Avant et après publication, comment maximiser l'impact de son enquête ?
Voici comment - à travers deux exemples concrets de médias indépendants - il est possible pour une rédaction de travailler à générer un maximum d'impact.
Peut-on s'assurer que son enquête journalistique change le monde ? Il y a deux semaines, nous vous avons expliqué ce qu’est l’impact et comment certaines rédactions françaises le mesurent. Cette semaine, Rembobine vous raconte, à travers le travail de Disclose et du Bondy Blog, comment maximiser l’impact d’une enquête avant et après sa publication.
Être moteur de l’impact
Traditionnellement, les journalistes travaillent leur impact après la publication de leur enquête. En février 2021, l’Euro de football approche. Latifa Oulkhouir, alors directrice du Bondy Blog, écrit sur les paris sportifs et leurs ravages. Elle s’intéresse d’abord au ciblage publicitaire des classes populaires par les plateformes de paris comme Betclic, Winamax ou Parions Sport et les comportements addictifs qui inquiètent. La stratégie des plateformes est simple : reprendre un maximum de codes des cultures populaires racisées. Hashtag #BetclicKhalass, des partenariats avec des rappeurs, des campagnes Winamax autour des « rois des quartiers » ou encore mettant en scène une « daronne » qui monte l'ascenseur social, littéralement. « La publicité ‘Tout pour la daronne’ de Winamax, c’était la goutte d’eau », raconte Latifa.
Quatre mois après le premier article, le Bondy Blog, en partenariat avec Mediapart, révèle les techniques des plateformes de paris sportifs pour piéger les joueurs et les encourager à dépenser plus. « Quand j’ai publié le deuxième article, les gens ont repris le premier, raconte Latifa à Rembobine. C’était l'Euro 2021, et il y avait le clip ‘Tout pour la daronne’ en boucle. Ce qu'on disait dans les deux articles, les gens pouvaient le constater très facilement autour d'eux, c'était indéniable. Les articles sont devenus plus viraux et ont eu plus d'impact ».
Pour toucher leur public cible — les jeunes, les influenceurs — le Bondy Blog transforme l’enquête en format vidéo. Elle est vue et partagée massivement sur les réseaux sociaux. Une façon de multiplier l’impact de l’enquête. Le Bondy Blog aussi organise lui-même une rencontre entre les acteurs concernés : l’Autorité nationale des jeux (ANJ), des agents d’influenceur·ses, des médias et des jeunes concerné·es. Cela leur permet de montrer directement à l’ANJ que Winamax contrevient aux règles déjà existantes et de faire réfléchir les différents acteurs du système des paris sportifs.
En octobre de la même année, après les enquêtes de Latifa, Amadou Ba, "Hamad”, fondateur de Booska-P, annonce que le média met fin à sa collaboration avec des publicitaires de paris sportifs. Une décision courageuse pour un média rap dont le modèle économique est fragile. En 2022, l’ANJ émet de nouvelles directives pour encadrer la publicité de jeux sportifs et mieux protéger les mineurs. Enfin, le 17 mars 2022, l’ANJ ordonne le retrait de la pub de Winamax « Tout pour la daronne », car elle véhiculait « le message selon lequel les paris sportifs peuvent contribuer à la réussite sociale », ce qui est contraire à ses règles.
Générer de l’impact avant même de publier l'enquête
Plus atypique, Disclose travaille son impact aussi en amont. Bien qu’encore « expérimental » de l’aveu même de leur journaliste Pierre Leibovici, le média d’enquête a plusieurs méthodes pour préparer leur résonance avant publication. Lors de l’enquête sur la pollution au-delà des limites autorisées d’ArcelorMittal, la rédaction a ainsi « cartographié des personnes susceptibles de donner une suite à l’enquête », raconte Pierre. Le jour de la publication, Disclose a contacté 90 personnes préalablement identifiées : « des élus, des médias locaux, des activistes locaux, des chercheur·euses qui ont travaillé sur la pollution de l’air ». Un résumé de l’enquête leur est envoyé, qui valorise les principales informations, sans être exactement un communiqué de presse, et les invite à réagir, à parler à la rédaction.
Pour quel résultat ? « Cela permet de solidifier un réseau autour de chaque enquête », explique Pierre. Après la publication, des élus de région interpellent leur président de région et des eurodéputés posent des questions à la Commission européenne. « En contactant ces personnes en amont, on s'est assuré de sa circulation, même si on ne peut pas la mesurer sur toute la ligne. »
Le processus reste cependant chronophage. Pour l’identification des acteurs de l’enquête ArcelorMittal, Disclose a réparti le travail entre plusieurs journalistes. Au total, « c'est peut-être trois jours temps plein pour essayer de cartographier tout le monde et leur envoyer le bon briefing », estime Pierre. En octobre, Disclose a recruté une nouvelle personne, Pénélope Blanchetête, qui s’occupera entre autres de systématiser ces préparations en amont.
Est-ce que cela constitue une forme d’activisme qui dépasse le cadre journalistique ? « On est un peu des crieurs de rue », se défend Pierre. Générer de l’impact de la sorte, c’est une façon de cibler la propagation de l’information factuelle, envers les gens qui bénéficieraient de la connaître, et en capacité d’en faire quelque chose de concret. Travailler ainsi l’impact « force à sortir des bulles algorithmiques » et « va toucher des personnes qui sont soit les premières concernées par un problème, soit celles qui sont en capacité de générer du changement. »
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