir à la presse un courrier montrant son intérêt pour le sujet en pleine campagne électorale de 2022, la problématique est loin d'être résolue.

Des centaines d'associations, de mosquées et de particuliers sont encore confrontés au blocage de leurs comptes, sans savoir pourquoi. Il faut dire que l'opacité a été soigneusement aménagée par les lois successives. Depuis la loi sur le séparatisme votée en 2021, Tracfin peut s'opposer à des opérations bancaires au nom de la lutte contre le terrorisme, sans que le titulaire du compte ne soit informé des raisons. Et les recours sont quasi inexistants.

Cette affaire est en réalité symptomatique d'une administration en roue libre, minée par l'ingérence croissante des services de renseignement. La situation est jugée suffisamment grave pour avoir attiré l'attention de l'ONU. Après avoir critiqué une première fois le gouvernement français suite aux dissolutions du CCIF, Fionnuala Ní Aoláin, la rapporteuse spéciale de l'ONU sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme, s'apprête à publier un rapport sur les entraves financières qui affectent le milieu associatif en France. Ironiquement, l'une des principales associations françaises ayant contribué à ce rapport, l'ADM (Association Action Droits des Musulmans), est elle-même victime de ces dérives qu'elle documente.

Elle a déposé à plusieurs reprises des plaintes pour des blocages de comptes. La dernière a été déposée auprès du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU le 31 mars. En effet, l'association a vu ses comptes bloqués par sa banque pour avoir participé à des travaux avec cette instance internationale... Une manœuvre perçue comme des représailles de la part des autorités françaises. Une hypothèse que l'on ne peut pas exclure.

Le scandale du fonds Marianne, qui a récemment éclaboussé le ministère de l'Intérieur, pourrait éventuellement conduire à un examen approfondi de ces mesures prises dans le plus grand secret au nom de la lutte contre le séparatisme. Cependant, il est déjà regrettable que la commission d'enquête sénatoriale, lancée le 10 mai, soit la seule entité à s'être saisie de cette question. De plus, il est décevant que les travaux parlementaires se concentrent exclusivement sur l'aspect financier.

Les médias ont-ils une responsabilité ?

Oui, en particulier ceux qui donnent la parole à des personnalités multirécidivistes condamnées pour incitation à la haine raciale et qui contribuent à légitimer des théories complotistes meurtrières telles que le "grand remplacement". L'influence de "Bolloré" est indéniable.

Six ans de macronisme jouent également un rôle. Il est inévitable que lorsque l'on supprime 100 000 euros de subventions publiques à SOS Racisme pour financer des personnalités telles que Mohamed Sifaoui, chargé de mener secrètement la communication du ministère de l'Intérieur, lorsqu'on dissout des associations comme le CCIF (qui, quoi qu'on en pense, était partenaire de la CNCDH et produisait des données sur les discriminations), et lorsqu'on criminalise des associations de défense des droits de l'homme, on écarte inévitablement des débats publics des thématiques telles que l'islamophobie.

Face à cette situation, il est légitime de remettre en question les choix éditoriaux de certaines rédactions. Pourquoi en 2015, des médias généralistes tels que Libération et Le Monde étaient en première ligne pour documenter les dérives de l'état d'urgence, et cinq ans plus tard, seuls Mediapart, Politis et Reuters enquêtaient sur la loi sur le séparatisme ?

Notre responsabilité face à cette actualité est énorme. Ne pas rétablir les individus dans leur dignité en rappelant qu'ils sont innocents des accusations d'islamisme que l'État leur impute, c'est continuer à alimenter la logique de suspicion qui les stigmatise. Surtout que le racisme est un processus de déshumanisation qui commence par le regard, se perpétue par la parole, puis passe à l'action. Quatre personnes ont déjà perdu la vie sous les balles de l'extrême droite à Paris en 2022.

Les chroniques de la haine développées par Mediapart répondaient à ces questions éditoriales : comment aborder la radicalisation du débat public sans être assujetti aux moindres scandales médiatiques de Zemmour ? La réponse consistait à donner un visage aux principales victimes du racisme, à raconter leur histoire en mobilisant les ressources de l'enquête journalistique. Parallèlement, le journal a continué à documenter les dérives de la loi sur le séparatisme, en particulier grâce aux nombreuses révélations de Camille Polloni et David Perrotin.

Vous pouvez retrouver tous les articles de Lou Syrah sur Mediapart par ici.


L'impact 🎯

Rembobine vous propose une visualisation de ce qui a évolué dans cette affaire. L'article a-t-il changer les choses ? On tente de mesurer tout ça un an après la parution. Elle est inspirée de la méthodologie qu'a utilisée Disclose pour son rapport d'impact 2022. L'impact est catégorisé en 4 catégories : institutionnel (une interpellation publique, une réaction officielle, une enquête interne, une proposition de changement de réglementation, de pratique ou de loi, un mouvement de poste de haut dirigeant), judiciaire (attaque en justice, classement sans suite, instruction judiciaire, décision de justice), médiatique (copublication, mention par un média, mention par une ONG ou un think-tank, mention par une personnalité publique) et public (actions individuelles ou actions collectives).

🏦
IMPACT INSTITUTIONNEL ✔️
- Un rapport sur les entraves financières qui affectent le milieu associatif en France en cours de rédaction par Fionnuala Ní Aoláin, la rapporteuse spéciale de l'ONU sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme (lien)
- Des journalistes de Mediapart ont été auditionnés dans le cadre d'une commission du Conseil de l'Europe sur l’égalité et la non-discrimination (lien)
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IMPACT MEDIATIQUE ✔️❌
- L'information a été publiée par de nombreux médias nationaux (lien)
- Du côté de la Fédération bancaire française (FBF), dans un communiqué, on invoque le simple respect général des règles en vigueur. (lien)
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IMPACT JUDICIAIRE ✔️❌
- De nouvelles mosquées ont été fermées par arrêté préfectoral (lien)
- Des recours au tribunal administratif ont confirmé la légalité des arrêtés ministériels pris en octobre 2021 pour décider du gel des avoirs de responsables de mosquées (lien)
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IMPACT PUBLIC ✔️
- Fionnuala Ní Aoláin a lancé en juin 2023 une étude globale sur l'impact des mesures antiterroristes sur la société civile et l'espace civique en marge de la troisième conférence de haut niveau des chefs des agences antiterroristes des États membres de l'ONU (lien)
- Des réseau régionaux d'association gérant des lieux de cultes musulmans ont proposé des séminaires de travail lors de l'été 2022 pour renforcer leurs adhérents en matière juridique (lien)

🧰 Comment mieux suivre le sujet ?

Lou conseille différentes ressources pour suivre le sujet. Tout d'abord, le 5 mai, Mediapart a publié un livre collectif, La haine ordinaire. Des vies percutées par le racisme, premier ouvrage d’une collection appelée "En quête de sens". Entre récits de victimes et entretiens avec des spécialistes, il dresse un panorama non exhaustif de l’ampleur des dégâts humains et de la nécessaire réaction politique qui doit intervenir.

Racisme : contre la haine ordinaire et l’indiffĂ©rence qui gagne
Ce vendredi 5 mai, Mediapart publie un livre collectif, « La haine ordinaire. Des vies percutĂ©es par le racisme Â», le premier d’une collection que nous lançons avec Le Seuil. Entre rĂ©cits de victimes…

La newsletter mensuelle FAF de StreetPress traite la problématique de l'angle de l'extrême-droite. Au programme, des enquêtes, des reportages et des infos inédites.

Millionnaires et nazis

La dernière édition de FAF, la newsletter de StreetPress. ⬆️

L'Association de journalistes antiracistes et racisé·es (AJAR) s'est lancée au printemps avec pour objectif de « s’attaquer au racisme dans le journalisme ». Leur compte Twitter permet d'observer au quotidien le traitement de l'actualité au prisme des préjugés racistes.

Pour une Association de journalistes antiracistes et racisé.e.s
Face au constat du racisme et du manque de représentation dans les médias, plus de 160 journalistes s’engagent.

Le documentaire Premier de corvée, réalisé par Emile Costard, Camille Millerand et Julia Pascual diffusé sur Arte, offre une plongée dans le quotidien des personnes sans papiers, travailleurs de l’ombre prêts à tous les sacrifices.

Premier de corvée - Regarder le documentaire complet | ARTE
Malgré deux emplois dans la restauration et la livraison, la vie hors des radars d’un travailleur clandestin malien. Un documentaire qui raconte par l’exemple les luttes des sans-papiers en France, estimés à près de 700 000, pour de meilleures conditions d’existence.

✨ Retour vers le futur !

Voici quelques enquêtes d'aujourd'hui qui on l'espère auront un maximum d'impact demain. Nous reviendrons sur l'une d'entre elles l'année prochaine. N'hésitez pas à dire en réponse à cet e-mail si l'une vous a particulièrement marqué.

💊 Délirant – Avant d’être expulsés d’Italie, les migrants - dont de nombreux Tunisiens - passent par une période de détention administrative où ils seraient drogués mis sous psychotropes. Une enquête du média d'investigation tunisien Inkyfada.

Enquête | Des migrants enfermés sous sédatifs dans les centres d’expulsion en Italie
Avant d’être expulsés d’Italie, les migrants - dont de nombreux Tunisiens - passent par une période de détention administrative dans des Centres de permanence pour les rapatriements (CPR). Là-bas, ils seraient drogués et “gardés tranquilles”, grâce à des psychotropes. Une enquête menée par Altrecono…

🧲 Ferraille – Des journalistes de l'émission Vert de Rage sur France 5 ont mené l'enquête auprès de 19 330 écoles maternelles et primaires. De l'amiante serait encore présente dans 5500 d'entre elles, les communes n'ayant souvent pas le budget pour la faire disparaître.

INFOGRAPHIES. Amiante : votre Ă©cole fait-elle partie des milliers d’établissements encore concernĂ©s, plus de 25 ans après l’interdiction ?
A partir d’un recensement inédit sur la présence d’amiante dans les établissement scolaires, réalisé par les équipes de la série “Vert de rage”, diffusée sur France 5, franceinfo publie un moteur de recherche pour connaître la situation dans votre école.

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Rédacteur et cofondateur de Rembobine - Journaliste indépendant - Formateur en éducation populaire aux médias