« Pour faire baisser les émissions carbone des entreprises françaises, on pollue en plein désert dans l'un de nos anciens territoires coloniaux »
Célia Izoard est journaliste indépendante, autrice et traductrice spécialisée dans les pollutions industrielles. Pour Rembobine, elle revient sur son enquête sur la mine de Bou-Azzer au Maroc, les découvertes majeures qu'elle a faites, ainsi que l'héritage néocolonial de la gestion de cette mine.
Célia Izoard est journaliste indépendante, autrice et traductrice. Spécialisée dans les pollutions industrielles, elle collabore notamment avec le pure player écologique Reporterre et le média d'investigation breton Splann !. Pour Rembobine, elle revient sur son enquête sur la mine de Bou-Azzer au Maroc, les découvertes majeures qu'elle a faites, ainsi que l'héritage néocolonial de la gestion de cette mine.
Bonjour Célia. Vous êtes spécialisée dans les pollutions industrielles. Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser au cas spécifique du Maroc ?
Le sujet m'est tombé dessus alors que j'étais en train d'écrire mon livre La Ruée minière au XXIe siècle, dans lequel je dresse un panorama des extractions minières et où j'explique que les élites ont décidé de miser sur l'extraction minière pour lutter contre le réchauffement climatique, ce qui est une aberration. À ce moment-là, je tombe sur une dépêche de Renault, qui explique avoir contractualisé un accord avec Managem pour s'approvisionner en cobalt pour ses batteries électriques. Je réalise que c'est également le cas de BMW, qui communique sur l'extraction de « métaux responsables ». Je suis très étonnée, parce que je connais les mines marocaines et je sais ce que signifie une mine en plein désert. Ça pose forcément de gros problèmes d'eau. Et puis une mine de cobalt et d'arsenic, en soi, ça ne peut pas ne pas poser de souci, étant donné que le cobalt est cancérigène et que l'arsenic est un poison. Ajouté au fait que le Maroc est une dictature, je me dis qu'il faut aller voir ce qu'il en est sur place.
Vu le contexte politique au Maroc, comment faites-vous pour entrer en contact avec la population locale et les mineurs ?
J'ai été grandement aidée par des syndicalistes marocains, qui avaient tenté de créer une section syndicale parmi les ouvriers de la mine et qui avaient été très sévèrement réprimés, pour certains même torturés. Pour entrer en contact avec eux, je me suis associée au média marocain Hawamich, qui m'a donné les contacts locaux et qui, une fois l'enquête parue en France, l'a d'ailleurs publiée en arabe, ce qui était très important ! Les syndicalistes m'ont permis d'entrer en contact avec les gens qui travaillent dans la mine et avec ceux qui habitent à côté. C'était une collaboration indispensable, surtout dans les campagnes reculées du Maroc, où on parle tamazight et où le contact n'est pas le plus facile.
L'enquête complète sur le site de Reporterre.
Vous travaillez de longue date sur l'extraction minière. Y-a-t-il des découvertes qui vous ont pourtant choquée lors de votre enquête sur la mine de Bou-Azzer ?
Sur place, c'était bien pire que ce que j'avais imaginé. La mine est souterraine, ce qui, sanitairement, est catastrophique pour les mineurs. Je ne m'attendais pas non plus à leurs conditions de travail. J'avais l'image d'une mine beaucoup plus mécanisée. Là, c'est des larbins qu'on envoie à 300 mètres de fond avec des températures torrides, qui risquent leur vie et sans aucune liberté syndicale pour pouvoir défendre leurs droits.
Sur le volet environnemental, la mine pose également de graves problèmes.
Bien sûr. L'activité de la mine a non seulement conduit à l'assèchement des oasis, mais elle les a empoisonnées. Pour les besoins de l'enquête, on a prélevé des sédiments de rivière, qui ont ensuite été analysés en France. Et les analyses ont confirmé qu'ils contiennent des dizaines de fois les quantités maximales d'arsenic par exemple. Ce qui est fou, c'est qu'au milieu des résidus miniers plein d'arsenic vivent des gens extrêmement pauvres dans des conditions incroyablement insalubres. Et lors de leur visite au Maroc, ni Renault ni BMW ne se sont émus de cette situation, du fait que des personnes vivent en plein désert dans des maisons fracassées au milieu des déchets miniers.
Au vu de la gravité des faits, comment expliquez-vous que cette mine marocaine continue à passer sous les radars ?
Sur l'extraction minière, la presse et les ONG ont les yeux rivés sur la République démocratique du Congo, qui est une tragédie, aussi bien parce que les mines industrielles sont en train de manger la forêt tropicale que parce que les mines alimentent les conflits armés. De leur côté, Renault et BMW ont parié sur l'invisibilité des conditions d'extraction du cobalt marocain. Mais que ce soit l'extraction minière au Maroc ou en RDC, ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'on est clairement dans des politiques d'ingérence néocoloniale. Pour la mine de Bou-Azzer, au Maroc, c'est saisissant. La mine a été ouverte par les Français pendant l'occupation et aujourd'hui, pour faire baisser les émissions carbone des entreprises françaises, on pollue en plein désert dans l'un de nos anciens territoires coloniaux.
Envisagez-vous une suite à cette enquête ?
La mine sert à BMW depuis 2020. Pour Renault, ce sera le cas à partir de 2025. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudrait penser à reprendre l'enquête à partir de 2025, mais il faudra que ce soit dans les mains d'autres journalistes. Et puis, ce qu'il faut, c'est que les syndicats de Renault s'emparent de cette histoire. Maintenant, c'est à eux de jouer. C'est à eux d'élargir les revendications et la réflexion à cette question centrale qui est celle des métaux dans l'industrie aujourd'hui.
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