
« Une actu en chasse une autre et le sujet des Ukrainien·nes est beaucoup retombé avec l'actualité à Gaza »
Journaliste pour La Croix, Capucine Licoys a enquêté en 2024 sur la situation des déplacés ukrainiens en France et notamment sur la question de l'hébergement via le dispositif d'intermédiation locative.
Aujourd'hui en reconversion professionnelle, elle a accepté de revenir pour Rembobine sur ses méthodes d'enquête, le "hiatus" entre les discours d’état et l'accueil réellement réservé aux déplacé·es en France, et la difficulté de faire exister médiatiquement son enquête.
Bonjour Capucine. Comment avez-vous commencé à travailler sur la question de l'hébergement des déplacé·es ukrainien·nes ?
Quand je travaillais pour La Croix, je m'occupais de tous les sujets liés au numérique. J'ai commencé à travailler un peu par hasard sur les sujets migratoires lors du remplacement d'une collègue et j'ai trouvé ça passionnant. Au début, avec la rédaction en chef, on est parti de l'idée de faire un article « bilan » sur la situation des Ukrainien·nes en France [deux ans et demi après le début de la guerre, NDLR]. J'étais en contact avec Joseph Zimet [nommé en 2022 à la tête de la cellule de crise sur l'accueil des réfugié·es ukrainien·nes, NDLR], qui m'a tout de suite alerté sur un point : certains dispositifs d’État s'essoufflent et des déplacé·es risquent de se retrouver à la rue.

Vous avez travaillé sur un système d'aide au logement particulier, le dispositif d'intermédiation locative (IML). Comment fonctionne ce dispositif ?
L'intermédiation locative permet à des associations agréées par l’État de louer des appartements du parc locatif privé pour y loger des familles à faibles revenus. Ce dispositif a été très utile pour les Ukrainien·nes bénéficiant de la protection temporaire [prolongé jusqu'en mars 2027, ce dispositif leur permet notamment de bénéficier d'un droit au logement, NDLR]. Le problème, c'est qu'avec le prolongement du conflit en Ukraine, rien n'a été fait pour pérenniser le dispositif. C'est normal, puisqu'il n'avait pas vocation à durer dans le temps mais la conséquence directe, c'est que les associations d'aide se sont retrouvées démunies, avec aucune certitude que l'IML pourrait continuer à être financée et donc le risque que des milliers d'Ukrainien·nes se retrouvent sans solution de logement [lors de la rédaction de l'article en 2024, environ 30 000 Ukrainien·nes bénéficiaient de l'IML, NDLR].
Quelles découvertes majeures avez-vous faites pendant votre enquête ?
Ce qui m'a le plus frappé, c'est de découvrir que des associations de solidarité disaient prendre sur leurs fonds propres pour héberger les déplacé·es parce que l’État ne tenait pas sa promesse. Je ne pensais même pas que c'était possible. En fait, j'ai découvert un énorme hiatus entre le discours extrêmement accueillant de l’État envers les Ukrainien·nes et leurs conditions d'accueil réelles. Ce qui m'a surprise aussi, c'est de voir à quel point, sur le terrain, les associations étaient mobilisées sur le sujet alors que médiatiquement, le sujet était quasi inexistant et qu'il était très difficile de trouver des chiffres exactes sur la question.
Un an plus tard, la situation s'est-elle améliorée ?
La protection temporaire a été prolongée jusqu'en 2027. C'est rassurant de voir qu'il y a une volonté de pérenniser ce dispositif tant la situation en Ukraine demeure incertaine. Mais concernant l'IML, je ne suis pas sûre qu'il y ait eu des avancées. Ce qui est sûr, c'est que cette question du logement pose une question cruciale : quand un conflit s'enlise, est-ce qu'on a les moyens de nos ambitions ? En d'autres termes, est-ce que la France est réellement capable d'accueillir les gens dignement ? Ce qui est certain, c'est que concernant les Ukrainien·nes, on doit beaucoup à la solidarité des citoyens [au moment de la rédaction de l'article, 11 000 déplacé·es bénéficiaient d'un hébergement citoyen, NDLR], or on ne peut pas compter uniquement dessus.

La mesure d'impact effectuée par Rembobine un an après la publication de l'enquête
Au moment de sa parution, les médias ont peu relayé votre enquête. Comment l'expliquez-vous ?
Malheureusement, une actu en chasse une autre et le sujet des Ukrainien·nes est beaucoup retombé avec l'actualité à Gaza, ce qui se comprend aussi. Disons que ça ne m'a pas surprise de ne pas être invitée sur des plateaux pour en parler. En plus, j'étais jeune journaliste et ce n'était pas ma rubrique, ça n'aide pas.
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