đ Banquiers zĂ©lĂ©s envers les mosquĂ©es #20
Avez-vous dĂ©jĂ eu vos comptes bloquĂ©s ? C'est une vĂ©ritable galĂšre pour n'importe qui, mais cela devient encore plus difficile lorsque vous ĂȘtes une association religieuse qui doit lutter contre l'institution financiĂšre et les prĂ©jugĂ©s racistes. Cette semaine, nous nous intĂ©ressons Ă un reportage de Mediapart sorti l'annĂ©e derniĂšre qui a analysĂ© ce problĂšme persistant depuis plusieurs annĂ©es. Nous avons la chance de recevoir Lou Syrah, journaliste indĂ©pendante qui contribue rĂ©guliĂšrement Ă Mediapart en chroniquant la "haine ordinaire" et enquĂȘte depuis de nombreuses annĂ©es sur les questions liĂ©es Ă la religion et aux discriminations.
Autopromo
Deux petites informations, pour vous dire qu'elle va continuer de grandir, entourée de bonnes fées. Rembobine est ravi d'intégrer le Spiil, le syndicat de la presse indépendante d'information en ligne. Objectif, se structurer intelligemment grùce aux ressources et à l'intelligence collective d'un merveilleux réseau de fondatrices et fondateurs de médias. Et à la rentrée, on fera partie de la nouvelle promo d'Horizons, l'incubateur de médias de Créatis !
đż De quoi parlait-on il y a un an ?
Quelle était l'actualité il y a un an ? à l'approche de l'été, elle est suffocante.
đłïž 3Ăšme tour â Aux Ă©lections lĂ©gislatives, Ensemble, la coalition de la majoritĂ© prĂ©sidentielle, arrive trĂšs lĂ©gĂšrement en tĂȘte devant lâalliance de gauche Nupes, le tout avec une abstention trĂšs forte Ă 53%. LREM dĂ©cide de ne donner aucune consigne de vote dans les duels NUPES/RN.
đž ZĂ©ro pointĂ© â Jean-Michel Blanquer est Ă©liminĂ© dĂšs le premier tour, alors que sa rĂ©forme du bac, appliquĂ©e dans sa totalitĂ©, passe l'Ă©preuve de la rĂ©alitĂ©. Le Monde a dressĂ© un premier bilan de cette rĂ©volution.
đ„” Il fait chaud â Une vague de chaleur s'abat sur la France dĂšs juin. Du cĂŽtĂ© des agriculteurs, on s'inquiĂšte pour les cultures dĂ©jĂ mises Ă mal. LâĂ©tĂ© 2022 sera le plus chaud jamais enregistrĂ© en Europe.
đ„ En quĂȘte d'impact
Des mosquĂ©es discriminĂ©es par des banquiers zĂ©lĂ©s, Darmanin sâexonĂšre de toute responsabilitĂ©
Depuis 2020, des mosquĂ©es et leurs donateurs dĂ©noncent une situation pĂ©nible avec leurs comptes bancaires, mystĂ©rieusement gelĂ©s. Dans une lettre publiĂ©e dĂ©but juin 2022, quatre jours avant les Ă©lections lĂ©gislatives, le ministre de l'IntĂ©rieur GĂ©rald Darmanin admet finalement ce phĂ©nomĂšne prĂ©occupant. Cependant, au lieu de s'en charger lui-mĂȘme, il prĂ©fĂšre renvoyer la patate chaude Ă son collĂšgue de Bercy et Ă la FĂ©dĂ©ration bancaire française, comme s'il s'agissait d'un jeu de ping-pong bureaucratique.
Le ministre de l'Intérieur exprime son mécontentement envers le "comportement de certains établissements bancaires" qui, au nom de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ferment les comptes d'associations musulmanes sans préavis ni explications. Tout cela est fait sous prétexte d'utilisation d'argent liquide, de cagnottes en ligne ou encore de financements internationaux, alors que la seule obligation est d'envoyer une déclaration de soupçon étayée à Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy, rappelle le ministre.
Nous recevons la journaliste indépendante Lou Syrah, qui a travaillé sur le sujet pour Mediapart. Depuis plusieurs années, elle s'intéresse aux sujets du racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie sur le média en ligne et est l'une des principales contributrices de leur dossier "Chroniques de la haine ordinaire".
Salut Lou ! Peux-tu nous expliquer comment tu en es venue à travailler sur ces sujets du racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie ?
J'y suis arrivĂ©e assez naturellement en travaillant sur les dĂ©rives de l'Ă©tat d'urgence. Cette politique, lancĂ©e aprĂšs les attentats de 2015, donnait tous les pouvoirs aux prĂ©fets au nom de la lutte contre le terrorisme. C'Ă©tait au mieux un fiasco, au pire un scandale d'Ătat parfait.
Plus de 3 000 personnes ont été perquisitionnées en vain, prÚs de 400 ont été assignées à résidence et des dizaines de mosquées ont été fermées. Tout cela reposait sur de simples suspicions éventées dans les fameuses "notes blanches", des feuilles volantes griffonnées à la hùte par l'administration ou les services de renseignement, regorgeant d'éléments factuels fragiles, parfois invérifiables ou tout simplement faux. La rigueur avec laquelle les autorités traitaient ces dossiers était inversement proportionnelle aux accusations. Je me souviens, par exemple, avoir raconté l'histoire d'un homme assigné à résidence dans sa voiture.
En réalité, à l'époque, nous découvrions l'arbitraire de la justice antiterroriste déployée à grande échelle. Le lien avec le racisme est assez évident. Lorsqu'on ne dispose d'aucun élément matériel pour accuser quelqu'un, on projette des images ou des intentions. Dans ce cas précis, le préjugé qui surgit est que derriÚre chaque musulman pratiquant se cache un terroriste.
MalgrĂ© l'Ă©chec de l'Ă©tat d'urgence (seulement 6 dossiers aboutissant au parquet antiterroriste), l'Ătat s'est engagĂ© dans la mĂȘme politique du chiffre aprĂšs l'assassinat de Samuel Paty, en marge de sa loi sur le sĂ©paratisme, sans que les principaux intĂ©ressĂ©s ne se rĂ©voltent. Cela suscite toujours une certaine interrogation. Jusqu'Ă ce qu'on rĂ©alise une fois pour toutes que le silence fait toujours partie intĂ©grante des affaires de racisme. Quelle que soit la raison, qu'il s'agisse de peur des reprĂ©sailles, d'accoutumance ou d'aspiration Ă la normalitĂ©, et quel que soit le public visĂ©, les victimes se taisent. Ce constat nous amĂšne Ă porter un regard diffĂ©rent sur la lutte contre l'antisĂ©mitisme, dont on prĂ©tend Ă tort qu'elle est une prioritĂ© nationale. En y regardant de plus prĂšs, le gouvernement se concentre surtout sur la communication. Le dĂ©pĂŽt de gerbes lors de la commĂ©moration de la rafle du Vel d'Hiv ou la panthĂ©onisation d'un rĂ©sistant ne constituent pas une politique antiraciste Ă eux seuls. Des Ă©lus sont victimes depuis plusieurs mois de groupes nĂ©onazis. Au dĂ©but du mois de juin, des centaines de mairies ont reçu des tracts Ă©voquant le supposĂ© "pĂ©ril juif", sans qu'Emmanuel Macron ne s'en offusque. Pas un tweet, rien. MĂȘme pas pour soutenir la prĂ©sidente de l'AssemblĂ©e nationale, qui fait l'objet d'un harcĂšlement antisĂ©mite depuis son accession au perchoir. Ă ce niveau, cela frise l'indĂ©cence.
Comment a évolué cette affaire des comptes gelés des mosquées ?
Contrairement Ă ce que GĂ©rald Darmanin a laissĂ© entendre, en faisant opportunĂ©ment parvenir Ă la presse un courrier montrant son intĂ©rĂȘt pour le sujet en pleine campagne Ă©lectorale de 2022, la problĂ©matique est loin d'ĂȘtre rĂ©solue.
Des centaines d'associations, de mosquées et de particuliers sont encore confrontés au blocage de leurs comptes, sans savoir pourquoi. Il faut dire que l'opacité a été soigneusement aménagée par les lois successives. Depuis la loi sur le séparatisme votée en 2021, Tracfin peut s'opposer à des opérations bancaires au nom de la lutte contre le terrorisme, sans que le titulaire du compte ne soit informé des raisons. Et les recours sont quasi inexistants.
Cette affaire est en rĂ©alitĂ© symptomatique d'une administration en roue libre, minĂ©e par l'ingĂ©rence croissante des services de renseignement. La situation est jugĂ©e suffisamment grave pour avoir attirĂ© l'attention de l'ONU. AprĂšs avoir critiquĂ© une premiĂšre fois le gouvernement français suite aux dissolutions du CCIF, Fionnuala NĂ AolĂĄin, la rapporteuse spĂ©ciale de l'ONU sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme, s'apprĂȘte Ă publier un rapport sur les entraves financiĂšres qui affectent le milieu associatif en France. Ironiquement, l'une des principales associations françaises ayant contribuĂ© Ă ce rapport, l'ADM (Association Action Droits des Musulmans), est elle-mĂȘme victime de ces dĂ©rives qu'elle documente.
Elle a dĂ©posĂ© Ă plusieurs reprises des plaintes pour des blocages de comptes. La derniĂšre a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e auprĂšs du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU le 31 mars. En effet, l'association a vu ses comptes bloquĂ©s par sa banque pour avoir participĂ© Ă des travaux avec cette instance internationale... Une manĆuvre perçue comme des reprĂ©sailles de la part des autoritĂ©s françaises. Une hypothĂšse que l'on ne peut pas exclure.
Le scandale du fonds Marianne, qui a rĂ©cemment Ă©claboussĂ© le ministĂšre de l'IntĂ©rieur, pourrait Ă©ventuellement conduire Ă un examen approfondi de ces mesures prises dans le plus grand secret au nom de la lutte contre le sĂ©paratisme. Cependant, il est dĂ©jĂ regrettable que la commission d'enquĂȘte sĂ©natoriale, lancĂ©e le 10 mai, soit la seule entitĂ© Ă s'ĂȘtre saisie de cette question. De plus, il est dĂ©cevant que les travaux parlementaires se concentrent exclusivement sur l'aspect financier.
Les médias ont-ils une responsabilité ?
Oui, en particulier ceux qui donnent la parole à des personnalités multirécidivistes condamnées pour incitation à la haine raciale et qui contribuent à légitimer des théories complotistes meurtriÚres telles que le "grand remplacement". L'influence de "Bolloré" est indéniable.
Six ans de macronisme jouent également un rÎle. Il est inévitable que lorsque l'on supprime 100 000 euros de subventions publiques à SOS Racisme pour financer des personnalités telles que Mohamed Sifaoui, chargé de mener secrÚtement la communication du ministÚre de l'Intérieur, lorsqu'on dissout des associations comme le CCIF (qui, quoi qu'on en pense, était partenaire de la CNCDH et produisait des données sur les discriminations), et lorsqu'on criminalise des associations de défense des droits de l'homme, on écarte inévitablement des débats publics des thématiques telles que l'islamophobie.
Face Ă cette situation, il est lĂ©gitime de remettre en question les choix Ă©ditoriaux de certaines rĂ©dactions. Pourquoi en 2015, des mĂ©dias gĂ©nĂ©ralistes tels que LibĂ©ration et Le Monde Ă©taient en premiĂšre ligne pour documenter les dĂ©rives de l'Ă©tat d'urgence, et cinq ans plus tard, seuls Mediapart, Politis et Reuters enquĂȘtaient sur la loi sur le sĂ©paratisme ?
Notre responsabilitĂ© face Ă cette actualitĂ© est Ă©norme. Ne pas rĂ©tablir les individus dans leur dignitĂ© en rappelant qu'ils sont innocents des accusations d'islamisme que l'Ătat leur impute, c'est continuer Ă alimenter la logique de suspicion qui les stigmatise. Surtout que le racisme est un processus de dĂ©shumanisation qui commence par le regard, se perpĂ©tue par la parole, puis passe Ă l'action. Quatre personnes ont dĂ©jĂ perdu la vie sous les balles de l'extrĂȘme droite Ă Paris en 2022.
Les chroniques de la haine dĂ©veloppĂ©es par Mediapart rĂ©pondaient Ă ces questions Ă©ditoriales : comment aborder la radicalisation du dĂ©bat public sans ĂȘtre assujetti aux moindres scandales mĂ©diatiques de Zemmour ? La rĂ©ponse consistait Ă donner un visage aux principales victimes du racisme, Ă raconter leur histoire en mobilisant les ressources de l'enquĂȘte journalistique. ParallĂšlement, le journal a continuĂ© Ă documenter les dĂ©rives de la loi sur le sĂ©paratisme, en particulier grĂące aux nombreuses rĂ©vĂ©lations de Camille Polloni et David Perrotin.
Vous pouvez retrouver tous les articles de Lou Syrah sur Mediapart par ici.
L'impact đŻ
Rembobine vous propose une visualisation de ce qui a Ă©voluĂ© dans cette affaire. L'article a-t-il changer les choses ? On tente de mesurer tout ça un an aprĂšs la parution. Elle est inspirĂ©e de la mĂ©thodologie qu'a utilisĂ©e Disclose pour son rapport d'impact 2022. L'impact est catĂ©gorisĂ© en 4 catĂ©gories : institutionnel (une interpellation publique, une rĂ©action officielle, une enquĂȘte interne, une proposition de changement de rĂ©glementation, de pratique ou de loi, un mouvement de poste de haut dirigeant), judiciaire (attaque en justice, classement sans suite, instruction judiciaire, dĂ©cision de justice), mĂ©diatique (copublication, mention par un mĂ©dia, mention par une ONG ou un think-tank, mention par une personnalitĂ© publique) et public (actions individuelles ou actions collectives).
- Un rapport sur les entraves financiÚres qui affectent le milieu associatif en France en cours de rédaction par Fionnuala Nà Aolåin, la rapporteuse spéciale de l'ONU sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme (lien)
- Des journalistes de Mediapart ont Ă©tĂ© auditionnĂ©s dans le cadre d'une commission du Conseil de l'Europe sur lâĂ©galitĂ© et la non-discrimination (lien)
- Fionnuala NĂ AolĂĄin a lancĂ© en juin 2023 une Ă©tude globale sur l'impact des mesures antiterroristes sur la sociĂ©tĂ© civile et l'espace civique en marge de la troisiĂšme confĂ©rence de haut niveau des chefs des agences antiterroristes des Ătats membres de l'ONU (lien)
- Des réseau régionaux d'association gérant des lieux de cultes musulmans ont proposé des séminaires de travail lors de l'été 2022 pour renforcer leurs adhérents en matiÚre juridique (lien)
𧰠Comment mieux suivre le sujet ?
Lou conseille diffĂ©rentes ressources pour suivre le sujet. Tout d'abord, le 5 mai, Mediapart a publiĂ© un livre collectif, La haine ordinaire. Des vies percutĂ©es par le racisme, premier ouvrage dâune collection appelĂ©e "En quĂȘte de sens". Entre rĂ©cits de victimes et entretiens avec des spĂ©cialistes, il dresse un panorama non exhaustif de lâampleur des dĂ©gĂąts humains et de la nĂ©cessaire rĂ©action politique qui doit intervenir.
La newsletter mensuelle FAF de StreetPress traite la problĂ©matique de l'angle de l'extrĂȘme-droite. Au programme, des enquĂȘtes, des reportages et des infos inĂ©dites.
L'Association de journalistes antiracistes et racisé·es (AJAR) s'est lancĂ©e au printemps avec pour objectif de « sâattaquer au racisme dans le journalisme ». Leur compte Twitter permet d'observer au quotidien le traitement de l'actualitĂ© au prisme des prĂ©jugĂ©s racistes.
Le documentaire Premier de corvĂ©e, rĂ©alisĂ© par Emile Costard, Camille Millerand et Julia Pascual diffusĂ© sur Arte, offre une plongĂ©e dans le quotidien des personnes sans papiers, travailleurs de lâombre prĂȘts Ă tous les sacrifices.
âš Retour vers le futur !
Voici quelques enquĂȘtes d'aujourd'hui qui on l'espĂšre auront un maximum d'impact demain. Nous reviendrons sur l'une d'entre elles l'annĂ©e prochaine. N'hĂ©sitez pas Ă dire en rĂ©ponse Ă cet e-mail si l'une vous a particuliĂšrement marquĂ©.
đ DĂ©lirant â Avant dâĂȘtre expulsĂ©s dâItalie, les migrants - dont de nombreux Tunisiens - passent par une pĂ©riode de dĂ©tention administrative oĂč ils seraient droguĂ©s mis sous psychotropes. Une enquĂȘte du mĂ©dia d'investigation tunisien Inkyfada.
đ§Č Ferraille â Des journalistes de l'Ă©mission Vert de Rage sur France 5 ont menĂ© l'enquĂȘte auprĂšs de 19 330 Ă©coles maternelles et primaires. De l'amiante serait encore prĂ©sente dans 5500 d'entre elles, les communes n'ayant souvent pas le budget pour la faire disparaĂźtre.
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