« L'argumentaire pro-mines est repris par les journalistes sans s'interroger plus que ça »
Leïla Miñano a enquêté en 2023 sur le projet minier d'Echassières, dans l'Allier et les graves problèmes de pollution au plomb et à l'arsenic qui en découlent.
La journaliste d'investigation travaille pour Investigate Europe, un consortium de journalistes d'investigation européens. Elle est également secrétaire générale de Disclose. Pour Rembobine, elle revient sur la responsabilité des journalistes dans le traitement des questions environnementales, l'importance d'être à l'écoute des informations fournies par les citoyen·nes, ainsi que la dimension européenne des enjeux autour de la transition écologique.
Bonjour Leïla. Votre enquête s'appuie sur la révélation d'un rapport inédit. Quel est-il et comment avez-vous réussi à mettre la main dessus ?
Le rapport sur lequel s'appuie l'enquête a été écrit par Geoderis, un bureau d'expertise spécialisé dans "l'après-mine" [l'adaptation des territoires après la cessation des activités minières, NDLR]. Ce rapport, il n'est pas secret. Il est accessible en ligne, il faut simplement le chercher ! Il suffit de savoir qu'il existe... C'est en échangeant avec plusieurs ONG locales opposées à la mine que j'en ai eu connaissance. Elles m'ont dit que ce rapport existait, j'ai décidé de fouiller. À partir de là, j'ai découvert que sur le secteur, il y avait un grave problème de pollution au plomb et à l'arsenic.
Quand vous commencez à enquêter, est-ce que vous soupçonnez ce problème de pollution environnementale ?
Non, pas du tout. Au début de l'enquête, je pars plutôt sur des angles financiers. Je me demande s'il ne pourrait pas y avoir des intérêts politico-financiers, en m'interrogeant notamment sur le soutien politique d'Agnès Pannier-Runacher [ministre de la Transition écologique, NDLR] et de Bruno Le Maire [ancien ministre de l’Économie, NDLR] au projet. Je me prends la tête sans réussir à trouver quoi que ce soit. C'est vraiment en commençant à discuter avec les associations sur place que j'arrive sur l'angle scientifique et que je comprends que c'est là qu'il faut creuser, en se demandant si la pollution expose les habitants à des risques environnementaux, et si oui lesquels.
Grâce au rapport de Geoderis, vous découvrez que les sols sont extrêmement contaminés et donc potentiellement dangereux pour la santé. Ces découvertes vont-elles, selon vous, à l'encontre d'un projet de transition énergétique qui se voudrait « vert » ?
Que ce soit l'argumentaire développé par Imerys et le gouvernement, c'est une chose. Mais pour moi, ce qui est le plus problématique, c'est que cet argumentaire pro-mines est repris par les journalistes sans s'interroger plus que ça. L'idée selon laquelle on développerait ces projets miniers chez nous pour ne plus polluer en Afrique ou en Amérique latine est par exemple largement repris, alors qu'on sait bien que c'est faux.
Votre enquête s'inscrit dans le travail plus globale d'Investigate Europe, qui, à travers le dossier « mine games » (ou « terres rares »), enquête sur les projets miniers à l'échelle européenne. En quoi la problématique des projets miniers dépasse-t-elle, justement, le cadre strictement français ?
La chasse aux matériaux rares est une problématique européenne. Il n'y a pas qu'en France que le gouvernement appelle à la souveraineté en matière de minerais, au contraire ! C'est le cas à l'échelle européenne, afin de se détacher de la Chine et de la Russie. Mais partout, ces projets suscitent des controverses. En tant que correspondante en France pour Investigate Europe, j'ai été amenée à travailler sur le dossier d'Echassières, mais mes collègues font un travail passionnant dans d'autres pays européens.
Pensez-vous donner suite à votre enquête ?
Pour le moment, je ne sais pas encore. Ce qui est sûr, c'est que le projet est toujours sur les rails, même s'il va certainement mettre des années à voir le jour. Ils parlaient de 2026 ou 2027, mais personne n'y croit. D'ici là, les militants sont très surveillés, parce que ce que craignent les autorités, c'est l'installation d'une nouvelle ZAD à l'image de celle de l'A69.
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